Légèrement indigeste, par Ingannmic.
mercredi 30 décembre 2009
"La conjuration des imbéciles" - John Kennedy Toole
jeudi 24 décembre 2009
« Mrs Dalloway » - Virginia Woolf
Avant d’entamer la lecture de « Mrs Dalloway » (le 1er roman que je lis de cette auteure), j’imaginais que Virginia Woolf était une femme à l’écriture complexe, torturée, laborieuse. Je n’imaginais pas si mal… du moins en ce qui concerne la complexité, et par conséquent, la nécessité à certains moments de faire preuve d’une certaine concentration pour suivre le cheminement de son récit (donc, oui, c’était parfois un peu laborieux aussi !)
Peut-on d’ailleurs véritablement parler de récit, concernant « Mrs Dalloway » ? L’action s’y déroule sur une seule journée, et culmine avec la description des quelques menus préparatifs auxquels s’attèle Clarissa Dalloway en vue de la réception qu’elle donnera en soirée.
Et pourtant, en lisant , j’ai souvent éprouvé au cours de ma lecture une sensation de mouvement incessant, presque de frénésie, qui tient au procédé de narration utilisé par l’auteure : tout le roman est la restitution des pensées, souvenirs, des divers personnages, qui se succèdent souvent sans transition.
Ces personnages parfois se croisent, parfois se connaissent. Virginia Woolf s’attarde davantage sur certains d’entre eux, et notamment sur cette fameuse Mrs Dalloway. Arrivée à la cinquantaine, mariée à un célèbre député dont elle a eu une fille, celle-ci fait preuve d’un état d’esprit qui peut sembler confus car émaillé de réflexions contradictoires. En effet, elle s’émerveille de bonheurs simples, fait preuve d’une humeur égale et sereine, puis manifeste soudain des regrets quant à la femme qu’elle est devenue, qui agit sous l’influence du regard d’autrui, va jusqu’à penser qu’elle aurait aimé être quelqu’un d’autre… Et surtout, elle laisse transparaître, sous-jacente, une angoisse, voire une terreur de la mort, qui à certains moments sera même clairement exprimée..
Les considérations de Peter Walsh, l’amour de jeunesse de Clarissa, confirme la dualité évoquée plus haut : s’appliquant à plaire à la classe dominante pour entretenir les relations mondaines de son époux, elle a acquis une rigidité préjudiciable à son sens critique et à sa vivacité d’esprit. Et pourtant, il lui reconnaît toujours un « sens du comique exquis », un caractère agréable et facile.
Quant à lui, son retour après 5 années passées aux Indes (alors colonie anglaise) fournit un prétexte à l’auteure pour souligner les changements intervenus après la première guerre mondiale (le roman se passe en 1923) en Angleterre, la fin du conflit insufflant un vent de liberté qui se traduit par une évolution des comportements : Peter constate ainsi que les anglais se montrent moins pudibonds qu’auparavant, la censure morale semble être moins pesante. Un personnage d’ailleurs plutôt sympathique que ce Peter, qui se soucie peu du « qu’en dira-t-on », se contentant de suivre ses envies, ses impulsions, affichant une forme d’épicurisme débonnaire et aussi quelque peu enfantin. Lui-même se décrit comme étant « à la fois gai et bougon », sa bonne humeur alternant parfois avec des accès de mélancolie provoqués par une certaine nostalgie de la jeunesse.
Plus tragiques et beaucoup plus sombres sont les pensées de Septimus, un autre des protagonistes qui occupe une place importante dans le roman. Se promenant dans les rues de Londres au bras de Rezia, son épouse italienne, ce rescapé de la guerre, atteint d’une profonde dépression, sombre dans la folie…
Par la transcription des pensées, des états d’âme de ses personnages, Virginia Woolf a su donner à son récit une réelle consistance, l’enveloppant d’un réseau complexe de sentiments et de réflexions plus ou moins conscientes. Il s’en dégage au final une vague impression de mal-être existentiel, une difficulté pour les individus à accéder au véritable bonheur, à jouir de la maturité et de la sérénité que pourrait leur conférer l’âge.
S’agit-il de l’écho des angoisses et de l’instabilité mentale de l’auteure ?
On notera à plusieurs reprises l’évocation du suicide ou de la délivrance que peut apporter la mort, considérée aussi à certain moment comme un « enlacement »…
mercredi 23 décembre 2009
"Willard et ses trophées de bowling" - Richard Brautigan
mardi 22 décembre 2009
"La Reine Morte"- Henry de Montherlant
jeudi 17 décembre 2009
"Timequake" - Kurt Vonnegut
Time again to read Vonnegut, par Zaph
J'aime pô les préfaces, en général.
Sauf quand c'est Kurt Vonnegut qui les écrit. Même que des fois, je me demande si la meilleure partie de ses livres n'est pas dans la préface.
C'est pas comme les autres écrivains, qui se sentent obligés de nous avertir de ce qu'ils vont raconter (comme si on n'était pas capable de nous en rendre compte par nous-mêmes), ou de nous expliquer comment et pourquoi ils ont eu cette brillante idée (sans blague, on s'en fiche un peu, de leur égo). Puis des fois, ils nous collent en plus une postface pour nous expliquer ce qu'on vient de lire (des fois qu'on serait trop con pour comprendre). Ça m'énerve, toutes ces pages inutiles ; ça détruit la chlorosphère.
Non, chez Kurt, c'est différent. La préface est un pont, un passage en douceur entre le monde réel et la fiction. La préface est déjà un peu le roman, et le premier chapitre est encore un peu la préface.
Cette fois, Kurt franchit un pas de plus, car j'ai l'impression que ce roman n'est qu'une longue préface en 63 chapitres et un épilogue (et une pré-préface).
C'est un joyeux bordel, en tout cas. Un mélange bizarre de fiction, de souvenirs (dont certains sont peut-être réels), et de considérations loufoques.
Va bien falloir que j'explique un peu ce qu'est le timequake...
C'est bien simple : le 13 Févier 2001, l'univers a décidé pour on ne sait quelle raison d'opérer un saut temporel de dix ans en arrière, si bien que tout le monde se retrouve à vivre une seconde fois la même période de dix ans, en en étant pleinement conscient, mais sans pouvoir rien y changer. Tout le monde reproduit ("rerun") les mêmes actions et prononce les mêmes paroles une seconde fois.
Idée complètement barge, mais littérairement géniale.
A la fin de la carrière et de la vie de Vonnegut, le personnage de Kilgore Trout reçoit enfin la place d'honneur qu'il méritait.
C'était jusqu'ici un double discret, un fantôme énigmatique qui faisait quelques apparitions dans plusieurs romans de Kurt. Et là, Kurt a fait ce fantastique cadeau à Kilgore : il l'a tout simplement rendu RÉEL.
Timequake est un roman circulaire. Ce n'est pas étonnant, puisqu'on parle de boucle temporelle. J'ai déjà eu l'occasion de le dire ; chez Vonnegut, il y a toujours une recherche formelle, qui est probablement pour une bonne part dans le fait que les thèmes de ses romans fonctionnent si bien (franchement, construire un roman qui tient debout sur les prémisses de "Timequake", c'est pas donné à tout le monde).
Dans son livre, Kurt nous parle d'un roman, "Timequake one", dont celui-ci serait une ré-écriture. Il nous raconte aussi différents romans de Trout. Un roman qui raconte des romans, c'est très récursif, comme de juste. En plus, "Timequake" a été publié en 1997, soit en pleine période de "rerun", selon Kurt... et tous les écrivains actifs à cette période ont bien sûr été forcés de ré-écrire une seconde fois les mêmes oeuvres.
Je me suis évertué pendant longtemps à chercher le plus grand écrivain de Science Fiction, jusqu'à ce que je rencontre enfin Vonnegut.
C'est en effet un des rares écrivains qui vous proposent quelque chose de vraiment différent. Est-ce que ce n'est pas justement ce qu'on devrait attendre d'un grand écrivain de SF ? Quoique, Vonnegut ne fait pas tout à fait de la SF. Peut-être qu'il ne fait pas non plus tout à fait de la littérature. Mais il ne faut pas trois phrases pour reconnaître qu'on est dans un roman de Vonnegut. Et dans ce cas précis, il s'agit en plus d'un grand roman de Vonnegut. S'il y avait un timequake là maintenant, je le relirais une seconde fois avec plaisir.
"Then again, I am a monopolar depressive descended from monopolar depressives. That's how come I write so good."
mardi 15 décembre 2009
"De chair et de cendres" - Ehud Havazelet
Oubliable, par Ingannmic.
"De chair et de cendres" est un roman sur des êtres égarés, des individus qui à un moment de leur vie ont connu un drame ou subi un manque qui les ont laissés à jamais infirmes -au sens affectif du terme-, incapables de communiquer avec autrui, de maîtriser leur colère, ou encore de trouver tout simplement un sens à leur existence.
En tant que seul survivant de sa famille, Sol parvient difficilement à s'autoriser un quelconque bonheur. Taciturne, dur avec ses enfants, il est comme un étranger qui n'aurait pas appris le langage de l'affectif, du relationnel. Les souvenirs de son enfance, qui le hantent, mais qu'il n'a jamais voulu évoquer devant ses fils, creusent entre ces derniers et leur père une incompréhension mutuelle devenue insurmontable. L'auteur pose ainsi la question d'une certaine forme d'héritage que peut transmettre un rescapé de la Shoah. Il ne s'agit pas ici de la transmission d'un témoignage, mais de celle, moins tangible, de la conséquence des déréglements psychiques et sentimentaux qui affectent, pour toujours, l'individu. Sol a légué à ses fils, de façon inconsciente, par son mutisme et sa froideur, un malaise profond et indéfini, d'autant plus difficile à combattre qu'ils ne peuvent en identifier l'origine.
En dépit de la problématique posée, qui peut effectivement sembler intéressante, j'ai refermé ce livre avec le sentiment que je n'en conserverai pas un souvenir inoubliable... Ehud Havazelet y évoque des destins fort, mais le problème, c'est qu'il ne fait que les évoquer, justement, lançant des pistes qu'il n'explore jamais vraiment à fond. Cela tient sans doute au fait qu'il passe rapidement d'un personnage et d'un fragment de souvenir à l'autre, pour finalement ne s'attarder sur aucun, ce qui laisse au lecteur l'impression d'avoir croisé ses héros sans avoir jamais fait leur connaissance.
samedi 12 décembre 2009
« En attendant l’orage » - Graham Joyce
Voilà une lecture qui rallonge encore la liste des auteurs/romans que je découvre en allant fureter dans la cave de Thom. Il faut dire qu’étant rarement déçue (si, si c’est tout de même déjà arrivé), ladite cave est devenue une source d’inspiration régulière.
Encore une fois, il s’agit là d’une chouette découverte !
James, Sabine et leurs filles Beth et Jessie passent leurs vacances d’été en Dordogne, dans une vaste ferme rénovée entourée de champs de maïs. Ils sont accompagnés de trois amis : un couple et l’ex-secrétaire de James.
Le poids des secrets que dissimulent les uns et les autres se fait rapidement sentir, instaurant des tensions, ressuscitant les rancunes et les jalousies, entretenant un climat de suspicion.
La principale force d’ « En attendant l’orage » réside dans la subtilité avec laquelle l’auteur installe cette atmosphère lourde, chargée de conflits latents, qu’il met en parallèle avec les conditions météorologiques, comme si les perturbations du ciel se faisaient l’écho des déséquilibres humains. A moins que ce ne soit l’inverse ? Car tout est question de point de vue : selon l’angle d’approche qu’adopte le lecteur, l’interprétation des événements qui se déroulent dans le roman peut être sujette à variations. Certains y décèleront un parfum de fantastique, d’autres préfèreront y voir un drame psychologique… le mieux restant sans doute de ne pas réduire ce roman à un genre particulier, mais de se laisser embarquer par le talent de Graham Joyce, l’observer faire doucement émerger les démons de chacun, qu’ils soient réels ou imaginaires, inspirés par l’angoisse (de vieillir, de grandir, de passer à côté de sa vie…) ou par la folie.
jeudi 10 décembre 2009
"Le seigneur des porcheries" - Tristan Egolf
Ne vous laissez pas décourager par l’interminable et obscure 1ère phrase qui ouvre « Le seigneur des porcheries ». Les mystérieux termes qui y sont employés –« trolls, Village des nains, Hessiens des Coupe-gorge et autres citrons »-, vous seront expliqués en temps voulu, tout comme les événements qui ont mené à l’effroyable « crise » dont il y est question vous seront minutieusement exposés.
Mais d’abord, nous allons faire la connaissance de John Kaltenbrunner, héros anti-conventionnel qui, pour son malheur, est né à Baker, l’archétype du patelin de bouseux, où la médisance, la bigoterie, l’intolérance, l’hypocrisie et la bêtise règnent en maîtres depuis toujours. Enfant unique de la veuve d’un cadre des exploitations minières de la ville, John affiche dès son plus jeune âge sa différence : ainsi, à 8 ans, alors que ses professeurs le considèrent comme un attardé, il a remis à flot la ferme familiale délaissée par sa mère, et mis sur pied un élevage florissant de volailles. Investi corps et âme dans les projets d’extension dudit élevage, il aurait pu s’accommoder de sa solitude, du rejet subi de la part des autres enfants, mais une succession de malheurs, survenue alors qu’il n’est encore qu’adolescent, va irrémédiablement changer le cours de sa vie…
« Le seigneur des porcheries » est un roman dense, foisonnant, difficile aussi, en raison de son intense dimension tragique.
Deux phases principales se distinguent dans l’histoire de John. Dans un premier temps, il cumule une poisse de tous les diables et de telles vicissitudes que l’on se demande où il trouve la force de ne pas sombrer dans la folie, voire tout simplement de survivre… La deuxième partie sera celle de la revanche, celle où John mettra le nez des péquenots de Baker dans leur merde, au sens propre comme au figuré…
Et à ce moment-là, Tristan Eglof est si bien parvenu à nous gagner à la cause de son anti-héros, que l’on applaudit des deux mains ! On se réjouit de voir les plus miséreux, les plus méprisés, avoir pour une fois l’avantage sur ceux qui habituellement les conspuent. Le sous-titre du roman est d’ailleurs éloquent : « Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes ».
L’auteur semble avoir exprimé dans ce roman tout son dégoût pour une société profondément injuste, toute son amertume envers un système où les plus faibles sont anéantis, toute sa haine pour ceux qui, se croyant détenteurs d’une morale infaillible, font preuve d’étroitesse d’esprit et de méchanceté.
Rien n’échappe à sa plume acérée, et surtout pas les instances censées représenter les fondements de la communauté de Baker : l’école est « un reliquat pétrifié du principe de Satan le malin géré par des créationnistes irréductibles, des paranoïaques de la guerre froide », la justice condamne les innocents et laisse courir les coupables, et tout est à l’avenant, Tristan Eglof usant d'un ton à la fois désespéré et grinçant, et nous livrant une véritable orgie de métaphores irrésistibles.
mardi 8 décembre 2009
"Leaving Las Vegas" - John O'Brien
Pendant environ cinquante pages, nous suivons les pas de Sera. Sera est prostituée à Las Vegas. Cette ville est un élément capital de l'histoire, en est le mauvais génie. Ville bidon par excellence, artificielle, ville en trompe-l'oeil, des décors clinquants masquant l'horreur ou le néant. Les américains ont tenté de reléguer dans une île au milieu du désert le jeu, l'alcool, le sexe. Un Jurassic Park du vice. Île à l'intérieur de cette île : Sera.
Elle est la résignation personnifiée. Elle est pute comme on a les yeux bleus. C'est comme ça. On a envie de lui crier "Non !". Mais il n'y a pas d'horizon ; au delà des limites de la ville, derrière le dernier hôtel, il n'y a rien, le désert. Elle accepte, même les clients tordus, même un proxénète salaud, même les coups. De toute façon, on ne peut pas fuir plus loin que Vegas. Vegas est le terminus de l'humanité.
Deuxième partie. Nous laissons Sera pour suivre Ben.
C'est peu dire que Ben est un alcoolique. Ben passe ses jours et ses nuits à boire. Même qu'il ne pense qu'à ça. Il s'est bien sûr fait virer de son boulot. Donc, il n'a plus qu'une seule et unique activité (je parie que vous avez deviné laquelle).
Un seul petit souci : que faire si on se réveille à trois heures du matin avec une grande soif, et tous les magasins d'alcool fermés ?
Une solution : déménager à Las Vegas, là où l'alcool coule à toute heure.
Forcément, Ben et Sera vont se rencontrer, attirés comme les deux pôles d'un aimant. Sera ayant comme seule préoccupation de continuer à vivre, et Ben ayant comme seule perspective de mettre un terme à sa vie.
"He will feel her heart beat and sit in joyous wonder of her, someone who takes the trouble to work so hard just to live so hard: a neat trick."
Je ne vais pas vous raconter la fin. Mais n'espérez pas trop un happy end quand-même.
Le film m'avait bouleversifié, et le livre, bah, c'est la même chose.
Je me demande si c'est pas tout simplement l'ultime histoire d'amour que ce bouquin raconte. Enfin, d'habitude, l'amour, ça rime avec espoir, avec rêve, avec bonheur (ça doit être pour ça que les poètes parlent souvent d'amour, c'est facile pour les rimes). Même quand ça se termine mal ; même dans "Roméo et Juliette", les amants sont réunis dans la mort (pour toujours quoi ! si c'est pas mignon !). Mais si on retire tous ces attributs, qu'est-ce qui reste ? On pourrait dire qu'il reste l'huile essentielle de l'amour.
C'est quand on n'attend rien, qu'on sait que tout va mal, et va aller plus mal encore, qu'on est même finalement incapable d'aimer, mais qu'on ne peut quand-même résister à l'amour. L'amour est plus fort que tout, mais il ne triomphe de rien, voilà le constat de John O'Brien.
C'est pas tous les jours qu'un bouquin rentre directement dans mon top 10, mais c'est le cas ici (je dois avouer qu'il y a probablement bien plus que dix livres dans mon top dix, mais ça n'enlève rien au mérite de celui-ci).
vendredi 4 décembre 2009
« Dieu reconnaîtra les siens » - Elmore Leonard
L'habit ne fait pas le moine, par Ingannmic.
Je m’attendais à un roman grave et sérieux…
A ma décharge, je ne connaissais pas Elmore Leonard, et sans doute ai-je été induite en erreur par cette sombre couverture.
Et d’ailleurs, le début de l’histoire a d’abord conforté cette impression : nous sommes au Rwanda, juste après le génocide des Tutsis par les Hutus. Terry Dunn, missionnaire américain en charge de la paroisse d’Arisimbi, ne confesse plus les fidèles dans l’enceinte de son église depuis que les corps des 47 personnes qui ont été assassinées sous ses yeux y pourrissent.
Suite au décès de sa mère, il rentre aux Etats-Unis.
Bien vite, nous découvrons que le Père Dunn est un drôle de prêtre, qui se contente de dire la messe à Pâques et pour Noël, et qui entretient avec sa gouvernante Rwandaise des relations que l’on peut difficilement qualifier de chastes ! Et le reste du récit est à l’avenant, peuplé de personnages hauts en couleur, qui contournent avec allégresse les règles de la morale, de la légalité et de la bienséance.
Sous le couvert d’une intrigue aux ingrédients somme toute banals (meurtres et arnaques…), Elmore Leonard envoie valser avec insolence les pseudos valeurs sûres censées consolider de leur ciment l’équilibre de nos sociétés dites « civilisées » -la justice et la religion, notamment- et nous rappelle que « l’habit ne fait pas le moine » (c’est le cas de le dire !), l’humanité se dissimulant parfois sous des apparences trompeuses.
Et là où il fait fort, c’est qu’en même temps qu’il fait preuve d’un sens de la dérision parfois hilarant, cela ne l’empêche pas de traiter par ailleurs avec beaucoup de justesse le thème du génocide rwandais.
jeudi 3 décembre 2009
"Histoire de Lisey" - Stephen King
THE King, par Ingannmic.
mercredi 2 décembre 2009
"Le livre des illusions" - Paul Auster
- Tiens, salut Zaph, ça va ? Que lis-tu, en ce moment ?
- Ing, tu sais très bien ce que je lis, puisqu'on a décidé de le lire ensemble. Je lis "The book of illusions" de Paul Auster (sauf que moi, je le lis en VO, nananère). C'est pas parce que tu l'as terminé depuis une semaine qu'il faut en profiter pour rappeler une fois de plus que je suis un gros lambin !
- C'est vrai, où avais-je la tête (loin de moi l'idée de me moquer de toi, pour qui me prends-tu) ?
Et qu'en as-tu pensé ? En ce qui me concerne j'ai beaucoup aimé, surtout le procédé qu'utilise Paul Auster pour imbriquer les histoires les unes dans les autres...
- Moi aussi, j'ai beaucoup aimé. C'est vrai, je suis d'accord sur le procédé. Mais ce qui est remarquable, c'est qu'il ne semble pas du tout lourd. Pourtant, j'ai eu peur un moment, parce que raconter un film pendant des pages et des pages, c'est périlleux ! Mais Auster réussit à le faire très bien passer.
Et puis, ce qui est stimulant, c'est que non seulement les histoires sont imbriquées, mais elles se répondent de manière très subtile. Je ne suis pas sûr d'avoir détecté toutes les correspondances.
- Moi non plus.
Ce qui est fort, quand même, c'est qu'il parvient à nous absorber dans un espace-temps à part. Je m'explique : quand il nous raconte en détail les films d'Hector Mann, on oublie qu'on est en train de lire un roman qui lui-même parle d'un livre qui traite de ces films... pour être entièrement plongé dans ledit film ! Je crois que c'est dù au style très simple et descriptif de l'auteur : il s'oublie pour laisser la place à l'histoire et aux faits. Du coup, ça laisse la part belle à l'imagination du lecteur.
- Pour parler du thème (d'un des thèmes), il y a un rapport clair entre la destruction d'une oeuvre et la mort de son auteur, non ? On dit que les oeuvres d'art sont éternelles, ou confèrent une sorte d'immortalité à leur auteur. Est-ce que pour vraiment tuer un artiste, il faut aussi détruire son oeuvre ? Finalement, il n'y a que Chateaubriand qui s'en sort bien, dans l'histoire...
- Oui, si l'on considère que l'artiste recherche l'immortalité et la reconnaissance. Dans le cas d'Hector Mann, il m'a semblé que l'art était plus un but en soi qu'un moyen, puisqu'il n'a pas l'occasion de partager ses créations avec un public. En même temps, il semble le regretter puisqu'il considère cette non-diffusion de ses oeuvres comme une punition... mais il ne peut s'empêcher malgré tout de créer, et ce, sans les contraintes et les influences que peuvent habituellement subir les artistes, lorsqu'ils doivent rendre des comptes, se plier aux exigences commerciales du marché. Et il en résulte des oeuvres véritablement originales, novatrices. Serait-ce cela, l'art véritable ? Celui qui se suffit à lui-même, et dont la seule conception serait pour l"artiste un aboutissement ?
A vrai dire, Paul Auster m'a donné l'impression de poser ces questions sans donner de réponse, parce qu'il n'y a sans doute pas de réponse, tout simplement. Il explore, et nous fait explorer en même temps, les mécanismes qui poussent l'homme à réaliser des oeuvres d'art, et ceux qui poussent d'autres hommes à ressentir ces oeuvres, à être fascinés par elles... avec l'exemple de Zimmer, le personnage écrivain, qui lui, se plonge dans l'étude des films d'Hector Mann par instinct de survie, comme une bouée à laquelle il se raccroche pour ne pas sombrer après la mort de sa famille. Ainsi qu'il le dit lui-même, "(...) c'était alors pour moi la seule façon de vivre sans m'écrouler en morceaux".
- Oui, d'ailleurs, je ne parlais pas tellement de la diffusion de l'oeuvre, mais de sa simple existence. Mais c'est vrai que les interprétations sont multiples, et c'est ce qui est chouette.
Un autre aspect qui m'a marqué, c'est que malgré l'histoire à couches, les personnages sont bien dessinée. Même Hector Mann qui n'est présenté que de manière indirecte, est un personnage qui acquiert finalement une certaine richesse. Même les personnages secondaires sont habilement brossés, tu ne trouves pas ?
- C'est vrai. J'ai lu deux ou trois autres livres depuis, et pourtant, je me souviens très bien de tous ces personnages, y compris de ceux qui n'apparaissent qu'un court laps de temps, et aussi de ceux qui apparaissent dans les films d'Hector ! Je crois que c'est parce que comme je le disais plus haut, le style d'Auster exhorte le lecteur à l'imagination, et du coup, on s'investit complètement dans la lecture : on "voit" les personnages, et c'est vrai qu'en cela son style descriptif nous aide beaucoup. En fait, son livre est comme un film écrit...
- C'est sûr, il a le truc pour créer des personnages.
Je me souviens aussi des personnages de "Brooklyn follies" que j'ai lu il y a un bout de temps. En fait, je crois que je préfère encore celui-là. Mais c'est marrant, il parle aussi des thèmes de l'écriture et de la mort. Et toi, tu as lu d'autres livres d'Auster ? Quel est ton préféré ?
- Ma connaissance de cet auteur est très limitée : avant "Le livre des illusions", je n'avais lu que "Cité de verre" et "Revenants", qui sont les deux premiers volumes de ce qu'il a appelé sa "trilogie New-Yorkaise". J'avais bien aimé ces singuliers petits ouvrages (surtout le premier), que j'ai trouvés originaux. Mais j'ai tout de même préféré celui-là, et nul doute que j'en lirai d'autres (pourquoi pas "Brooklin Follies", justement ?).
- Ah, celui-là, je te le conseille. Je suis sûr que tu aimeras !
mardi 1 décembre 2009
"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" - Stefan Zweig
Mais on croirait que les lecteurs de ma bibliothèque sont à l'origine d'un grand complot pour m'empêcher de suivre peinard mon programme de lecture. Tous les exemplaires du "joueur d'échecs" étaient empruntés jusqu'à la fin du monde. Alors, voilà, je me retrouve avec "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".
lundi 30 novembre 2009
"The color of magic"- Terry Pratchett
dimanche 29 novembre 2009
"L'affaire Jane Eyre" - Jasper Fforde
Un gentil délire par Mbu
En lisant l’article de Sandrine sur Jasper Fforde, je me suis dite « voilà le genre de bouquin fait pour se détendre et s’évader un peu ». Et c’est exactement ce qu’il est. Une grosse plaisanterie qui joue sur les réalités – allant jusqu’à affecter la copie que l’on tient en main, puisqu’elle est publiée selon les critères de Goliath, la seule, l’unique multinationale à laquelle sera confrontée l’héroïne du roman.
Héroïne, entichée d’un dodo, qui porte le nom de Thursday Next (Jeudi prochain) et qui court après le méchant Acheron Hades, génie invulnérable et doté de pouvoirs spéciaux, aux plans purement diaboliques avec ce petit manque d'originalité, qu'il court aussi après l'argent. (Mais il se rattrape, en kidnappant Jane Eyre.) Les autres personnages du roman n’échappent pas non plus à l’homophonie et aux références mythologiques dans la construction de leurs noms.
L’affaire Jane Eyre nous entraîne donc dans une Angleterre uchronique dans laquelle le lecteur découvre peu à peu les différents codes, les différentes réalités. Ici, la guerre de Crimée n'a jamais pris fin et il est parfaitement normal d'avoir fait son service militaire en Crimée, ou de posséder une version de clone de dodo. La police s'occupe autant des criminels que de littérature et du temps. Si on s’étonne à la première apparition d’un drôle de père voyageur temporel qui mélange les époques et s’amuse à changer les références, à réparer, à bricoler l’histoire. On s’étonne moins à l’apparition d’un loup garou. Car dans ce monde obsédé de littérature, qui utilise les mêmes références que le notre, mais pas les mêmes valeurs, tout est possible.
L’histoire est rondement menée, avec des dialogues plein d’humour et beaucoup d’originalité. Bref, on se laisse volontiers embarquer dans ce délire très sympa.
samedi 28 novembre 2009
« Une page d’histoire et autres nouvelles » - Romain Gary
Inégal, par Ingannmic.
La maîtrise de la nouvelle est un art difficile… il faut en peu de mots capter l’attention du lecteur, donner de la consistance au récit, et surtout éviter de laisser l’impression que cette forme d’expression littéraire a été choisie par facilité.
« Une page d’histoire et autres nouvelles » confirme bien la difficulté à éviter ces écueils : en effet, sur ces cinq courts récits, deux m’ont véritablement plus, les autres me laissant un vague sentiment d’inachevé.
Les textes que j’ai aimés ouvrent le recueil, et s’intitulent « Le luth » et « Le faux ». Dans le premier, un diplomate en poste à Istanbul réalise, alors qu’il est âgé de 57 ans, qu’il est sans doute passé à côté d’une vocation artistique… La fin de l’histoire est tout à fait surprenante, d’un cynisme glaçant, et pourtant, elle n’est que suggérée ; c’est le lecteur qui devine, atterré, la terrible issue du récit. Cette nouvelle mériterait à elle seule qu’on lise ce recueil !
Le second texte –« Le faux », donc- met en scène un riche collectionneur d’art aux origines plus que modestes, qui se montre intransigeant quant à l’intégrité dont on doit faire preuve lorsqu’il s’agit de reconnaître l’authenticité d’une œuvre. Une inflexibilité dont il refusera de se défaire, quitte à se montrer particulièrement cruel. Romain Gary parvient en peu de mots à brosser un captivant tableau de ce que la nature humaine peut avoir d’intéressant lorsqu’elle oscille à la limite de la folie.
Les trois autres textes (« Noblesse et grandeur », « Une page d’histoire », et « Les habitants de la Terre ») sont eux aussi des variations sur le thème de la démence, mais ne possèdent pas la subtilité et l’aboutissement des deux premiers. Ils évoquent des pays en guerre (il s’agit clairement de la 2nde guerre mondiale) et mettent en scène aussi bien des bourreaux que des victimes de la folie meurtrière des hommes.
Je ne connaissais pas Romain Gary, et cette activité autour des « écrivains suicidés » a été l’occasion d’exhumer de ma PAL ce petit ouvrage, publié dans la collection Folio 2 Euros, qui est un extrait du recueil de nouvelles « Les oiseaux vont mourir au Pérou ».
Sans doute n’est-ce pas le meilleur choix pour découvrir cet auteur, et j’ai bien l’intention de lire un de ses romans.
jeudi 26 novembre 2009
"Si c'est un homme" - Primo Levi
mardi 24 novembre 2009
"Histoire d'une vie" - Aharon Applefeld
lundi 23 novembre 2009
"La Nostalgie de l’ange" - Alice Sebold
Dans l'intimité de la douleur, par Mbu
Une fille de 14 ans est violée avant d’être assassinée. On ne retrouvera que son omoplate, et quelques objets.
C’est elle qui, depuis son paradis, nous raconte son histoire, en un chapitre. Car pendant le reste du roman, elle observe sa famille depuis son paradis, avec la nostalgie de l’ange qu’elle est devenue, incapable de se détacher non seulement de sa famille, mais de l’avenir qu’elle avait devant elle et des rêves qu’elle ne réalisera pas.
Elle observe sa famille, on l’observe avec elle.
Voilà un roman qui sur un ton presque froid, descriptif, pénètre l’abominable et entraîne le lecteur voyeuriste, dans le deuil et la douleur d’une famille et plus encore, dans les mécanismes de la résilience de ses membres, des amis, du futur petit ami qui n’a pas eu le temps d’en devenir un et du meurtrier, traité de la même manière.
L’originalité du roman est là d’ailleurs, dans la lecture de ce journal d’outre-tombe qui observe de l’extérieur, et qui « comprend » mieux chacun des personnages.
Alice Sebold a écrit deux livres, qui tournent autour du viol, dont elle a une expérience personnelle. Dans son premier roman, elle aborde cette expérience de manière autobiographique. Ici on retrouve le viol, mais l’autre, le Unlucky, celui où la victime ne survit pas. La démarche se conçoit : elle explore ici non plus la souffrance/résilience de la victime, mais celle de sa famille.
J’ai lu la version anglaise : The lovely bones. Je ne pense pas que j’aurais acheté La nostalgie de l’ange, titre plus kitsch. J’ai trouvé les personnages bien dépeints, attachants et réalistes. Dommage que la fin ne respecte pas la cohérence d’un récit qui tourne autour de la famille : le « happy end » est-il donc une obligation, lorsqu’on traite de sujets aussi lourds ? On voit ici une famille qui guérit : n’est-ce donc pas suffisant ? Pour un peu, je n’aurais pas été étonnée de voir débarquer Michael Landon. C’est là à mon avis le danger de la démarche.
jeudi 19 novembre 2009
« Water Music » - T.C. Boyle
Le Niger… fleuve ô combien mystérieux pour les Européens de cette fin du XVIIIème siècle. Dans quel sens coule-t-il ? Où se jette-t-il ? Telles sont les questions auxquelles Mungo Park, explorateur écossais, a décidé de répondre, et c’est la raison pour laquelle il se trouve en Afrique. Pour l’heure, il a été fait prisonnier avec son guide par Ali Ibn Fatoudi, émir de Ludamar, et il se retrouve en mauvaise posture…
Pendant ce temps, à Londres, l’anglais Ned Rise a une fois de plus trouvé une combine pour empocher le maximum de livres en un minimum de temps...
L’ennui, avec les romans à trame historique, c’est que leurs auteurs donnent parfois le sentiment d’y asséner d’indiscutables vérités sans faire preuve de suffisamment de distance pour rappeler qu’il s’agit avant tout d’un roman, avec toute la subjectivité et la créativité que cela implique.
Ca tombe bien : l’ambition de TC Boyle n’est pas de coller à la vérité historique, ainsi qu’il nous en informe en avant-propos de « Water Music ». Et pour ceux qui ne l’aurait pas bien compris, il nous le rappelle par la bouche de son personnage Mungo Park : « Tu ne vois donc pas tout ce que mes écrits auraient d’insupportablement ennuyeux si je m’en tenais aux faits purs et durs et ne m’autorisais pas à les embellir ? (…) mais mes lecteurs ne le supporteraient jamais ! Ils veulent des faits ? Qu’ils lisent donc Hansard ou la rubrique nécrologique du Times. Non, quand on ouvre un livre sur l’Afrique, c’est de l’aventure qu’on veut, du merveilleux, des histoires (…). Et moi, justement, des histoires, c’est exactement ça que j’ai l’intention de leur donner, à mes lecteurs. Des histoires ! »
Et des histoires, de l’aventure, TC Boyle nous en donne, effectivement, et même à foison ! Des sordides bas-fonds de Londres d'une saleté repoussante, où survivent des créatures plus misérables les unes que les autres, à l’implacabilité de l’Afrique, où d’insupportables chaleurs succèdent aux pluies torrentielles et délétères, il nous décrit un univers picaresque, barbare, paillard, que l’on découvre avec émerveillement. Parce qu’en dépit de la violence du récit, des destins malchanceux, misérables, que l’on y croise, le ton est gouailleur, parfois même hilarant… et l’auteur joue de ce paradoxe, avec une certaine distance non dénuée d’humour, comme lorsqu’il prétend par exemple que l’enfance de son héros Ned Rise aurait « donné le frisson à un Zola » ! Et c’est vrai qu’au cours de ma lecture, il m’est arrivée de songer à l’auteur de « L’assommoir », voire aux « Misérables » de Hugo, tant le mauvais sort et la pauvreté semblent s’acharner sur certains des protagonistes, et aussi en raison de la puissance d’évocation qui émane de la description de leurs conditions d’existence. Mais j’ai aussi parfois pensé à « Je, François Villon » de Teulé, ou encore au Don Quichotte de Cervantès, lors de certains passages décrivant les tribulations de Mungo Park en Afrique…
Et si la découverte de « Water Music » évoque ainsi le souvenir de lectures aussi diverses, c’est sans doute parce que TC Boyle est parvenu à réunir, dans un seul ouvrage, en une habile symbiose, les composantes de plusieurs genres de littérature. On y retrouve en effet le suspense d’un roman d’aventures, le souffle d’un roman historique, la dureté d’un roman réaliste, avec l'humour en plus…
Il s’agit du premier roman de l’auteur, et du premier que je lis de lui, et je ne suis pas près d’oublier cette découverte !
dimanche 15 novembre 2009
"Le grondement de la montagne" - Yasunari Kawabata
Cette plaisante circonstance va me permettre de découvrir un autre livre de Yasunari Kawabata : "Le grondement de la montagne".
Kawabata est la subtilité en personne. On dirait que la vérité se trouve (et se cherche) dans les détails. Les personnages y sont très attentifs, comme si notre perception était incapable d'embrasser une échelle plus vaste. Pas de grand plan, de lois fondamentales, ni d'ordre supérieur, mais une suite de perceptions infimes qui dessinent petit à petit un univers. Cela contribue à créer un étrange sentiment poétique.
Avec ce livre, nous entrons dans le quotidien d'une famille japonaise, et surtout dans celui de Shingo, père de deux enfants dont les mariages respectifs sont en plein naufrage.
Il vient d'atteindre la soixantaine, et sent son esprit et sa mémoire faiblir, il se laisse accaparer par de petites choses, et se sent de plus en plus incapable de faire face aux problèmes réels.
Il se plonge volontiers dans des rêveries douces-amères, dont certaines sont empreintes de sensualité.
Nous retrouvons avec ce roman un des thèmes favoris de Kawabata : celui de l'homme vieillissant.
L'amour et la mort sont comme les deux pôles de la vie, mais deux pôles qui s'inversent petit à petit : plus on se rapproche de l'un, plus on s'éloigne de l'autre. Erotisme et sensualité semblent perdre leur consistance avec l'âge, pour se réfugier dans le domaine de la rêverie, et s'incarner parfois dans un simple regard.
Pourtant, le désir, lui, est toujours présent. C'est ce qui donne à ce texte cette tonalité si nostalgique et désabusée.
Connaissant les thèmes récurrents de cet auteur et ses obsessions un peu morbides, je ne peux pas dire que je suis surpris qu'il en soit venu à mettre fin à ses jours.
samedi 14 novembre 2009
« Le voyage dans le passé » - Stefan Zweig
L'amour... éternel ? par Ingannmic.
Se plonger dans ce roman de Stefan Zweig fut effectivement pour moi comme un voyage dans le passé. Après la lecture de dizaines de romans écrits pour la plupart après la 2ème moitié du XXème siècle, voire au XXIème, la facture classique de ce court récit m’a au départ un peu désarçonnée. Décrire la passion et le désir qu’éprouve le héros pour une femme en donnant l’impression que tout cela n’est que cérébral, me paraissait quelque peu désuet…
Ce héros, c’est Louis, jeune homme de condition modeste, qui à force de travail et de volonté, est remarqué par son patron, qui l’engage comme secrétaire particulier. Fonction qui exige que Louis loge chez son bienfaiteur. C’est là qu’il fait la connaissance de la femme de ce dernier, dont il s’éprend. Un amour platonique, et surtout partagé, ainsi qu’il va l’apprendre lorsque, envoyé en mission au Mexique, il doit quitter la France et faire ses adieux à sa belle. Les deux tourtereaux se promettent qu’au retour du jeune homme, ils se donneront l’un à l’autre. Oui mais voilà : la séparation est plus longue que prévu, et ce n’est que bien des années plus tard qu’ils se retrouvent.
C’est toute la palette du sentiment amoureux que décline Stefan Zweig : la naissance de la passion, l’attente, le doute, la reconnaissance de sa réciprocité. Et puis l’épreuve, celle de l’éloignement, avec le désespoir du début puis, peu à peu, la vie qui, continuant, cicatrise les plaies et enveloppe les souvenirs d’un voile de subjectivité.
Que devient alors le regard que l’on a pour l’objet de cet amour, après des années de séparation ? Les sentiments résistent-ils à l’épreuve du temps, au face-à-face avec la réalité retrouvée, qui, forcément, est en décalage avec les fantasmes entretenus par la mémoire ?
Il y a beaucoup de sensibilité dans ce court ouvrage, et finalement, le talent que déploie l’auteur pour nous faire vivre les turpitudes sentimentales de Louis et de son aimée, m’a fait passer un moment très agréable.
vendredi 13 novembre 2009
« L’empreinte de l’ange » - Nancy Huston
Histoire, histoires... par Ingannmic.
L’empreinte de l’ange est celle dont nous garderions la trace entre la racine du nez et la lèvre supérieure, laissée par le doigt qu’il poserait sur la bouche de tout être à naître, en signe de silence, pour lui faire oublier le paradis dont il vient, sous peine de quoi il n’accepterait jamais de venir au monde.
Ce n’est pas vraiment le paradis que Saffie, l’héroïne allemande du roman de Nancy Huston, tente, elle, d’oublier, mais plutôt l’enfer, lorsqu’elle débarque à Paris en cette année 1957...
A la recherche d’un emploi, elle répond à une petite annonce et échoue comme bonne à tout faire chez Raphaël, flutiste talentueux et fortuné. Pour lui, c’est le coup de foudre : il est fasciné par cette jeune femme passive et silencieuse, qui ne lui oppose aucune résistance ; il ne s’est pas écoulé quatre mois depuis leur rencontre qu’ils sont mariés, et que Saffie attend un enfant. Mais rien ne semble pouvoir épanouir ni même émouvoir la future maman…
On ne peut pas dire que le personnage de Saffie soit particulièrement attachant. Sa passivité agace, même si l’on pressent le poids de souffrance qu’elle dissimule. Face aux drames que l’Histoire a imposés à son existence, elle a choisi –si tant est que l’on puisse qualifier de choix les mécanismes que l’inconscient met en place pour se protéger- d’adopter une attitude quasi autistique, de se fermer totalement à tout ce qui l’entoure. Et même lorsque la découverte de l’amour la fait sortir de sa coquille, elle reste indifférente aux événements qui agitent le monde autour d’elle. Car l’histoire ne laisse jamais de répit aux hommes : à peine plus de 10 ans après la barbarie de la 2nde guerre mondiale, l’Algérie et la France sont de nouveau le théâtre de l’horreur.
A la distance avec laquelle Saffie perçoit le contexte historique et politique, Nancy Huston oppose l’implication d’Andras, ce juif hongrois qui ne peut tolérer sans agir que l’impensable se reproduise, que la récente tragédie qui a secoué l’humanité n’ait pas servi de leçon… peu importent pour lui l’origine, la nationalité ou les croyances religieuses des victimes d’exactions, son regard et sa sensibilité d’humaniste le poussent à s’engager quelque soit le combat, puisqu’il s’agit de lutter contre l’injustice.
Dans «L’empreinte de l’ange», l’auteure semble vouloir démontrer l’indissociabilité qui existe entre l’Histoire et les hommes, l’Homme faisant l’histoire, les individus la subissant, les destins personnels et les événements historiques s’entremêlant sans cesse.
Nancy Huston sait avec talent happer le lecteur dans son récit. Les mots sont justes, jamais superflus, le ton est direct. Même la relation de situations tragiques est, sous sa plume, dénuée de tout misérabilisme.
Elle sait aussi manier habilement l’ironie et le sarcasme, qu’elle utilise généralement dans le but de fustiger les manifestations de la bêtise humaine.
mercredi 11 novembre 2009
« Mémoires sauvés du vent » - Richard Brautigan
Le narrateur remonte le fil du temps jusqu’à l’époque de ses 12 ans. La 2nde guerre mondiale vient de s’achever, le pays garde encore les stigmates de la Grande Dépression des années 30, qui en laissé plus d’un sur le carreau. Il est de ceux-là : avec sa mère et ses deux sœurs, il forme une famille d’ "Assistés sociaux", un statut qui, associé à la bizarrerie de son caractère, l’isole des autres enfants. Il ne s’ennuie pas pour autant, en partie grâce à l’un de ses passe-temps favoris, la pêche à la truite, qui lui permet de faire de curieuses rencontres. Ainsi ce couple d’obèses qui installe chaque soir ses meubles en bord d’étang, ou ce vieux qui vit dans une cabane faite de caisses en bois, et qui a fabriqué une jolie barque et son appontement à de seules fins esthétiques…
Le roman se compose de scènes que l’on découvre telles des cartes postales qui nous seraient envoyées du passé, évoquant de pittoresques personnages pour lesquels le narrateur semble éprouver une affection particulière, teintée d’une nostalgie aux accents parfois amers, face au constat que ces laissés-pour-compte ne sont que des « Poussières d’Amérique » vouées à l’indifférence et à l’oubli… sauf si un écrivain prend la peine de « sauver du vent » ces destins négligeables qui sous sa plume –et le regard enfantin de son héros-, prennent des allures d’existences hors du commun.
« Mémoires sauvés du vent » est un roman court mais intense dans la mesure où il regorge à la fois de mélancolie, de fantaisie et d’un humour parfois grinçant à l’encontre d’un monde qui, tel qu’il est devenu, désespère l’auteur. Un monde d’apparences, qui tend à l’uniformisation des individus, et où l’addiction télévisuelle a supplanté le pouvoir de l’imagination et la richesse procurée par les échanges avec autrui.
Il s’agit du dernier roman de Richard Brautigan, qui se donna la mort deux ans après l’avoir écrit.
mardi 10 novembre 2009
"The one minute manager" - Ken Blanchard
C'est tout de même bizarre : l'économie américaine est réputée sans pitié, tu marches ou tu crèves, tu bouffes ou tu te fais bouffer. Les travailleurs et employés ne sont qu'une autre ressource, à côté du capital et des machines. Quand ils ont assez servi, qu'ils deviennent moins performants ou trop coûteux, on s'en sépare sans autre forme de sentimentalisme.
Et pourtant, c'est également des USA que nous vient toute une littérature sur le management qui replace l'humain en position centrale. On se souvient finalement que les fameuses "ressources humaines" sont composées d'êtres humains avec des désirs, de l'amour propre, des problèmes, et des motivations intrinsèques qui en fin de compte n'ont rien à voir avec les mécanismes économiques qui président au fonctionnement de l'entreprise.
Une personne motivée, qui aime son travail et qui s'y sent reconnue et valorisée sera forcément bien plus productive qu'une personne traitée comme un simple outil.
Ah, la productivité ! Nous y revoilà, fallait pas rêver, quand même ! Les entreprises ne travaillent pas au bonheur des gens.
Mais alors, faut-il s'en féliciter, ou résister, ne pas se laisser abuser par ces manipulations, ces belles paroles ?
Autre paradoxe à mon avis typiquement américain (mais que nous nous empressons d'importer en Europe) : la simplification à outrance.
La psychologie humaine est certainement un des domaines les plus complexes et les plus subtils qui soient (et on peut considérer le management comme une sous-branche de la psychologie). Pourtant, nulle part ailleurs on ne trouve telle quantité de bouquins qui vous promettent le succès à condition d'appliquer une poignée de recettes toutes simples et préformatées.
Il semble que pour qu'un livre de psychologie appliquée ou de management puisse remporter un certain succès, il doive impérativement se limiter à un nombre maximum de sept règles de base à appliquer au quotidien.
Le "one minute manager", lui, est champion de sa catégorie, puisqu'il réussit à condenser toute une théorie du management en trois pratiques très simples (présentées évidemment comme des "secrets", c'est plus vendeur). Comme il se doit, il faut moins d'une minute pour expliquer les bases de chacun de ces secrets.
En trois minutes, vous voici donc devenu un manager expert et chevronné.
On peut se demander pourquoi la même formule n'a jamais été appliquée à d'autres domaines tout aussi complexes.
J'imagine déjà le succès de titres comme "Devenez médecin en étudiant une minute par jour", ou encore "Trois idées simples pour éliminer la guerre dans le monde".
Mais non, curieusement, le management semble être le seul domaine où les gens sont disposés à accueillir favorablement ce genre d'affirmation. Mon exemplaire du "One minute manager" arbore d'ailleurs fièrement sur sa couverture la mention "The million copy bestseller". Au total, ça fait beaucoup de minutes de lecture... et je suppose, beaucoup d'excellents managers.
Alors bon, est-ce que ce bouquin m'a réellement appris quelque-chose ?
Sur le marketing oui, parce que réussir à vendre un million d'exemplaires de ce truc, non mais, faut être vachement fortiche en marketing !
Sur le management, euh, pas vraiment. Il n'y a rien de nouveau dans ce livre. Il faut donner des objectifs clairs, et puis du feedback sur leur réalisation. Si ça se sont les secrets du management, autant dire que le secret de la vie éternelle est de ne pas mourir.
Ce livre pourrait même être néfaste si on le prend à la lettre, et si on croit qu'appliquer trois techniques basiques suffit à faire un bon manager. Mais je ne dirais pas non plus qu'il est complètement nul. D'abord, il est vite lu, et assez plaisant à lire ; ensuite, il n'est jamais mauvais de rappeler quelques principes de base. On croit toujours les maîtriser, les principes de base ; pourtant, on serait étonné du nombre de fois où on oublie de les appliquer.
lundi 9 novembre 2009
"Frère et soeur" - Patrice Juiff
Voici un roman qui ne laisse pas indifférent(e)...
"Frère et Soeur" est un roman qui hypnotise et qui glace à la fois, qui bouscule aussi, car en dépit de l'aspect glauque de cette histoire, je l'ai trouvée extrêmement touchante.
dimanche 8 novembre 2009
"Hocus Pocus" - Kurt Vonnegut Jr.
Si quelqu’un sur ce forum a une haute idée, voire de l’estime, pour l’humain, qu’il passe son chemin. Le narrateur d’Hocus Pocus, cynique et sarcastique, démontre de manière plutôt convaincante, dans un texte complexe, monologue où s’entrecroisent les anecdotes, les diversions, les répétitions (le texte approche parfois de la langue orale), que l’humain est non seulement stupide, mais également cruel (euphémisme).
Et cela, avec humour. Mais quel humour ! (Vous connaissez les idées noires de Franquin ? Ben c’est pire.)
Résumons ce qui est résumable : le narrateur, cinquantenaire (si j’ai bien suivi) est un ancien général de la Guerre du Vietnam devenu professeur dans un collège pour riches élèves « en difficulté d’apprentissage » d’où il est viré pour cause de pessimisme (et d’adultère, accessoirement). Il passe alors une petite décennie comme enseignant dans la prison de la ville – prison pour noirs gardée par des japonais – jusqu’au jour où une évasion massive l’envoie à la case « prison » pour complicité dans la dite évasion. C’est donc depuis sa prison qu’en attendant son sort, le Général écrit, en vrac, sa vie, ses souvenirs et surtout les réflexions que cela lui inspire, profitant par la même occasion pour commenter le grand délire de cette fanfaronnade qu’est la vie et l’humanité.
Tout y passe : les USA d’abord, sa société, ses valeurs, la guerre, toutes les guerres, du moins les trois dernières, l’hypocrisie et l’ignorance des classes dirigeantes et des bons bourgeois bien pensant, le mariage et la famille, les parents, le racisme… Tout.
Ce qui tient de l’art ici, c’est que si les sujets ne sont pas nouveaux, ni les réflexions d’ailleurs, ils sont présentés avec les bons mots, les bonnes phrases, comparaisons, métaphores qui frappent dans le mille. Ca tape là où ça fait mal. Aouch.
C’est aussi une « uchronie ». Donc une fiction, un monde imaginaire, qui n’a rien d’utopique. Mais d’un tel réalisme qu’après ça je ne serai pas étonnée de trouver des japonais et autres puissances étrangères à la tête des principales institutions américaines. Il faut dire que l’uchronie est légère, elle exagère juste un peu en tirant sur des possibilités non réalisées.
Le texte que j’ai lu n’avait pas d’illustration, je vais donc en chercher sur le net pour cet article et les découvre en même temps : et je suis étonnée. Elles ne correspondent en rien à ce que j’aurais pu imaginer pour illustrer la couverture de ce texte : trop légère, genre « tout ceci est une grosse grosse blague ! » Je me pose la question de la lecture de ce texte en même temps que l’on en connaît l’illustration.
Ce que je sais, c’est que samedi soir j’ai rencontré un ami qui croit très fort en l’humanité : comment il en est venu à me parler de çà alors que justement je suis en train de lire ce bouquin, je ne sais. Hasard ? Voilà-t’y pas qu’il commence à me parler de sa foi en l’évolution de l’humanité vers un état de bonté, d’égalité… Ceci, en se basant sur la recherche perpétuelle de l’humanité à devenir meilleur, à se perfectionner. Euh… au niveau individuel ou collectif ?
Ce soir-là, j’ai dû salement casser l’ambiance. Faut pas lire Vonnegut avant d’aller à des soirées mondaines, ça … jette un froid.
Mon premier K. Vonnegut Jr. L’abus est-il nuisible à la santé ?