vendredi 14 mars 2008

Lettre au père - Franz Kafka

Par Zaph

D'abord, je savais avant de lire ce texte que la correspondance (spécialement s'il s'agit d'une vraie correspondance privée) n'est pas un genre que j'apprécie. J'ai l'impression de "violer" un peu l'intimité d'une personne, et je trouve dérangeant qu'une lettre aussi privée que celle-ci soit donnée en pâture au public. En même temps, au moment de sa publication, les protagonistes étaient refroidis depuis un bout de temps, alors ça leur faisait une belle jambe. Mais quand même.


Lorsque j'avais 13 ou 14 ans, j'ai du analyser "le Procès" pour l'école. Si le texte m'avait énormément marqué, j'étais bien incapable d'en faire une analyse, aussi, j'avais plus ou moins recopié une étude trouvée dans un ouvrage critique. Cette étude était centrée sur la relation au père et son influence centrale sur l'oeuvre de Kafka. Elle m'avait valu d'excellents points, mais encore aujourd'hui, même si je sais qu'en psychologie, la figure du père est associée à la notion de Loi, j'aurais bien du mal à tirer de ce concept une analyse détaillée du Procès.
C'est pourquoi j'étais quand même titillé par l'idée de lire cette fameuse lettre.

Et en effet, cette lettre qui d'un point de vue littéraire est à peu près aussi passionnante qu'un rapport de police, apporte un éclairage précieux sur cette question de Père et de Loi.

Si sur certains points, Kafka fait preuve d'une remarquable lucidité psychologique, ce texte est avant tout un règlement de comptes sous couvert d'analyse objective. A de multiples endroits, Kafka (j'ai la bizarre envie de l'appeler K.) utilise l'expression "je ne prétends pas que" alors qu'effectivement, l'effet recherché est bien là.

Il est difficile de déterminer dans un caractère ce qui vient de l'éducation et ce qui est inné.
Mais il semble que Kafka, enfant, ait subi une certaine humiliation de la part de son père, ce qui est un des pires principes éducatifs qui soient. Il pensait qu'il décevait et même dégoûtait son père et dès lors, aurait difficilement pu se construire une image personnelle positive. Quoi qu'il fasse, il n'a jamais réussi à satisfaire ce père si impressionnant et si distant qui aurait voulu un fils qui lui ressemble. Il en a conçu un sentiment extrêmement fort de culpabilité qui transparaît dans toute son oeuvre.

"[...] tu ne respectais pas les ordres que tu m'imposais. Il s'en suivit que le monde se trouva partagé en trois parties : l'une, celle où je vivais en esclave, soumis à des lois qui n'avaient été inventées que pour moi et auxquelles, par dessus le marché je ne pouvais jamais satisfaire entièrement, sans savoir pourquoi ; une autre, qui m'était infiniment lointaine, dans laquelle tu vivais occupé à gouverner, [...] ; une troisième, enfin, où le reste des gens vivait heureux, exempt d'ordres et d'obéissance."

Cette seconde partie du monde, ce pourrait être le Château, cette citadelle paternelle si proche et pourtant inaccessible dont K. cherchera toute sa vie, en vain, à se rapprocher. Citadelle source de lois incompréhensibles auxquelles on ne peut jamais se conformer, quoi qu'on fasse. Les livres de Kafka ne seraient ils pas tant une satyre de la bureaucratie aveugle qu'une transposition à peine imagée des rapports à son père?

"[...] à débattre de près et de loin, avec toutes les forces de la tête et du coeur, ce terrible procès qui est en suspens entre toi et nous, et dans lequel tu prétends sans cesse être juge, alors que, pour l'essentiel du moins, tu y es partie, avec autant de faiblesse et d'aveuglement que nous."

Le procès sujet à d'infinis atermoiements, comme dans le roman du même nom, c'est bien avec le père qu'il se joue. Et comment résoudre un procès dont le juge (fonction paternelle de la loi) est en même temps partie.

"Dans mes livres, il s'agissait de toi, je ne faisais que m'y plaindre de ce dont je ne pouvais me plaindre sur ta poitrine. C'était un adieu que je te disais, un adieu intentionnellement traîné en longueur [...]"

Ce n'est effectivement pas le genre de lettre qu'on envoie (je le sais pour avoir commis l'erreur d'en envoyer une semblable), et ce n'est peut être pas le genre de roman qu'on termine.

Biographie de Kafka

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