jeudi 28 février 2008

Des gens comme les autres - Alison Lurie

Par Zaph


Janet, auteure de nouvelles en manque d'inspiration, espère se ressourcer lors d'un séjour à Illyria, une résidence pour artistes, où l'environnement isolé, le luxe et la tranquillité sont supposés favoriser la création artistique.


"Mais..." -nous dit la quatrième de couverture, car il y a un "mais":

"Mais au contact de cet environnement de créateurs -un peintre, un écrivain, un poète -, elle se demande si l'on peut répondre à cette (désopilante) question: les artistes sont-ils de gens comme les autres?"

D'abord, je dois avouer que le côté désopilant de la question m'échappe légèrement. Ensuite, franchement, y avait-il besoin d'écrire un livre pour répondre à cette question? Il suffisait tout simplement de me le demander.
La réponse est... oui.
Ça vous étonne?

Et les sportifs alors? Sont-ils des gens comme tout le monde?
Et les fonctionnaires?
Tenez-vous bien, aussi incroyable que cela puisse paraître, je me suis laissé dire qu'il existerait même des artistes fonctionnaires qui pratiquent le sport.
Et ils sont -devinez comment?
Mais oui! Comme tout le monde.

Tellement "comme tout le monde" (et c'est la peut-être qu'Alison Lurie réussit sa démonstration), qu'après 150 pages, je mélangeais encore tous les personnages.
Il a fallu qu'elle me rappelle dix-huit fois que Léonard était le critique littéraire et Kenneth le peintre pour que je commence à les différencier.
A moins que ce ne soit l'inverse. J'ai un doute subitement.

Juste avant ce livre (c'est sans doute pas de bol pour Lurie), j'avais lu "Le coeur est un chasseur solitaire". Eh bien, la petite Mick, qui se joue des symphonies dans sa tête, est un personnage mille fois plus émouvant que les artistes dépeints par Lurie.

Et puis, il y a ce lieu, Illyria, dont on suppose qu'il devrait être un lieu magique, sauf qu'il ne m'a inspiré aucune impression de magie... seulement de l'ennui.

Je trouve donc que ce roman est un peu raté. Pourtant, j'avais été agréablement surpris par "La vérité sur Lorin Jones", de la même auteure. Elle est capable de mieux, c'est sûr. Peut-être qu'un petit séjour à Illyria...

Beau rôle - Nicolas Fargues

Par Laiezza

Avec un titre pareil, on se prend à rêver ! Un beau rôle ? Du beau Nicolas Fargues ? Dans "One man show", puis "J'étais derrière toi", l'auteur a su se mettre en abime de manière originale. Le cynique à claquer qui nous séduit quand même (wouhou !!).

Dans "Beau rôle", on suit le parcours d'Antoine Mac Pola. C'est un énième héros made in Fargues : le gendre idéal qui masque un côté obscur odieux. Il pourrait porter le même nom que le personnage de "One man show". Sauf que lui, il est acteur, et sa cote grimpe, grimpe, grimpe. La voie du succès est toute tracée, mais l'auteur nous ménage un rebondissement pour le moins...rebondissant : Antoine est métis. On ne le découvre qu'en cours de route, au quart ou à la moitié selon les gens, de toute façon trop tard pour que ça ne donne pas l'impression de venir là comme un cheveu sur la soupe dans laquelle il : crache, bien sûr.

Je me demande comment il est possible de si peu évoluer. Dans "One man show", il y avait deux gros défauts, rédhibitoires à mon gout : la tentation du "name-dropping" permanent, et deux histoires parallèles qui s'emboitaient mal. "Beau rôle" c'est pareil, mais en pire. Rien n'est crédible, tout fonctionne de travers, ce n'est même plus drôle, c'est même parfois gênant. Je vais dire une monstruosité, mais bon : quand on voit les réflexion d'Antoine sur son "rapport à sa couleur", à l'ambigüité (de façade) de son "succès ethnique", on sent bien que Nicolas Fargues est un bon blanc, bien propre sur lui. Tous ces passages sont d'un simpliste consternant, ou comment en voulant casser les clichés sur l'ethnicité, et la discrimination positive plus ou moins consciente, un écrivain peut finir par les renforcer d'une manière très, très dérangeante dans la France de 2008. Dans le meilleur des cas, la couleur de peau du héros sera une caution sociale. Ce qui est, déjà, dérangeant. Pour la réflexion, par contre, mieux vaut relire "Effacement".

L'aspect "succès story ciné" du bouquin, souffre du même problème : Nicolas Fargues n'ayant utilisé pour documentation que quelques numéros de Closer, et deux ou trois discussions avec des peoples dans les coulisses de Ruquier, il enfile les clichés sur le cinéma, comme autant de perles. Oui, elle est agaçante, cette "grande et belle famille du cinéma français", toujours unie, toujours con-sensuelle. Mais de là à lui reprocher tout, n'importe quoi, et leur contraire, sans la moindre nuance...Non, il me manque quelque chose : l'empathie. Nicolas Fargues ne témoigne que d'un vif mépris pour ses personnages, et pour l'univers dans lequel ils évoluent. Rien ne trouve grâce à ses yeux, au point que j'ai fini par me demander quel intérêt il pouvait bien trouver à écrire là-dessus.

Un bon point, tout de même : c'est agréablement écrit. Je dois le reconnaitre. C'est plutôt ce que sous-entend la morale du livre, qui m'a vraiment agacée. Mais vraiment : beaucoup.

dimanche 24 février 2008

"Oubliez Adam Weinberger" - Vincent Engel

Roman à double facette, par Ingannmic.


Surprenant roman que cet ouvrage!
En première partie, Adam Weinberger relate ses émois d'adolescent. Il est juif, vit en Pologne et est le cadet d'une famille de 4 enfants. Le ton est celui de la jeunesse, indigné face aux injustices, truffé d'interrogations (sur le monde et sur lui-même), parfois immature voire naïf, les expressions que le garçon utilise peuvent quelquefois paraître simplistes.
Puis, en approchant de la fin, cette 1ère partie témoigne d'une menace grandissante, de plus en plus oppressante. Hitler a pris le pouvoir en Allemagne, et les événements qui se déroulent en Europe sont annonciateurs de la "traque" que vont bientôt subir les juifs, et que chaque membre de la famille Weinberger pressent de façon différente.
Le style gagne en maturité et en tension dramatique, le lecteur se sent saisi d'effroi devant l'inexorable et abominable machination qui se met en place, et contre laquelle les protagonistes sont impuissants.

Ensuite, le récit bascule. Il est, dans une seconde partie, écrit à la 3ème personne du singulier. Plusieurs personnages ayant connu Adam devenu adulte (et rescapé des camps de concentration, dans lesquels toute sa famille a péri), témoignent.
L'adolescent s'est transformé en un médecin plus que dévoué à ses patients, taciturne, et qui semble vidé de toute sa substance.
Face à l'horreur de l'extermination, les mots ont pour lui perdu tout leur sens, et c'est paradoxalement grâce à son talent dans l'art de les manier (les mots), qu'Engel parvient à décrire puissamment et justement le malaise du survivant...

Bravo!...