mardi 18 mars 2008

Entretien avec Jean Teulé


Un tout grand merci à Jean qui a répondu si vite et si gentiment à nos questions!


Zaphod : Avez-vous eu dès le départ l'intention de créer un cycle consacré aux poètes?


Réponse: Oui, dès le départ, je voulais écrire une trilogie:

Rimbaud, Verlaine, Villon, les trois plus beaux.



Thom: C'est vrai qu'on peut se poser la question: autant Verlaine et Villon sont proches dans le temps, autant Rimbaud est un peu excentré (et de fait plutôt différent des deux autres)…


Quand j'ai voulu écrire un livre sur Rimbaud, je n'ai pas osé m'approcher de lui, le faire parler. C'est pour cette raison que j'ai raconté l'histoire actuelle d'un fan de Rimbaud. Pour Verlaine, je me suis un peu plus approché de la bête en racontant l'histoire réelle d'un adolescent fou de Verlaine et qui l'avait beaucoup cotoyé. Pour Villon je me suis dit qu'il fallait aller encore plus près, aller au nerf, et là j'ai décidé de raconter la vie du poète du Moyen-Âge à la première personne. Et comme le premier testament de Villon commence par ces vers: «En l'an mil quatre cent cinquante six, je, François Villon…» je me suis dit que le titre était là: «Je, François Villon».



Zaphod: A la lecture de "Je, François Villon", il m'a semblé qu'il y avait une sorte de lien de filiation entre Villon et Baudelaire.

Peut-on espérer lire un jour un livre de vous ayant Baudelaire pour inspiration?

Non, car si j'ai une admiration sans bornes pour les Fleurs du mal, je n'aime pas du tout le bonhomme Baudelaire. Je le trouve trop dandy, trop assisté continuellement par sa famille. Je n'aurais pas tellement eu envie de le rencontrer contrairement aux trois autres. Et puis à la fin de sa vie, il a écrit trop de conneries contre les femmes, les Belges… Il ne m'amuse pas. Je n'avais pas envie de passer deux ans en sa compagnie.



Thom (grillé): Mince, il m'a coupé l'herbe sous le pied…j'allais vous demandez quel était le poète auquel vous aimeriez consacrer un roman, si d'aventure vous décidiez d'en écrire un quatrième dans la série…?


Je n'écrirai plus de livres sur les poètes car je ne voudrais pas que cela tourne au truc, me taper le dictionnaire des noms propres de la poésie. Mais bien sûr qu'il y en aurait d'autres qui m'auraient plu: Aragon, Attila Joseph, Nerval… Tant pis, ce sera pour une autre vie.



Jeanne: Est-ce que vous avez tout lu - et apprécié - de Verlaine, Rimbaud et Villon?


Ah oui, j'ai tout lu et relu…


Attention, la question suivante et la réponse dévoilent la fin du"magasin des suicides" !


Céline (très émue, comme vous le voyez): Je viens de finir "le magasin des suicides" je me suis laissée porter par cette histoire étonnante ou j'ai bien cru que les hommes étaient tous redevenus bons et solidaires. Et là quand Alan lâche la bande velcro de son frère c'est une partie de moi même qui est tombée avec lui (non je n'exagère pas, j'étais tellement dans l'histoire que..... enfin voilà j'ai moi aussi chuté)…


Pourquoi l'avoir laissé se suicider ? Depuis le début n'etait-il là que pour rétablir la bonne humeur dans cette famille de dépressifs ?


Avait-il été envoyé pour accomplir une mission et celle-ci terminée devait-il rentrer chez lui ? Ou bien les a-t-il tous abusés en leur ouvrant une nouvelle vision du monde alors que la sienne était tout aussi sombre que celle de sa famille et que son but initial n'a jamais été autre que d'en finir ? POURQUOI Alan est-il mort ? Je suis très


contrariée, j'ai l'impression que quelque chose m'a échappé sans que j'arrive a savoir quoi.


Donc Monsieur Teulé ayez la gentillesse de me délivrer de ce lourd fardeau ai-je bien compris votre propos et surtout quel était-il ?


Vous admettrez que je ne fais pas que lire vos livres, je me permets aussi de les vivres, c'est là la marque des grands auteurs me semble-t-il.


Sur cette modeste question je vous salue admirativement (quoi que tant que je ne saurai pas pourquoi Alan est mort j'aurai des réserves !)


Je ne sais pas pourquoi j'ai fait se suicider Alan. Mon éditeur était contre. J'ai tenté d'écrire une autre fin plus optimiste mais je n'arrivais pas à m'y faire alors j'ai gardé Alan qui ouvre la main. Et puis dans ce livre, il y avait tout sur le suicide sauf l'effet que ça fait. J'ai eu des gens de ma famille, des amis qui se sont suicidés et jamais ils n'ont laissé d'explications; À chaque fois je me suis dit: «Merde, j'ai déjeuné avec lui la semaine dernière et

je n'ai pas vu le coup venir.» J'avais envie que les gens après la dernière phrase, tourne la page suivante pour trouver une justification mais non, rien. C'est comme ça. Des congrès de psychiatres spécialisés

dans le suicide débattent de cette dernière phrase, se demande si Alan est Lacanien. Je n'en sais rien.



Thom : Est-ce que vous pensez que j'aurais dû raccourcir la question de Céline…euh!!! Non: êtes-vous satisfait rétrospectivement de votre adaptation de "Rimbaud", et si oui pourquoi n'est-ce pas vous qui réalisez celle de "Darling" (qui je crois sort en novembre) ?


J'ai de la tendresse pour «Rainbow» mais non, ce n'est pas moi qui ai réalisé «Darling». Ce sera un film de Christine Carrière avec Marina Foïs et Guillaume Canet. Je préfère que ce soit d'autres réalisateurs qui se collent à l'adaptation de mes romans.


Dans le même ordre d'idée, peut-on un jour espérer retrouver Jean Teulé cinéaste, ou n'est-ce plus du tout d'actualité?


Non, c'est trop de boulot et puis il faut être chef de meute alors que moi je suis plutôt solitaire.


Livrovore : Comment vous est venue l'idée du sujet de "Balade pour un père oublié" (que j'ai trouvé absolument fabuleux :-)) ?

Je ne me souviens plus. C'est une réonse qui va assez bien avec le titre de ce livre d'ailleurs.


Quand écrivez-vous ? Avez-vous un emploi du temps défini par jour pour écrire ?


J'écris tous les jours, samedi, dimanche, compris de 10 h à 19 h. Mon bureau, c'est mon monde. Quand je n'écris pas je suis en apnée et j'étouffe assez vite.


Zaphod : J'ai une petite question sur le métier d'écrivain. Pensez-vous qu'il soit possible de débuter un roman et de le mener à son terme sans plan préconçu et sans idée préalable du dénouement? En se laissant guider par l'inspiration du moment, ou en laissant les personnages prendre le contrôle? Quelle est votre méthode de travail à: vous?


C'est un petit peu les deux. Il me semble qu'il faut savoir où on va mais aussi se laisser surprendre par les personnages et les suivre comme si c'était eux qui décidaient du déroulement de l'histoire.


Livrovore: Vous arrive-t-il de relire certains de vos propres romans ?


Jamais.


Thom: Et surtout…: vous arrive t'il de regretter d'avoir relu vos propres romans, héhé?


C'est pour ne pas avoir de regret que je ne les relis jamais.


Livrovore: Quels sont vos auteurs et/ou romans préférés ?


Adolescent, je fus bouleversé par l'Écume des jours. C'est comme si une porte s'ouvrait devant moi. Sinon, je ne lis presque jamais de romans à part ceux des copains. Passant mes journées à en écrire, le soir, je ne me dis pas: «Tiens pour me détendre, je vais lire un roman. Je fais autre chose.»



Zaphod : Cher Jean, quel effet cela vous fait-il d'avoir été élu Aristochat aux côtés de Kafka, Hemingway et Roth?

Ça fait l'effet d'assister à une erreur.


Thom: Ainsi que d'avoir mis une déculottée à John Irving au moment de «L'élection»!!!

Ah bon?!


Zaphod: Vous aviez le choix entre ça et être élu à l'Académie Française. Rétrospectivement, êtes-vous satisfait de votre choix?


Ah oui, ça m'aurait même gonflé d'être considéré par les 40 connards de l'académie (Giscard and Co) comme ayant ma place parmi eux.


Dans "Je , François Villon", j'ai été frappé par la violence et la cruauté omniprésentes, et que chacun a l'air de trouver plus ou moins naturelles. Avez-vous tenté de retranscrire fidèlement les moeurs de cette époque, ou avez-vous délibérément "forcé la dose" dans le but de créer un contraste avec la beauté des poèmes de Villon?


Rien de ce que je raconte comme tortures et autres violences n'a été inventé. C'était une époque terrible et tellement mortifère que la période qui a suivi s'est appelée La Renaissance.


Thom: Ce qui, d'ailleurs, donne au roman un côté «BD» extrêmement agréable et vif…votre expérience de la BD vous sert-elle lorsque vous écrivez, notamment pour rythmer la narration?

Absolument, j'ai besoin que ça claque des doigts et de voir ce que j'écris. D'ailleurs parfois avant de raconter une scène, je me la dessine sur un coin de papier


Jeanne : Est-ce qu'il n'était pas difficile de passer de BD au roman.

Je veux dire est-ce qu'il n'était pas difficile d'écrire une histoire sans que vous ayez le soutien des images?

Je mets de plus en plus d'images dans mes derniers romans ( sauf dans le Magasin des Suicides). Dans le prochain, il y en encore plus. Peut-être qu'un jour, je réaliserais un livre qui sera à la frontière de la BD et du roman. Un livre qui commencerait comme une BD, se poursuivrait comme un roman, redeviendrait dessiné, un truc complètement neuf. Mais ça me fout les jetons, je ne voudrais pas décevoir ceux qui dans le passé ont aimé mes bandes dessinées.


Zaphod: Et vous, Mr Teulé, si vous deviez ouvrir un magasin, quels articles choisiriez-vous de vendre ?

Des baisers, des carresses et de solides poignées de mains fraternelles. On en manque. Il y a un crénau, là…


Thom: Vos livres mis à part, bien sûr!

Je n'y avais même pas pensé…


Zaphod : J'ai lu ces phrases sur une page web consacrée à "Je, François Villon" :


"Aucun sentiment humain ne lui (Villon) était étranger. Des plus sublimes aux plus atroces, il a commis tous les actes qu'un homme peut commettre."


Ce qui me rappelle d'autres vers, qu'on pourrait aussi bien appliquer à Villon :

Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?

Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !


Alors, vous qui avez bien connu Villon, puisque vous l'avez beaucoup fréquenté pour écrire ce livre, pensez-vous que c'était (en partie) délibéré de sa part de vouloir connaître toutes les expériences humaines, ou était-il une sorte de cheval fou poussé en tous sens par son instinct et une personnalité "instable"? Comment l'imaginez-vous?

Je crois qu'il voulait connaître le vrai goût de la vie et sans limites, sans morale, aller au bout du bout pour voir…


Jeanne: Quel auteur du XXème siècle est votre auteur préféré.

Louis Aragon. Je l'ai rencontré, adolescent. J'avais l'impression d'être face à Verlaine. C'est d'une beauté, parfois, Aragon… Genet n'est pas mal non plus. Ah, la vache!


Lequel des jeunes auteurs d'aujourd'hui trouvez-vous le plus prometteur ? Et qu'est-ce qui vous plaît dans cet auteur et ses livres?


J'aime beaucoup Serge Joncour. Je trouve que c'est la classe, ce mec.


Est-ce que vous aimez le SF. Si oui: Quels auteur de la SF / Si non: pourquoi?

À chaque fois que j'ai voulu en lire, je n'y comprends rien et les héros ont toujours des noms à la con que je n'arrive pas à retenir: Zglob, Sburb… et ils habitent trop souvent dans des galaxies dont je n'ai rien à foutre.

[NDLR: ouf, il n'a pas dit "Zaphod"]


Thom : Question suggérée par mon ami Mr Kiki (je sais, il a nom pour le moins bizarre)après que j'ai rapproché l'univers de «Je, François Villoin» de Rabelais: «Dans le Quart Livre, Rabelais invente un passage de la vie de Villon après son bannissement de Paris où lui et quelques acteurs effrayent un sacristain peu charitable qui,

désarçonné, part en pièce détachées traîné par sa jument...si bien qu'à la fin, il ne reste du malheureux que son pied coincé dans l'étrier. On retrouve pratiquement le même récit dans "Je, François Villon" lors de la répression du chahut au Pet-au-diable. Hasard ou clin d'oeil ?»


Clin d'œil.


Les critiques du "Magasin des suicides" sont parfois assez froides...ne trouvez pas que les critiques font généralement preuve d'une extrême sévérité à l'égard des livres dits "légers", comme si un roman drôle

n'avait pas le droit d'être un grand roman ? - je ne dis pas que le "Magasin" est un grand roman, d'ailleurs je ne l'ai pas encore lu (sourire)


Je m'en fous. Ils font ce qu'ils veulent et d'ailleurs, je trouve que je suis très épargné. Et puis c'est normal que, le succès venant, les coups de lattes arrivent aussi.


Céline (très polie) : Monsieur Teulé Bonjour

J'ai encore une question qui me taraude après avoir fini "Ô Verlaine" je n'ai pas encore tout lu de votre oeuvre (il faut dire qu'elle est conséquente !) Mais sur les quatre déjà lus, tous font une petite allusion à Villon. Est-ce une forme de jeux qui consiste à glisser le nom de ce poète, que vous semblez particulièrement apprécier, dans tous

vos livres ou suis-je tombée sur les seuls qui contiennent son nom (j'ai lu "Je, François Villon ; Balade pour un père oublié ; Ô Verlaine et le magasin des suicides")

Ah c'est vrai que j'aime citer ce gars. J'ai souvent l'impressionde l'avoir là, auprès de moi et invisible, le frère humain qui avant moi vécu…


Thom: Ce qui me fait penser qu'il y a déjà un Tuvache dans «Darling», si je ne m'abuse? Hasard ou clin d'œil? – le retour.


Re-Clin d'œil.


Céline: Sachez aussi que "le magasin des suicides" a été lu par ma fille de 16 ans et que depuis il a un franc succès auprès de ses amis, quant on connait la difficulté des ados avec la lecture et leurs degrés d'exigence la concernant, je crois que vous pouvez vous gausser de trouver le ton et les mots pour les interpeller !

Dans des collèges et lycées en France, qui ont été touché par le suicide de plusieurs élèves en un ou deux ans, les professeurs ont décidé de faire étudier Le Magasin des Suicides. Ils le font jouer aussi aux ados en pièce de théâtre. Il semblerait que cela leur fait beaucoup de bien, qu'ils arrivent à rire de quelque chose qui les

terrorise. Bon sang, si ce livre sert à ça…


Zaphod : Bande dessinée, télévision, littérature, cinéma, est-ce une envie, un besoin, ou les hasards de la vie qui vous font toucher à tous les genres? Avez-vous le sentiment d'avoir trouvé dans la littérature votre vraie passion, ou peut-être envisagez-vous de vous mettre un jour à la chanson ?

J'ai failli écrire des chansons pour Higelin (à sa demande) mais j'ai abandonné assez vite car il est vraiment trop casse-couilles.

Mais j'aimerais bien un jour et puis le théâtre aussi.

Sinon, j'ai fait de la BD parce qu'un dessinateur (Barbe) m'a emmené à L'Echo des Savanes. J'ai fait de la télé parce que Bernard Rapp m'a demandé de faire partie de son équipe. J'ai écrit des romans parce que Elisabeth Gille (qui était éditrice chez Julliard) m'a dit que j'étais un écrivain qui ne le savais pas. En fait je fais ce qu'on me dit de faire. On m'aurait proposé d'être danseuse nue aux Folies-Bergères…


Thom: Et si oui à quoi doit-on s'attendre? Qui est votre chanteur préféré (trouvères et troubadours mis à part)?

Mon chanteur préféré est une chanteuse et elle s'appelle Camille. Elle est extraordinaire cette fille.


Plus sérieusement: être passé par la case télé a t'il été un désavantage ou un atout pour faire décoller votre carrière littéraire ?

J'ai l'impression, comme je l'ai écrit dans la courte «présentation» du forum, que le fait que votre nom soit associé à NPA vous confère un capital sympathie particulièrement important auprès des lecteurs, non?


Je ne sais pas.


Pour revenir à «O Verlaine!» (transition un peu foireuse, désolé), sur quoi vous êtes-vous basé pour camper un François Copée aussi détestable ? - eh oui Jean, Copée est très apprécié des chats!


François Copée est très aprécié? Il était anti Dreyfusard et a fondé la ligue antisémite en France. Est-ce cela que les chats aprécient?


1 commentaire:

  1. Relire cet interview, c'est le bonheur - je dois venir plus souvent !

    LiseCC

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