L'Avis de Thom
Comme souvent chez Faulkner, tout n'est qu'une histoire de destins croisés. Ici, une jeune fille enceinte traverse tous les Etats-Unis et atterit à Jefferson afin de retrouver le père de son enfant, un certain "Lucas Burch" dont personne n'a jamais entendu
parler.
Et comme souvent avec Faulkner, le destin se joue des personnages. La jeune femme débarque le jour même où ce petit patelin loin d'être tranquille est en ébullition suite au meurtre d'une des notables locales. Comme dans la fable de La Fontaine, on
va vite crier harrot sur le baudet, et en l'occurence le baudet est le brave Joe Christmas (déjà rencontré dans "Soldier's Pay"), un marginal refusant de s'insérer dans les commérages locaux, et qui plus est doté de la pire des tares aux yeux d'un cul-terreux du Mississipi: du sang noir coule dans ses veines...
"Light In August" est probablement de tous les romans de Faulkner celui qui est le mieux construit, en cela justement qu'il n'a pas l'air du tout d'être construit (vous me suivez ? ). Tout semble partir dans tous les sens, avec des chapitres entiers où rien ne se passe et d'autres où l'on croule sous les évènements, et finalement, arrivé à la moitié du livre, tout s'emboite miraculeusement ! C'est la magie de Faulkner, dont on dit qu'il a réécri ce livre plus de 40 fois (personnellement je veux bien le croire!).
Pour une fois, il ne nous triture pas trop la chronologie (ce qu'on ne peut qu'apprécier) et se contente de quelques flashbacks explicatifs. Surtout, il brosse ici le portrait de Joe Christmas, assurément son personnage le plus incroyable, inoubliable...le plus drôle, le plus attachant et par conséquent le plus humain. Alors qu'on se fout éperdument de ce qui va arriver aux autres, on est totalement happé par le destin (forcément tragique de Joe).
Il est rare que Faulkner centre un de ces romans sur un caractère précis, ce qui rend "Light In August" d'autant plus charmant qu'il va finalement à contre courant de tout ce que l'auteur à fait auparavant. Ecrit entre "Sanctuary" et "Pylon", c'est une oeuvre charnière entre ces deux "périodes". De plus en plus, on pense à un
pendant agricole et américain de La Comédie Humaine. En plus sombre, en plus désespéré...un long fait divers tragiquement banal, tragiquement humain.
L'Avis de Zaphod
En fait, je ne sais même pas très bien quoi dire sur ce livre, si ce n'est qu'il m'a laissé l'impression d'une maîtrise totale. Faulkner m'a pris par le bout du nez, moi pauvre petit lecteur, et m'a amené à travers son histoire sans que je puisse m'écarter d'un pas du chemin tracé.
Il y aurait probablement beaucoup à dire sur la technique de narration de l'auteur, qui -parait-il, est un génie en la matière, mais comme toute technique maîtrisée à la perfection, elle devient complètement transparente pour les profanes comme moi, pour ne laisser paraître que l'efficacité du récit. Non, aucune ficelle visible ici, tout se tient parfaitement.
J'ai trouvé superbe la manière dont il commence l'histoire en suivant Lena à la recherche de Burch. Et puis à un moment, comme par hasard, le récit croise la route de Joe Christmas. Et on a l'impression que Faulkner se dit "tiens, finalement, ce Christmas m'a l'air d'un personnage plus intéressant, on va plutôt le suivre lui". Et tant pis pour le lecteur qui a envie de savoir l'issue de la quête de Lena. De toutes façons, on s'aperçoit vite qu'en réalité, c'est l'histoire de Christmas qu'on veut connaître ; le reste attendra. Voilà ce que j'appelle se faire mener par le bout du nez. C'est vrai qu'il ne raconte pas de façon chronologique, il raconte simplement ce qui est important de raconter à ce moment du récit, et voilà pourquoi cela passe très bien.
Il ne fait pas de concessions, Faulkner. Il est dur avec ses personnages. Je n'en ai trouvé aucun très sympathique. Mais il leur donne une réalité terriblement tangible, en fait des personnes mémorables plus que des personnages.
Tout son art est d'arriver à nous faire sentir et comprendre des personnages terribles, minables et gigantesques à la fois ; incompréhensibles parce qu'ils se confrontent avec des valeurs et une morale révolue, incarnée par la "ville" bien pensante, affublée d'yeux et d'oreilles, qui vous observe et vous juge implacablement, qui vous digère, vous rejette, vous ignore ou vous condamne ; une morale liée à ce Sud qui sombre peu à peu, mais une morale d'autant plus impérative qu'elle sombre, justement, à cette époque, à cet endroit du monde ; mais nous savons qu'elle renaîtra, que le puritanisme redeviendra fanatisme, et le fanatisme redeviendra haine, tel un démon jamais totalement vaincu, et d'autant plus redoutable qu'il prend la forme d'un Dieu ; c'est ce que nous révèle ce livre, dans la cruelle lumière d'Août, qui montre sans concessions les spectres tapis dans les plus inaccessibles coins d'ombre de l'âme humaine ; et c'est une phrase vachement longue que je viens d'écrire, donc je vais la terminer ici, même si elle ne veut pas dire grand chose.
A la fin, une sensation d'avoir lu quelque chose de fort, comme ces cocktails où l'alcool, dissimulé derrière le goût des fruits, n'en fait pas moins son effet. Quand on repose ce livre, on a un peu la tête qui tourne.
L'aube point : la lumière du jour, cet instant gris et solitaire pendant lequel les oiseaux s'essaient doucement au réveil. L'air qu'on respire est comme l'eau d'une source. Il respire profondément, lentement, se sentant lui-même, à chaque respiration, dilué dans la grisaille neutre, assimilé à cette quiétude, à cette solitude qui n'ont jamais connu la rage ni le désespoir. " C'est tout ce que je voulais, pense-t'il avec un étonnement tranquille et lent. C'est tout, depuis trente ans. Ce n'était pas demander beaucoup, il me semble, en trente ans. "
Comme souvent chez Faulkner, tout n'est qu'une histoire de destins croisés. Ici, une jeune fille enceinte traverse tous les Etats-Unis et atterit à Jefferson afin de retrouver le père de son enfant, un certain "Lucas Burch" dont personne n'a jamais entendu
parler.
Et comme souvent avec Faulkner, le destin se joue des personnages. La jeune femme débarque le jour même où ce petit patelin loin d'être tranquille est en ébullition suite au meurtre d'une des notables locales. Comme dans la fable de La Fontaine, on
va vite crier harrot sur le baudet, et en l'occurence le baudet est le brave Joe Christmas (déjà rencontré dans "Soldier's Pay"), un marginal refusant de s'insérer dans les commérages locaux, et qui plus est doté de la pire des tares aux yeux d'un cul-terreux du Mississipi: du sang noir coule dans ses veines...
"Light In August" est probablement de tous les romans de Faulkner celui qui est le mieux construit, en cela justement qu'il n'a pas l'air du tout d'être construit (vous me suivez ? ). Tout semble partir dans tous les sens, avec des chapitres entiers où rien ne se passe et d'autres où l'on croule sous les évènements, et finalement, arrivé à la moitié du livre, tout s'emboite miraculeusement ! C'est la magie de Faulkner, dont on dit qu'il a réécri ce livre plus de 40 fois (personnellement je veux bien le croire!).
Pour une fois, il ne nous triture pas trop la chronologie (ce qu'on ne peut qu'apprécier) et se contente de quelques flashbacks explicatifs. Surtout, il brosse ici le portrait de Joe Christmas, assurément son personnage le plus incroyable, inoubliable...le plus drôle, le plus attachant et par conséquent le plus humain. Alors qu'on se fout éperdument de ce qui va arriver aux autres, on est totalement happé par le destin (forcément tragique de Joe).
Il est rare que Faulkner centre un de ces romans sur un caractère précis, ce qui rend "Light In August" d'autant plus charmant qu'il va finalement à contre courant de tout ce que l'auteur à fait auparavant. Ecrit entre "Sanctuary" et "Pylon", c'est une oeuvre charnière entre ces deux "périodes". De plus en plus, on pense à un
pendant agricole et américain de La Comédie Humaine. En plus sombre, en plus désespéré...un long fait divers tragiquement banal, tragiquement humain.
L'Avis de Zaphod
En fait, je ne sais même pas très bien quoi dire sur ce livre, si ce n'est qu'il m'a laissé l'impression d'une maîtrise totale. Faulkner m'a pris par le bout du nez, moi pauvre petit lecteur, et m'a amené à travers son histoire sans que je puisse m'écarter d'un pas du chemin tracé.
Il y aurait probablement beaucoup à dire sur la technique de narration de l'auteur, qui -parait-il, est un génie en la matière, mais comme toute technique maîtrisée à la perfection, elle devient complètement transparente pour les profanes comme moi, pour ne laisser paraître que l'efficacité du récit. Non, aucune ficelle visible ici, tout se tient parfaitement.
J'ai trouvé superbe la manière dont il commence l'histoire en suivant Lena à la recherche de Burch. Et puis à un moment, comme par hasard, le récit croise la route de Joe Christmas. Et on a l'impression que Faulkner se dit "tiens, finalement, ce Christmas m'a l'air d'un personnage plus intéressant, on va plutôt le suivre lui". Et tant pis pour le lecteur qui a envie de savoir l'issue de la quête de Lena. De toutes façons, on s'aperçoit vite qu'en réalité, c'est l'histoire de Christmas qu'on veut connaître ; le reste attendra. Voilà ce que j'appelle se faire mener par le bout du nez. C'est vrai qu'il ne raconte pas de façon chronologique, il raconte simplement ce qui est important de raconter à ce moment du récit, et voilà pourquoi cela passe très bien.
Il ne fait pas de concessions, Faulkner. Il est dur avec ses personnages. Je n'en ai trouvé aucun très sympathique. Mais il leur donne une réalité terriblement tangible, en fait des personnes mémorables plus que des personnages.
Tout son art est d'arriver à nous faire sentir et comprendre des personnages terribles, minables et gigantesques à la fois ; incompréhensibles parce qu'ils se confrontent avec des valeurs et une morale révolue, incarnée par la "ville" bien pensante, affublée d'yeux et d'oreilles, qui vous observe et vous juge implacablement, qui vous digère, vous rejette, vous ignore ou vous condamne ; une morale liée à ce Sud qui sombre peu à peu, mais une morale d'autant plus impérative qu'elle sombre, justement, à cette époque, à cet endroit du monde ; mais nous savons qu'elle renaîtra, que le puritanisme redeviendra fanatisme, et le fanatisme redeviendra haine, tel un démon jamais totalement vaincu, et d'autant plus redoutable qu'il prend la forme d'un Dieu ; c'est ce que nous révèle ce livre, dans la cruelle lumière d'Août, qui montre sans concessions les spectres tapis dans les plus inaccessibles coins d'ombre de l'âme humaine ; et c'est une phrase vachement longue que je viens d'écrire, donc je vais la terminer ici, même si elle ne veut pas dire grand chose.
A la fin, une sensation d'avoir lu quelque chose de fort, comme ces cocktails où l'alcool, dissimulé derrière le goût des fruits, n'en fait pas moins son effet. Quand on repose ce livre, on a un peu la tête qui tourne.
L'aube point : la lumière du jour, cet instant gris et solitaire pendant lequel les oiseaux s'essaient doucement au réveil. L'air qu'on respire est comme l'eau d'une source. Il respire profondément, lentement, se sentant lui-même, à chaque respiration, dilué dans la grisaille neutre, assimilé à cette quiétude, à cette solitude qui n'ont jamais connu la rage ni le désespoir. " C'est tout ce que je voulais, pense-t'il avec un étonnement tranquille et lent. C'est tout, depuis trente ans. Ce n'était pas demander beaucoup, il me semble, en trente ans. "
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