dimanche 30 novembre 2008

Ian McEwan : des hauts et des bas

Respectons la tradition, en ce dernier jour de Novembre, et faisons un mini-bilan de notre ex-Aristochat avant d'accueillir demain son remplaçant.

Comme les valeurs boursières ces derniers temps, le cours de Ian McEwan aura connu des hauts et des bas (mais quand-même un peu plus de hauts que la bourse). Personnellement, je trouve cela plus amusant que les Aristos qui font l'unanimité dans un sens ou dans l'autre, même si j'aurais pu espérer des discussions un brin plus véhémentes.
Mais il faut croire que les Chats ont acquis une maturité remarquable, chacun exprimant son opinion de manière franche et constructive tout en respectant celle des autres.




Sandriiine
Un aristo assez étrange pour moi : soit j'aime vraiment pas ( Sous les draps; Délire d'amour; Les chiens noirs; Amsterdam) soit j'adore (Samedi et Expiation). 2 contre 4 mais quels 2 !!! De vrais coups de coeur!!! J'en lirai d'autres pour pouvoir trancher :) (dont le dernier qui me semble prometteur).




Sandrounette
Le cycle de cet Aristochat ne sera pas marqué pour moi par l'abandon de ma lecture de "Samedi". J'avoue que je n'ai pas fait beaucoup d'effort... Par contre, quel emballement, quel coup de cœur, quel bonheur j'ai ressenti avec "Expiation"! Il restera longtemps gravé en
moi... J'attends avec impatience de pouvoir lire le dernier qui me plaira sans doute!
Encore une fois, il s'agit d'un auteur que je n'aurais peut-être pas découvert toute seule.. Merci les Chamis!




Lhisbei
Voilà c’est l’heure du bilan de l’Aristochat. Que dire ? Je partais très enthousiaste à la découverte de Ian McEwan. J’ai commencé par "Expiation" l’un de ses romans les plus connus et les plus appréciés mais qui ne m’a pas emballée. Je me suis forcée pour finir ma lecture et j’en garde un sentiment d’ennui profond. J’ai ensuite tenté à trois reprises de lire "Samedi" mais impossible d’en venir à bout. Abandon en cours de route. J’avais très envie de découvrir cet auteur mais le
coup de foudre n’a pas eu lieu… dommage.




Ingannmic
Tout comme Lhisbei, je nourrissais de grands espoirs concernant la découverte de McEwan. J'avais prévu de lire au moins 4 de ses romans et je me suis arrêtée à 2 ("L'enfant volé" et "Amsterdam") : je reconnais certes son talent, mais moi aussi je me suis ennuyée en le
lisant. J'ai tout de même l'intention -mais plus tard, là j'ai eu ma dose- de lire "Le jardin de ciment", que la critique de Thom me donne vraiment envie de découvrir.




Zaph
J'apprécie l'écriture de cet auteur, et c'est déjà beaucoup. Je trouve qu'elle fait particulièrement mouche dans "Délire d'amour". "Samedi", par contre, bien qu'ayant suscité mon intérêt, ne m'a pas réellement emballé. Je note "Sur le plage de Chesil", car la critique publiée sur le blog m'a vraiment donné envie de le lire, et je crois que McEwan peut encore me réserver de belles surprises !

samedi 29 novembre 2008

"Le seigneur de Bombay" - Vikram Chandra

Le parrain, version Bollywood par Mbu

Sartaj Singh, petit inspecteur sikh peu ambitieux est en train de faire l’assaut de l’inattaquable bunker blanc dans lequel se cache Ganesh Gaitonde, le parrain hindou. Autant dire que cela ne manquera pas de faire avancer la carrière du policier. Mais pendant qu’il tente de pénétrer dans le fort, Ganesh, dont la caméra surveille chaque geste de l’inspecteur, se met à lui raconter sa vie. Et l’inspecteur écoute l’étrange confession de l’arrogant criminel jusqu’au moment où il trouve enfin moyen de forcer la porte du fort. Il entend encore la question du gangster avant de couper la communication : « Sartaj, tu crois en Dieu ? »

C’est le corps de Ganesh et celui d’une femme, qu’il trouvera à l’intérieur. Rien de spécial, le gangster s’est suicidé après avoir tué la femme. Point final. Sauf que les services secrets s’intéressent de près à cette affaire et, sur la base de rien, décident de charger Sartaj de continuer à mener l’enquête. Ce qui les taquine ? Le bunker était un abri anti-nucléaire… En plein Bombay…

Ce roman est à plusieurs voix, dont les deux essentielles sont celles de Sartaj Singh et de Ganesh Gaitonde. Si Ganesh n’a pas pu entièrement se confier à Sartaj, il se confesse en revanche auprès du lecteur, lui révélant tout de sa vie, de ses pensées, de son intimité et de ses doutes. Il s’étonne lui-même de ce qu’il est devenu, il se voit contraint d’être le porte drapeau d’idéologies qui le laissent indifférent, il est monstre et homme à la fois. Et puis en face il y a Sartaj Singh, dont le narrateur parle sans plonger aussi intimement en lui, mais qui a autant d’importance que le mort. Car si les chapitres sont en miroir, ils sont anachroniques et c’est en suivant Sartaj dans sa routine quotidienne (et accessoirement son enquête sur le mafioso) que l’on découvre ce qu’a été Ganesh.

Par trois fois, des Incipit nous font quitter le récit pour explorer l’histoire de personnages secondaires et je me suis retrouvée étonné de revenir à mes deux personnages qui faisaient déjà partie d’une autre histoire dans ma mémoire. Eux-mêmes semblent obsédés par le passé, de manière presque trop redondante. Ils semblent moins contrôler ce qu’ils font que se laisser emporter et ce n’est peut-être pas pour rien que Ganesh passe la moitié de sa vie, sur un bateau tandis que les pensées de Sartaj flottent tout autant à la dérive, métaphoriquement.

Car si le roman a tout d’un polars au début, et c’en est un, cela n’est finalement qu’un prétexte pour nous faire plonger dans la grouillante Bombay, cité chaotique aux mille visages. Des questions métaphysiques de Ganesh au désappointement d’un Sartaj qui va jusqu’à se demander s’il faut vraiment sauver Bombay ou au cynisme de son coéquipier, de la corruption qui ronge tout aux extrémistes avides de pureté, de la laideur des ghettos aux fastes de Bollywood et aux icônes-putains le lecteur n’est pas épargné, il en prend plein les yeux, plein les tripes, mais se sent parfois un peu perdu, à force de tenter de suivre les multiples histoires encastrées. Un bon roman, qui va me manquer, mais ne déchaîne pas les passions non plus.

vendredi 28 novembre 2008

"Sur la plage de Chesil" - Ian McEwan

Son bonheur était presque parfait, par Thom

Voilà bien longtemps qu'Ian McEwan, qui n'est pas spécialement connu pour être ni un grand comique ni un gentil romantique, n'avait pas commis un livre aussi tendre, délicat... pour ne pas dire tout simplement humain. Généralement adepte de la noirceur la plus totale, virtuose de l'oppression (Cf. son précédent roman, « Saturday ») excellant à broyer ses personnages sous les intrigues les plus vicieuses... McEwan, vraiment, ne semblait pas sur le papier apte à faire pleurer dans les chaumières - si ce n'est évidemment d'angoisse. C'est donc avec un certain scepticisme qu'on s'aventure sur cette plage de Chesil ; le texte après tout est court, « For You » vient de paraître en Angleterre... celui-là a donc de grandes chances de n'être qu'un petit récit intermédiaire.

Surprise : non seulement « On Chesil Beach » est loin d'être un McEwan mineur, mais il marquera sans doute durablement l'œuvre de l'auteur - sa délicatesse et sa douceur tranchant avec la noirissime trilogie (1) qu'il vient de conclure. Ou comment un couple de jeune mariés se retrouve enfin seul, en tête à tête, le temps d'une nuit de noce tant attendue... qui va se révéler cauchemardesque.

Deux personnages, peu de mots, une poignée de flashbacks et une œuvre où les non-dits ont presqu'autant de place que la narration elle-même... dans « On Chesil beach », McEwan atteint un degré d'épure difficile à concevoir tant qu'on ne l'a pas lu. Car à une écriture inhabituellement sensuelle (du moins pour lui) il ajoute ici un don incroyable pour la suggestion, le sous-entendu... à mile lieues du foisonnement de « Saturday » - dont ce nouveau roman pourrait presqu'être considéré comme le double inversé. Ecrire le trouble du désir, restituer l'émotion d'une première fois... ce sont en soi des choses délicates - même pour un grand écrivain. Alors les laisser deviner sans jamais les évoquer de manière frontale... on n'est plus dans le roman - mais dans la performance littéraire.

Idem pour le sous-texte entourant la Révolution Sexuelle, ou pour être exact son absence (l'histoire se déroule en 1962). Tous les commentateurs du livre ont noté cette allusion... qui n'est pas énoncée une seule fois dans ce roman où McEwan, a contrario du didactisme parfois un brin pesant de ses compatriotes contemporains, parvient à mettre en relief toute une époque sans quasiment jamais la montrer. Juste dans les mœurs, dans les caractères, dans quelques mots abandonnés ici ou là comme par erreur... impressionnant et même, souvent, étourdissant. Car bien entendu au-delà de l'histoire et de ce couple bouleversant, « On Chesil Beach » est bel et bien la réponse cinglante qu'un McEwan au sommet de son art adresse aux incultes rêvant de liquider l'héritage de soixante-huit (2).



(1). Trilogie imaginaire, bien entendu, constituée d' « Amsterdam », d' « Astonement » et de « Saturday » ; trois œuvres noires aux titres cinglant présentant sous des jour différents - quoique très similaires dans l'écriture - le même type de désintégration de leurs caractères.

(2). Le phénomène néo-réac de rejet sans nuance de la libération sexuelle n'étant évidemment pas une spécifité française... bien au contraire il est né en Angleterre.

jeudi 27 novembre 2008

"Prière pour Dawn" - Nathan Singer

Cliquez ou quittez par Lhisbei

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Quatrième de couverture : Les vies inextricablement mêlées d’une douzaine de personnes dans le désert culturel et moral de Cincinnati, Ohio. Une publicitaire qui se rachète une conscience. Un éditorialiste allumé qui écrit de sa prison. Un jeune homosexuel fugueur. Un artiste très controversé. Le 11 septembre 2001. La jeunesse, la musique, la prison, la drogue… Et, au milieu du chaos, la petite Dawn, huit ans et demi, qui voit le monde s’effondrer autour d’elle comme dans un cauchemar. Un roman choral très noir et très poétique, portrait hanté d’une Amérique qui perd ses illusions en même temps qu’une enfant. Quand la guerre, la violence et le chaos rendent fou.

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Autant le dire tout de suite : Nathan Singer n’est pas subtil. Il est cru, brutal, appelle un chat un chat. Il use et abuse d’un vocabulaire grossier, vulgaire pour exhiber crânement les travers d’une société puante. Nathan Singer se veut provocateur et sort la grosse artillerie pour ne pas manquer sa cible. La cible parlons-en. Une société pourrie par la drogue, le sexe, le racisme, la pornographie, la pédophilie, la violence, la prison etc. On frôle parfois l’écoeurement mais c’est la révolte qui domine. Dans le genre critique sociale « Prière pour Dawn » vous met une belle claque dans la tronche. Dialogues, lettres, chroniques, poèmes s’entrechoquent pour brosser le portrait peu reluisant d’une Amérique (au sens Etats Unis d’Amérique) post 11 septembre traumatisée qui se déglingue. C’est noir de chez noir même pour la petite Dawn, ange de lumière qui tente de surnager dans ce marais nauséabond.

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« Prière pour Dawn » est un premier roman pas totalement maîtrisé mais ses défauts ne le font que plus aimer encore. La répétition fixe la notion paraît-il. Nathan Singer ne se prive pas d’utiliser le procédé pour hypnotiser le lecteur mais ne parvient pas à lui épargner quelques redondances plutôt lourdes. Il en fait parfois un peu trop dans la provocation et le voyeurisme. comme s’il n’avait pas réussi à canaliser sa rage. Mais la rage est-ce que ça se canalise ? Ses personnages sont torturés, incompris mais aussi totalement barrés et paumés. Irrécupérables. Pas d’espoir nous répète-t-on. Pas. D’espoir. Cliquez. Ou… Mourrez.

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Pas de demi mesure vous aimerez ou vous détesterez. Et probablement les deux à la fois

Clic

mercredi 26 novembre 2008

"Les chiens noirs" - Ian McEwan

Je suis dans le noir, par Sandriine

Le narrateur de cette histoire désire écrire une chronique familiale, pas la sienne, ses parents étant morts lorsqu’il était très jeune mais celle des parents de sa femme June et Bernard.

Chroniques du communisme d’après la guerre, de l’amour, des silences, de la foi, de la recherche de soi surtout, qui tourne autour d’un événement : la rencontre de June avec les Chiens noirs.

Mais où veut en venir McEwan, c’est toujours la même question que je me pose dès que je finis un de ses livres, que veut-il nous dire ? Nous démontrer ? Ici, nous commençons avec un jeune homme orphelin, à la recherche de parents (ceux de ses amis, eux en rébellion totale) ; puis l’auteur nous présente June, vieille femme, quelque peu exaspérante et pas mal égoïste ; nous avons droit après cela à la présentation de Bernard, avec pour toile de fond la chute du mur de Berlin et enfin la fameuse histoire des chiens noirs (clé ? de la fin de l’histoire entre June et Bernard qui en gros s’aiment mais ne se supportent pas).
Et voilà, c’est tout…Et quoi ? Aucune histoire réellement, trop de rien, trop de non-dit… C’est bien les non-dits mais trop …cela ne dit plus rien du tout !!

Si quelqu’un pouvait éclairer ma lanterne sur Mr McEwan, sur ce qu’il essaye de nous dire, assez vainement dans mon cas, ce serait fort aimable. Parce que l’écriture me plait, l’idée de base me plait mais j’ai besoin d’un aboutissement, ou alors un plus clair… Ce n’est pas un coup de griffe car il y a quelque chose qui se passe avec cet auteur mais je dois admettre que je ne le lis que pour l’aristochat, pour moi, je l’aurais déjà abandonné (et pourtant je me souviens avoir aimé « Expiation »…)

mardi 25 novembre 2008

"Eux" - Joyce Carol Oates

Roman fleuve, par Ingannmic.

Maureen Wendall fut, dans les années 60, l’une des élèves des cours du soir dispensés par J.C. Oates à l’université de Detroit. Elle adressa un jour à son ancienne professeure une lettre à la suite de laquelle les deux jeunes femmes firent plus ample connaissance, et l’écrivain, confondue par la complexité de la vie de Maureen, écrivit « Eux », basé sur son témoignage. Celui-ci débute en 1937 et couvre, sur une trentaine d’années, la vie de Loretta (mère de Maureen) et des siens, à partir du moment où elle quitte précipitamment le foyer familial suite à l’assassinat par son frère de son petit ami. Il s’agit d’une vie misérable, l’existence de ceux que l’on appelle communément les « cas sociaux », les victimes de la Grande Dépression, du chômage, et de ses corollaires : alcool, maltraitance, échec scolaire. Je n’ai cependant pas ressenti de volonté de « victimisation » de la part de l’auteure : elle décrit de façon très –trop!- détaillée le quotidien de ses personnages, sans misérabilisme, et si certains d’entre eux m’ont émue, les autres ne m’ont pas spécialement inspirée de pitié. Parce qu’ils éprouvent une haine des Noirs que je ne peux pas comprendre, même si cela est inhérent à leur manque d’instruction, et une tendance à faire payer à leurs enfants, par des coups et des brimades, les difficultés de leur quotidien. Ce qui m’a frappé également, c’est de voir à quel point, englués dans leurs existences sordides, les protagonistes sont ignorants des événements extérieurs. Ils semblent n’avoir guère conscience de la montée grandissante de la révolte de la population noire, du vent de contestation soulevé par la guerre du Vietnam… comme si leurs quartiers de taudis était un monde à part, isolé, dans lequel ils ne peuvent espérer l’aide de personne. Et ceux qui, par chance ou par la force de leur volonté, parviennent à s’extirper de ce monde, en garde néanmoins une empreinte indélébile.

J.C. Oates signe ici un roman que l’on pourrait qualifier de « fleuve »… à tel point que j’ai du me faire parfois violence pour en parvenir à bout. La profusion de détails finit par être lourde et par occulter, à mon avis, le véritable intérêt que pourrait susciter le récit. Les nombreuses répétitions –dans la 1ère partie surtout- m’ont agacée également et j’ai trouvé dans l’ensemble le style inégal, sans parvenir à en attribuer la responsabilité à l’auteure ou au traducteur! Dommage, car le sujet m’attirait vraiment, mais que cette lecture m’a parue longue! Et j’ai été d’autant plus déçue que j’avais beaucoup apprécié les autres livres que j’ai lus de cette auteure (notamment « Les chutes », « La fille tatouée » ou son recueil de nouvelles « Infidèle »).

lundi 24 novembre 2008

"Le chemin des sortilèges" - Nathalie Rheims

Sur le chemin des rêves...ou de l'ennui ? Par Lhisbei, Sandrounette et Thom.


« Je me sentais tel le petit poucet comptant ses cailloux pour ne pas se perdre. Comme lui j’étais la cadette ; il fallait être le plus malin pour ne pas se faire dévorer par les loups ou par l’ogre. Je retrouvais dans cette maison les petites pierres blanches des disparus qui tissaient la trame de ma mémoire, comme si je les avais semées ici et qu’elles me conduisaient vers ce recoin qui semblait n’exister que dans me rêves. »
La narratrice anonyme de ce livre (non, je ne m’avancerai pas à penser qu’il s’agit de l’auteur) part en quête d’elle même. Rongée par le poids de ses souvenirs et de ses secrets elle cherche à dénouer les fils de son passé pour comprendre, accepter et avancer à nouveau. Pour cela elle retrouve Roland, psychanalyste qu’elle n’a pas vu depuis 10 ans et s’installe dans la maison isolée qu’il occupe depuis son retrait du monde. Incapable de parler, elle trouvera dans les contes de fées le chemin qui lui permettra de remonter le temps, et d’avancer un peu plus dans son voyage intérieur.
« Chaque histoire déposée dans ma chambre était une étape de ce voyage intérieur, chaque livre un caillou blanc semé dans la forêt de l'oubli. Il ne fallait pas chercher à remonter le temps, c'était inutile, mais il fallait avancer, jour après jour, conte après conte. »
« Le chemin des sortilèges » est un roman introspectif à l’ambiance surnaturelle et onirique. La réalité, les souvenirs, les rêves et les fantasmes de la narratrice s’entremêlent. Vertige assuré pour cette dernière mais aussi pour le lecteur entraîné dans un univers qu’il ne maîtrisera jamais. Une fois le seuil passé impossible de faire marche arrière. Il faut suivre les pas d’une narratrice errant dans une forêt fantasmagorique. La souffrance, cachée dans les non-dits ou mise à nu, est palpable à chaque détour du chemin. Le style de l’auteur, parfois sibyllin mais toujours juste, est parfaitement adapté à un récit qui divague un peu sans jamais s’égarer. La construction est maîtrisée de bout en bout comme en témoigne la fin. Mon seul regret sur ce livre réside dans l’utilisation un peu trop évidente et explicite des contes de fée. Un peu de mystère de ce côté-là et le livre aurait été parfait.
En tout cas c’est une très belle découverte que je n’aurais pas faite sans les chats. Jamais je n’aurais ouvert ce livre à cause de sa couverture qui me donne le cafard.


La narratrice, une femme sans nom et sans âge, retourne auprès de son ancien mentor et psychologue, Roland, retiré à la campagne après un accident cérébral. Chaque soir, Roland laisse à son chevet un conte de fée différent, qui éveille en elle son douloureux passé.
Le propos de départ me plaisait énormément. J’ai toujours adoré ce qui aborde les contes de fée et leurs non-dits. C’est pour cela, entre autres, que je ne peux pas être satisfaite de ce roman : il ne s’agit pas d’une analyse des contes de fée mais d’une paraphrase incessante de ce que la narratrice lit. Pourtant, ça avait plutôt bien commencé. La lecture était fluide et puis… plus rien. Pas de rebondissement extraordinaire, juste des rêves aussi répétitifs que l’ensemble du récit. On sent arriver à des kilomètres les différents contes qu’elle va traverser en esprit. On ne comprend pas vraiment où et comment le roman va se terminer, tellement des portes ouvertes sont enfoncées. Quand le dernier chapitre arrive, on en vient à se demander « tout ça pour ça » ?
Un vrai moment d’ennui qui ne laissera pas une grande empreinte dans les souvenirs…


Le nouveau roman de Nathalie Rheims, auteure que j'avais prévu de découvrir depuis un moment à force de lire son nom partout, s'ouvre dans une atmosphère de mystère plutôt séduisante renforcée par une qualité bien trop rare de nos jours : celle de propulser immédiatement le lecteur au cœur de l'intrigue. Pas de blabla inutile, une exposition réduite à deux paragraphes et le vif du sujet qui pointe le bout de son nez dès la page quinze... voici un livre qui démarre sous les meilleures augures, d'autant que l'écriture, quasi instinctive, ne manque pas de charme. L'espace d'un instant on parvient même (prouesse) à oublier cette couverture repoussoir et ce titre indigne de Jean Rollin (avec deuxl L - le réalisateur de films d'horreur cheaps... pas le grand écrivain !)... et on se retrouve à avoir envie de suivre la narratrice dans sa quête identitaire au pays de la Pyschanalyse et des Contes de Fées - puisque c'est de cela qu'il s'agit.
Las ! Chassez la première impression qu'elle reviendra bien vite au galop : si une bonne couverture est sensée dire quelque chose à propos du roman qu'elle illustre, nul doute que celle du « Chemin des sortilèges » en est une excellente. Car en fait de roman voici que ce livre très court (c'est quasiment son seul mérite) se métamorphose en divagation pseudo-psychanalytique fatigante et fatalement nombriliste que le style agréable de l'auteure ne parvient pas une seconde à sauver du naufrage.
Composé pour un quart (sur cent soixante dix-huit pages... je vous laisse faire le calcul) de citations de contes à peine explicitées, emmerdant comme le serait l'analyse d'un type croisé dans la salle d'attente de votre psy,et agrémenté d'un final éculé... ce « Chemin des sortilèges » ressemble surtout à un chemin de croix. Et ce qui était un concept (relativement) séduisant de devenir un procédé aussi absurde que répétitif : à quoi bon en effet s'appuyer sur les contes de fées dans le cadre d'une analyse si c'est pour dégager desdits contes des réflexions superficielles effleurant à peine le niveau d'un dossier Œdipe toi-même ! dans Psychologie Magazine ? Et encore : je suis très dur avec le journal.
Parti pour fasciner le récit achève de s'enliser à la moitié, et à force de ressassement les clin d'œils déjà peu subtils à Bettelheim et Angela Carter (il n'y a pas des lois, en France, contre le racolage ???) finissent par se changer en œillades des plus vulgaires - quelque part entre Indochine et Mirelle Dumas.

Bref : à offrir pour Noël à votre méchante belle-mère.

dimanche 23 novembre 2008

"La ferme des animaux" - George Orwell

Pas si bêtes, par Livrovore.



Les animaux de la Ferme du Manoir en ont marre d'être exploités au profit d'humains qui ne les considèrent que comme des exécutants sans cerveau. Alors un certain 21 juin a lieu la révolte des animaux, amorcée par un sage cochon. Ils arrivent à faire fuir l'humain et devenir seuls maîtres à bord : enfin la ferme est menée par les animaux, pour les animaux. Ils écrivent des règles d'or, comme : « Tout ce qui est sur deux jambes est un ennemi », « Aucun animal ne boira d'alcool », « Aucun animal ne tuera un autre animal », « Tous les animaux sont égaux »… Mais tous les cochons ne sont pas des sages, et ceux-ci vont devenir les prochains maîtres du nouveau régime. Le temps passant, il semble que petit à petit le règlement change subrepticement…
George Orwell nous sert ici une métaphore évidente, mais bien ficelée. Le sujet et la façon de tourner l'histoire ne paraissent pas extraordinaires aujourd'hui, mais le texte a été publié pour la première fois en 1945. Replacé dans son contexte, je comprends pourquoi ce livre est devenu un « classique ».
On voit l'évolution du régime, la façon dont les animaux sont manipulés, se posent quelques questions mais se laissent berner. Chaque personnage a son caractère et sa place bien définis : le dictateur qui monte en puissance avec une soif de pouvoir inépuisable, ceux qui sont « à ses pieds » et savent en profiter, ceux qui essayent de résister, ceux qui se laissent berner, ceux qui savent mais préfèrent se taire… et les moutons qui sont de vrais… moutons ! La façon dont la liberté se transforme doucement en dictature, comme si c'était naturel, est très bien décryptée et racontée, et tellement bien observée ! Ca rappelle l'Histoire, évidemment. Sous forme d'une fable, simple à lire, ce court texte donne à réflexion.

samedi 22 novembre 2008

"Samedi" - Ian McEwan

De l'art de faire de l'extraordinaire avec -presque- rien, par Yohan.


Ne connaissant d’aucune manière Ian McEwan, j’ai lu ce roman pour connaître d’un peu plus près l’Aristochat du moment. J’ai donc choisi, pour découvrir cet auteur, de lire son roman Samedi.
Samedi narre l’histoire d’un samedi presque ordinaire dans la vie de Henry Perowne. Neurochirurgien, il profite de sa journée de repos pour faire du squash avec un collègue, pour rendre à sa mère dans la maison de retraite, et surtout pour recevoir sa fille et son beau-père qui viennent passer quelque temps à Londres. Mais ce samedi banal prend une tournure assez étrange : une insomnie perturbe son sommeil, et Henry croit au crash d’un avion en feu dans le ciel londonien. Puis il y a cette manifestation contre la guerre en Irak, qui aura des conséquences inattendues pour sa voiture. Bref, un samedi presque banal, qui prend des allures inattendues…

Le premier élément qui frappe à la fin de la lecture de ce roman est l’action : il n’y en a pas, ou très peu. L’action se déroule sur une seule journée (ce fameux samedi de 2003, jour de la manifestation londonienne contre la guerre en Irak), et les 360 pages racontent cette journée. Mais s’il ne se passe rien ou pas grand-chose, ce n’est pas pour autant que ce roman est inintéressant, loin de là. Car il y a beaucoup d’événements, minimes, qui jalonnent cette histoire : le moment où Henry assiste à la répétition du groupe de son fils, la partie de squash, l’accrochage en voiture,…. Surtout, il y a cette irruption de l’extérieur dans le cocon familial, qui rompt la magie des retrouvailles familiales.
Mais le grand mérite de McEwan est surtout de faire ressentir l’extraordinaire de cette journée par des détails et par des descriptions pointues (voire pointilleuses). Cet avion qui descend avec un réacteur en feu au dessus des immeubles est le premier élément perturbateur du récit. Henry, à partir de ce détail, imagine des scénarii catastrophiques, alors que la réalité est bien plus prosaïque. Pourtant, les premières informations relayées par les média semblent lui donner raison…
Par la suite, beaucoup de détails mettent en exergue ces perturbations, et la montée de la colère voire de l’énervement et de la violence qui peut en résulter. La description en longueur de la partie de squash est très révélatrice de cette tension qu’arrive à instiller McEwan, sans utiliser d’artifices romanesques extravagants.
La description de cette journée « extraordinaire », mêlée à celle de l’histoire familiale alambiquée, notamment avec John Grammaticus, le beau-père, poète reconnu et reclus dans le sud de la France, crée une ambiance à la fois familière et insolite. Les activités sont celles d’un samedi classique, mais quelques détails en font ressortir la violence.

Si ce roman n’est pas un vrai coup de cœur, il vaut le détour pour le travail de McEwan, qui instaure une ambiance qui tient sur des détails et tient le lecteur en haleine pendant plus de 300 pages. De plus, ce roman en prise avec l’actualité permet à l’auteur d’avoir un œil très critique vis-à-vis du traitement de l’information, et fait ressentir les conséquences sur les individus du terrorisme et du 11 septembre. Il faudra que je poursuivre la lecture des œuvres de McEwan pour asseoir mon avis sur cet auteur.

Lire aussi les avis de Thom et Zaph

vendredi 21 novembre 2008

"Un monde évanoui" - Yu Hua


Univers aquatique,
par Ingannmic.

Je connais assez peu les auteurs chinois, et je ne connaissais pas du tout Yu Hua, dont Mbu m’avait recommandée la lecture. Prudente –non pas que je me méfie des suggestions de Mbu, mais ma PAL mesurant environ 2 mètres de haut, j’essaie de ne pas perdre de temps avec des livres qui ne me conviendraient pas-, j’ai débuté par « Un monde évanoui », court recueil de deux nouvelles : celle qui a donné son titre à l’ouvrage, et « Erreur au bord de l’eau ».

L’ayant terminé voici quelques semaines maintenant, l’impression que j’en garde avec le recul est … comment dire… «aquatique» ! Le point commun entre les deux textes est, en effet, l’omniprésence de l’élément eau : dans « Erreur au bord de l’eau », l’inspecteur Ma Zhe enquête sur une série de crimes commis près d’une rivière le long de laquelle tous les personnages sont amenés à flâner, à se croiser, et le récit d’ «Un monde évanoui » est rythmé par une pluie quasiment incessante qui teinte l’histoire d’une atmosphère glaçante et poisseuse.
Cette impression est d’ailleurs accentuée par l’étrangeté de cette nouvelle : les protagonistes y sont désignés par des numéros, les actes de la vie quotidienne paraissent chargés d’une mystérieuse symbolique, les événements qui s’y déroulent sont morbides…

Une curieuse découverte, donc, mais qui m’a beaucoup plue. L’écriture, à la fois simple et imagée, a quelque chose d’envoûtant, l’univers dépeint est déconcertant, oscille entre horreur et enchantement. D’après ce que j’ai pu lire à propos de Yu Hua, « Un monde évanoui » n’est pas forcément représentatif de son œuvre, mais il m’a néanmoins donnée envie d’en connaître davantage…



Univers flou, par Mbu

Ce petit livre contient deux nouvelles. La première est un petit polar qui n’a rien de franchement extraordinaire de mon point de vue, mais qui se lit aisément. La deuxième est la nouvelle éponyme du recueil. C’est pour celle-là que j’ai acheté le livre.

Si on regarde une peinture chinoise représentant des montagnes, on est souvent impressionné par l’habileté du peintre à rendre la texture et la qualité des nuages. Dans ce pays où l’esthétique est basée sur les jeux de semblant et faux semblants, il n’est pas étonnant de découvrir que la meilleure qualité de Yu Hua est la description (peut-on dire peinture) du décors. Dans les deux récits qui vont suivre, ils ne dominent pas seulement, ils jouent carrément le rôle principal. Pas étonnant, dès lors, que les personnages restent sans identité.

Un monde évanoui, c’est un village où tous les personnages de l’histoire sont dénommés par des chiffres. Quels chiffres ? Ceux de leur maison peut-être ? Seul le devin et l’aveugle (sans logement) n’en ont pas.
Cela vaut d’ailleurs la peine, pour lire cette nouvelle, d’aller chercher la signification du symbolisme des chiffres en chinois, celui-ci étant si important qu’il va jusqu’à influencer le prix d’une ligne téléphonique, selon qu’elle porte bonheur ou le contraire. Par exemple, les chiffres 8 et 6 portent bonheur alors que le 4 (qui se dit se) se prononce comme la mort, et doit être donc évité. Mais en comprenant cette symbolique ou non, l’atmosphère oppressée de ce monde inconsistant nous fait craindre le pire dès le début.

Il pleut, il bruine et le monde est flou. Chaque personnage a un problème particulier, maladie étrange, cauchemars et rêves prémonitoires et tout ce petit monde tourne autour du devin, figure inquiétante dont les personnages ne peuvent se passer, maître des destins. Il les conseille, les guide, pour leur bien ? Ou pour que « tout soit à sa place » ? Sorte de Dieu mangeur d’éternité et de chair, il est à la fois nécessaire et ignoble.

La particularité de ce récit est de se dérouler comme un rêve, de confondre rêve et réalité, enveloppé dans cette bruine qui ne s’arrête pas, ce monde gris où fantômes et chair se mélangent et se confondent, dans une solitaire interdépendance. Un très beau récit.


jeudi 20 novembre 2008

"American darling" - Russell Banks

A aborder avec un moral d'acier, par Céline.


Il est important d'avoir un moral d'acier pour aborder un livre de Russel Banks et celui-là en particulier. C'est un récit qui d'abord s'adresse à nous lecteur. Il nous interpelle sans préambule, Hannah, l'héroïne, se donne beaucoup de mal pour être précise, elle fait son examen de conscience sans complaisance, sur un ton distancié, ce qui donne au style un certain dépouillement.
Hannah a tout fait pour être une autre sans savoir qui être vraiment. Fille unique d'une mère froide et distante et d'un père célèbre pour ses théories sur l'enfance toute mise en pratique sur le sujet qu'il avait sous la main, sa fille.
Alors elle servira la cause des opprimés, mènera la lutte des droits civiques qui la mèneront à la clandestinité. Ce n'est pas une meneuse Hannah, plutôt une solitaire, elle a du mal à s'attacher, jusqu'à ce qu'elle se retrouve au Libéria ou contre toute attente elle va se marier à un homme puissant, lui faire des enfants et surtout découvrir les chimpanzés. Toutefois cette famille la surprend plus qu'elle ne la passionne. Elle semble en dehors d'eux, il y a une forme de bienveillance mais pas d'adoration.
On sent dès lors que quelque chose va déraper, l'Afrique ne peut pas décevoir dans ce domaine, surtout celle fabriquée par les Américains. L'obstination qu'elle met à ne rien voir des violences, de la misère et de l'instabilité frôle le suicide.
L'on sait dès le départ qu'elle a perdu ses garçons, que son mari a été tué mais l'angoisse nous oppresse au fil de la lecture, car on ne sait pas comment, on est sur un fil tendu sans savoir de quel côté l'on va basculer.
Cette vieille femme qui déroule le fil de sa vie juste pour nous le livrer n'est pas attachante, elle ne cherche pas à l'être, elle met en garde contre les emballements de la jeunesse, les errance d'une adulte et au final « pendant les mois qui ont suivis, j'ai constaté que l'histoire de ma vie était totalement insignifiante au regard du monde en général. Dans la nouvelle histoire de l'Amérique, la mienne n'était que celle d'une petite Américaine gâtée, et l'avait été dès le début. » Alors on vieillit seul et anonyme.

mercredi 19 novembre 2008

"Expiation" - Ian McEwan


Rencontre passionnée avec l'Aristochat
,
par Sandrounette.

Je respire où tu palpites,
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t'en vas ? (V.H)

Le titre du livre ne peut que me faire penser au magnifique chant de Victor Hugo extrait des Châtiments :

« Stupéfait du désastre et ne sachant que croire,
L'empereur se tourna vers Dieu ; l'homme de gloire
Trembla ; Napoléon comprit qu'il expiait
Quelque chose peut-être, et, livide, inquiet,
Devant ses légions sur la neige semées :
- Est-ce le châtiment, dit-il, Dieu des armées ?
-Alors il s'entendit appeler par son nom
Et quelqu'un qui parlait dans l'ombre lui dit : non »


Angleterre, 1935. Une famille à l’aube d’un drame. Briony Tallis, la fille cadette, sait qu’elle veut être romancière. Elle abandonne l’écriture de ses contes de fée à l’âge de treize ans, cette année-là en 1935, lorsqu’elle surprend sa sœur aînée Cécilia dans les bras de Robbie, le fils de la domestique. Pour Briony il n’y a pas de doute, sa sœur vient de se faire brutaliser par une bête sans nom… sauf que cette bête se nomme Amour et que Briony, du haut de ses treize ans, ne comprend pas ce qui se passe. C’est alors que tout bascule… Trois vies sont anéanties par un mensonge d’une ampleur considérable. Quand on retrouve les personnages cinq ans plus tard, il est déjà trop tard, le lecteur en est intimement persuadé et garde espoir pourtant. Espoir en un avenir utopique qui sauve les gens biens au lieu de les désintégrer….
Quand un livre vous prend les tripes à ce point, tout est gagné. La lectrice que je suis se souviendra longtemps de cette magnifique découverte. Je suis bouleversée…Il m’est difficile de mettre des mots sur les émotions qui me submergent. C’est un mélange de frustration, de peine, de colère… On a déjà lu depuis longtemps des histoires d’amour tragiques à la Roméo et Juliette. Cependant, ce roman ne se résume pas à cela. On assiste à la mise en place du drame dans un cadre idyllique. L’auteur nous emmène là où il veut : il prend le lecteur par la main et lui montre les aspects des personnages, nous y attache pour mieux laisser tomber cette main et nous faire assister au crash de Robbie et Cécilia. Je ne peux que haïr Briony, je ne peux pas faire autrement. Quand on la retrouve cinq ans plus tard et qu’elle nous raconte son quotidien, je voudrais la secouer, la meurtrir de toutes mes forces. Elle a rapidement compris qu’elle expiait. Mais même le dernier chapitre ne peut faire oublier son crime impardonnable.
Vous voyez donc à quel point la rencontre avec l’Aristochat fut passionnée ! Il a réussi à me donner de telles émotions que je ne peux qu’applaudir, me ruer vers ma bibliothèque municipale et crier : Au suivant !

Lire aussi l'avis de Lhisbei

mardi 18 novembre 2008

"L'archer du pont de l'Alma" - Hervé Algalarrondo

A son esprit défendant par Lhisbei


Mon corps vient de prendre le contrôle. C’est lui qui a décidé d’acheter et de lire ce livre. Ma bouche n’a pas sollicité mon consentement pour demander au libraire : Vous avez « L’archer du pont de l’Alma » s’il vous plait ? Bien sûr Madame. Mes mains n’ont pas eu besoin de réfléchir au code de la carte bleue. Et mes jambes m’ont ramené chez moi, m’ont fait asseoir confortablement pour que mes yeux fassent ce qu’ils savent faire le mieux : lire. Et ce sont à nouveau mes mains qui pianotent maintenant sur le clavier, sans me demander mon avis. Mon corps a pris le pouvoir. Il a fait sa révolution. Heureusement qu’il n’a pas coupé de tête (merci mon corps). Le coup d’état s’est fait en douceur. Pas comme pour le personnage du roman. A l’age de 35 ans son corps a décidé de n’en faire qu’à sa tête. Enfant turbulent, son pouce a d’abord choisi de faire des séjours prolongés dans sa bouche. Puis, à l’adolescence, la rébellion s’est confirmée : il a commencé à fumer, à draguer tout ce qui portait jupon (mais pas que) poussant le « héros » de cette histoire à l’adultère. Puis l’âge de la maturité est venu : le corps s’est mis à faire du sport avec une prédilection pour le tir à l’arc, à s’entretenir et la gaucherie a fait place à la souplesse. Le corps s’est accompli sous le regard médusé d’un homme dont la vie se délitait au fur et à mesure des nouvelles envies de ce corps trop entreprenant. Un homme qui n’y comprend rien et qui finit par abdiquer jusqu’à se retrouver sous le pont de l’Alma, un arc bandé, une flèche à décocher …

L’archer du pont de l’Alma » est un roman un peu décalé. Une dose de réalisme pour ancrer l’histoire dans le monde contemporain et amener le lecteur à y croire : le personnage principal pourrait être le français moyen, marié, bon père de famille, un boulot stable quoique peu courant, parfaitement intégré à la société. Une pointe de fantastique, ici un corps qui prend le pouvoir, développe sa propre identité tout en dépossédant notre héros de lui-même. Une touche de policier : un meurtre, une enquête, un jeu du chat et de la souris. Le tout agrémenté d’un soupçon de suspens : mais comment cela finira-t-il ? Le récit est à la première personne du singulier : le « héros » est, comme le lecteur, plus spectateur qu’acteur et la complicité s’installe. De ce corps rebelle qui mène la danse, les motivations resteront toujours inconnues. La fin, mâtinée d’un trait de cynisme, est à la hauteur du récit qui précède.
C’est un coup de cœur de mon corps. Ma tête approuve. J’en suis heureuse car qui peut savoir le sort qu’il m’aurait réservé dans le cas contraire…




lundi 17 novembre 2008

"Arlington Park" - Rachel Cusk

Desperate Homecat, par Sandriiine


On suit sur une journée 4 femmes mariées et mères de un à plusieurs bambins. Elles nous racontent leurs mélancolies, leurs désespoirs face à cette vie qu'elle n'imaginait pas ainsi. Hé oui nous sommes à Arligton Park pas à Hollywood...

On a beaucoup parlé de ce livre à sa sortie, j'ai lu et entendu des choses telles que :

- fille spirituelle de Sarraute et Woolf
- Desesperate Housewives littéraire
- ton féroce et sans concession

Pleine d’entrain je me suis lancée dans ce roman jugé comme un chef d’œuvre par une grande majorité de journalistes et de lecteurs…

Et nous voici parti pour quelques pages de pleurnicheries de ces dames, vivant dans une belle banlieue de Londres, qui sont tourmentées par le fait d'avoir fait des enfants (presque la morale de l'histoire : les enfants gâchent la vie) et dont une de leur consolation, après avoir fait du shopping est de s'inviter l'une l'autre boire un café (et minutieusement regarder la vie de celle d'en face et se dire que la sienne est moins déprimante...)

La phrase qui m'a fait rire :

« - Cela me fait sentir mon incomplétude... » (Mmm, bien sûr dire "je me sens incomplète" est moins joli)

Coup de griffe pour moi, je me suis ennuyée, peut-être n’ai-je rien compris parce que n’étant pas dans la même situation que ces dames (un mari, des enfants, une maison)... Je ne sais pas… ces dames sont effrayantes, avilissantes, elles sont déjà vieilles dans leur cervelles de moineaux et me font très sincèrement peur !

dimanche 16 novembre 2008

"Onitsha" - Jean-Marie Gustave Le Clézio

Honni Chat qui mal y pense, par Zaph


Fintan a douze ans lorsqu'il embarque avec sa mère Maou pour l'Afrique. Ils vont retrouver le père de Fintan, Geoffroy, un illuminé passionné de mythologie africaine, parti depuis plusieurs années déjà. Fintan et Maou vont avoir beaucoup de difficulté à se situer entre le mileu colonial britannique ultra-conformiste et les africains si incompréhensibles, pendant que Geoffroy se partage entre ses recherches et son travail pour une compagnie commerciale.

Ça, pour sûr, c'est poétique. D'abord, le Clézio écrit remarquablement bien. Ensuite, il réussit à créer une atmosphère africaine prenante, qu'elle soit réelle ou imaginaire. La chaleur écrasante, aveuglante, la langueur (un brin monotone, comme toutes les langueurs), la folie, le délire causé par la fièvre paludique, tout cela dessine une ambiance qui vous capture. Il semble que les trois personnages principaux du roman délirent un peu. Ou alors, disons qu'ils rêvent éveillés, ils vivent dans une autre réalité, chacun dans la sienne. On ressent une grande solitude chez ces personnages, accrochés à leur rêve comme à le seule source d'espoir.

Le problème, c'est cet isolement n'est pas vraiment franchissable pour le lecteur non plus. On a du mal à entrer dans leur rêve, fait de légendes et de mythologies à demi exprimées. On se demande à quoi rime toute cette histoire, ces personnages partis (chercher quoi au juste ?) puis revenus en ayant perdu plus que trouvé. Il semble que quand on doit abandonner son rêve, on a tout perdu. Mais le rêve lui-même n'était que substance intangible ; alors, il n'y aurait que le néant ?

J'ai eu une drôle d'impression en lisant ce livre où tout se dérobe au regard. J'ai été pris par l'ambiance et par le style tout en restant étrangement détaché.

Ce n'est pas facile de rêver le rêve de quelqu'un d'autre.
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samedi 15 novembre 2008

"Le petit livre de septembre" - Christian Estèbe

Petit mais costaud, par Sandrounette


Une bibliothèque est un lieu qui fourmille de trésor… Qui en doutait ? Pas les lecteurs de ce blog en tout cas !

Je me baladais dans les rayonnages quand un petit livre m’a tapé dans l’œil. La couverture est recouverte de carreaux seyes et d’une jolie marge rose identique à celle des cahiers que je côtoie chaque jour. Et oui, on ne se refait pas, même les livres parlant d’école m’intéressent, surtout quand c’est narré de manière intelligente comme c’est le cas ici.

Le narrateur est un quinquagénaire au chômage. Enfin, il est écrivain et fin philosophe mais des revers de fortune le conduisent à l’ANPE. On lui voit alors confié un contrat d’un an dans un collège du Tarn-et-Garonne pour y animer le CDI.

Il ne s’agit pas d’un remake de « Entre les murs » par exemple où est raconté le quotidien des élèves et des adultes dans un collège. Quel est le propos alors ? Juste les pensées d’un documentaliste qui voit les enfants avec des yeux attentifs et attendris et, à l’inverse, qui caricature les enseignants comme des je-m’en-foutiste à la solde de l’Education nationale qui « considèrent les élèves comme un troupeau qu’il faut faire paître en évitant les ennuis ».

On ne peut pas lui en vouloir… Il n’a pas dû rencontrer les bons, c’est tout J . Le petit livre de septembre est un roman sans prétention qui se lit en quelques heures. Encore une fois, bonne pioche à la bibliothèque !

« lorsque je me demande, accablé, à quoi me servent tant de livres, je n’ai qu’à songer à mes moments de dérélictions, à mes moments de joie, la réponse s’y trouve, noir sur blanc. Si certains livres ne servent qu’à bailler avant de s’endormir, d’autres sont là pour, dans la nuit, nous garder les yeux ouverts ».
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vendredi 14 novembre 2008

"Le Soleil des Scorta" - Laurent Gaudé

Livrovore s'ennuie


Ce roman a obtenu le prix Goncourt en 2004.
L'histoire est celle de la famille Scorta, de génération en génération, comment elle évolue, comment les descendants vivent avec l'héritage de leurs prédécesseurs (héritage matériel et psychologique, bien sûr). Cela commence par un enfant né d'un viol, passe par la pauvreté et la folie, la réussite aussi, et… je vous laisse découvrir le reste.

L'auteur a une écriture extrêmement agréable à lire, les mots coulent et nous emportent en Italie avec plaisir. On est incroyablement imprégné de la culture de ce pays, des traditions, de la façon de vivre. On se sent spectateur proche du village de Montepuccio où Laurent Gaudé nous emmène. Et puis il nous évoque la chaleur, la moiteur, on sue à la lecture tellement l'on a l'impression que le soleil nous oppresse également.

C'est le côté positif du livre. Malheureusement, il y a aussi un trop important côté négatif…

En effet, ce pourtant petit récit (environ 250 pages) m'a paru d'une longueur interminable. Ça traîne et l'on avance lentement. On passe de génération en génération, ils vivent, ils font des enfants, ils meurent, puis les enfants vivent et meurent à leur tour… Et je me demandais où voulait me mener l'auteur. Malheureusement, je suis arrivée à la fin sans y trouver grand-chose de transcendant. Je suis restée spectatrice, trop à l'écart du récit. Je n'ai pas réussi à m'attacher aux personnages, parfois je ne savais même plus très bien qui était qui. C'est étonnant comme l'auteur avait pourtant réussi à me faire ressentir tout l'extérieur (chaleur, paysages) mais sans jamais me faire approcher de "l'intérieur'" (psychologie des personnages...).

Mais peut-être est-ce fait exprès, car dans les dernières pages une parole du curé résume parfaitement bien ce roman : « Oui, répondit Don Salvatore, les générations se succèdent. Il faut juste faire de son mieux, puis passer le relais et laisser sa place. »
Donc Laurent Gaudé a peut-être réussi l'effet qu'il voulait, c'est-à-dire montrer les générations qui se succèdent, passent le relais et où chacun prend ce qu'il veut de ses racines pour évoluer comme bon lui semble. Le temps passe, les vies aussi.
Alors bien sûr, cet effet est réussi. Mais le problème est qu'en lisant, on s'ennuie terriblement.

jeudi 13 novembre 2008

"Haute Fidélité" - Nick Hornby

You’re gonna miss me babe… , par Guic’ the old


Nick Hornby fait partie de ces auteurs qu’on retrouve régulièrement avec grand plaisir. Mais ces retrouvailles ont un côté sombre : malheureusement, on ne retrouvera jamais l’émotion suprême ressentie en découvrant cet auteur. Alors, on fait ce qui peut s’en rapprocher le plus : on relit le roman avec lequel on l’a découvert.

Haute Fidelité nous raconte les mésaventures de Rob Flemming, disquaire londonien, passionné de musique, ado attardé, récemment largué. Sans qu’il comprenne pourquoi, sa copine Laura a remballé ses cliques et ses claques pour tailler la route, loin de lui, prendre l’air. Et lui de décider alors de ranger ses disques. Pour faire le point. Puis de s’en aller bosser chez Championship Vinyl, sa petite boutique, entouré de deux acolytes qui sont, il faut le dire… encore plus barges que lui. ET au milieu de tout ça, au milieu de cette vie qu’on fait aller, il continue de se poser cette question : « Qu’est ce qui déconne et qui fait qu’avec les femmes ça ne marche jamais correctement pour moi ? »

Bon, autant annoncer la couleur, c’est là un coup de cœur, ne serais-ce que, du fait de cette troisième relecture que je viens d’achever, ce roman se voit offrir le titre du roman que j’ai lu le plus souvent.

Une des grandes qualités de ce roman reste l’originalité de son ouverture. Fraichement largué, Rob, obsédé par la musique, entreprend d’établir… un top 5 de ses ruptures les plus douloureuses, par ordre chronologique. Les tops 5 sont un gimmick du livre, qui, avec les références musicales qui le parsèment, font que ce livre plait aux amateurs de littérature comme aux maniaques de musique (qui ont tous quelque chose en eux de Rob Flemming. Si,si.) Mais ce roman est également très bon en soi, en tant que livre, en tant qu’histoire. Surtout que Nick Hornby a des qualités d’auteur indéniable, qui lui offrent une possibilité (plus présente dans ce livre que dans les suivants, c’est vrai) de parler à tous. Sa façon de décrire les sentiments (et aussi les… symptômes physiques accompagnant ces sentiments) est une particularité qui fait de lui un auteur intéressant, légèrement hors du lot. De même pour sa façon de poser des questions, par écrit, qu’on s’est tous posé, dans notre tête (du genre « mais ce serait pas un peu malsain le fait que je cherche la trace d’une ex chez les filles avec lesquelles je sors ? » , ou « Peut-on supporter de vivre avec une fille qui a des gouts totalement opposés aux siens ? »)

Et, de tous les Hornby, il reste surement celui dont l’intrigue est la mieux construite, la plus cohérente, la plus dense, et les personnages les plus attachants.

Haute Fidélité reste un inclassable, tour à tour satire du milieu des geeks musicaux, comédie romantique (assez bien troussée, d’ailleurs, pour parler à messieurs comme à mesdames), et, j’ose le mot, roman initiatique (un titre alternatif tout à fait crédible pourrait être « Comment je suis devenu adulte à 35 ans »). Bref, susceptible de plaire à tous, et, d’expérience… Eh ben il plaît à tous.

Bref : A mettre entre toutes les mains. Ni plus ni moins.

mercredi 12 novembre 2008

"Amsterdam" - Ian McEwan

Amer & Taciturne, par Ingannmic


Clive, célèbre compositeur, et son ami Vernon, directeur de rédaction d’un grand journal londonien, assistent aux obsèques de Molly Lane, critique gastronomique réputée, qui fut leur maîtresse à différentes périodes de leurs existences. Est également présent le ministre des affaires étrangères, Julian Garmony, dernier amant de la défunte, que Clive et Vernon tiennent en bien piètre estime.

C’est pourquoi lorsque Georges Lane, le veuf de Molly, offre au directeur de rédaction un moyen de détruire la carrière de Garmony, il n’hésite pas une seconde malgré les réticences de son ami Clive, y voyant de plus une occasion de redynamiser les ventes déclinantes de son journal.

Ian McEwan est incontestablement un écrivain talentueux, qui sait tenir son lecteur par une écriture riche et précise, et une utilisation très juste du détail. Malgré tout, « Amsterdam » n’a pas été un coup de cœur, car c’est un roman dans lequel je n’ai pas réussi à m’impliquer réellement. En y réfléchissant, je crois que cela tient surtout au fond du récit : il s’agit essentiellement d’une histoire d’hommes, qui évoluent dans un monde d’hommes, et a fortiori d’hommes plutôt méprisables !

Politique, art, médias, l’auteur s’attaque à des sphères de la société qui semblent gangrénées par les travers des représentants du sexe mâle qui y évoluent majoritairement : ambition personnelle, individualisme, mépris des autres…La valeur qui prévaut est celle de la notoriété, du pouvoir (un exemple : lorsque Clive se présente au commissariat pour témoigner dans le cadre d’une affaire de viol, les représentants de l’ordre lui font des courbettes, alors qu’il serait passible d’une accusation pour non-assistance à personne en danger).

Dans ce monde, les femmes apparaissent a contrario parées de toutes les qualités, de la compréhensive épouse du ministre, qui en tant que chirurgien, travaille à sauver de vies, à la défunte Molly, maîtresse et confidente généreuse vis-à-vis de ses amants. Et l'auteur ne s'attarde pas sur ces apparitions, comme si son but était de nous démontrer que ce sont bel et bien les hommes et leur dérisoire soif de pouvoir qui occupent le devant de la scène.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que McEwan porte sur cette société masculine un regard très pessimiste et désabusé. D’ailleurs, en lisant la biographie rédigée par Thomas, on l’imagine dans la vie aussi amer et taciturne que l’impression qu’il laisse à la lecture de ce roman…

A lire également, chez les Chats : L'AVIS DE THOM

lundi 10 novembre 2008

"Les Diaboliques" - Barbey d'Aurevilly

Zaph voit le Bien partout

En fait, il n'y a pas grand chose de diabolique dans ces nouvelles. Oh, il y a bien quelques meurtres par empoisonnement, mais rien de bien méchant en somme.
Eh oui, je suis comme ça, moi, je vois le Bien partout.

Ou alors, comme le dit Jules (j'ai la flemme d'écrire Barbey d'Aurevilly), "L'extrême civilisation enlève au crime son effroyable poésie, et ne permet pas à l'écrivain de la lui restituer".

Non, s'il y a quelque chose de diabolique, c'est l'écriture de Jules, qui rend superbement bien cette sorte de jubilation morbide d'un monde privilégié en déliquescence, cette fureur nonchalante qui place le même raffinement dans le plaisir et dans le crime.

Le style est magnifique. On a presque plus envie de savoir comment l'histoire va être racontée que ce qui va s'y passer.

D'ailleurs, l'auteur (je me demande bien quelle mouche l'a piqué) utilise parfois une forme de récit indirect très originale, par exemple, un personnage A raconte à un personnage B une histoire qu'il a lui-même entendue de la bouche d'un troisième personnage C. J'imagine que c'est un véritable tour de force littéraire qui peut sembler inutilement compliqué, mais sous la plume de Jules, ça passe très bien. Cela éveille même de l'intérêt, car on a envie de connaître une histoire qui vaut tellement la peine d'être racontée, et on est sûr que le conteur va l'enjoliver avec l'art que permet le recul.

Oserais-je me permettre un petit bémol ? Bien que Jules ait choisi de faire parler différents personnages, le style - bien que parfait, me semble trop uniforme d'une nouvelle à l'autre. Mais cela n'enlève rien au plaisir.

"J'étais, un soir de l'été dernier, chez la baronne de Mascranny, une des femmes de Paris qui aiment le plus l'esprit comme on en avait autrefois, et qui ouvre les deux battants de son salon - un seul suffirait - au peu qui en reste parmi nous. Est-ce que dernièrement, l'Esprit ne s'est pas changé en une bête à prétention qu'on appelle l'Intelligence?... "

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dimanche 9 novembre 2008

"Dans les coulisses du musée" - Kate Atkinson

Déception point, par Lhisbei


Ruby Lennox est conçue une nuit de 1951 et entreprend de nous raconter son histoire et à travers elle celle de sa famille. Elle sent bien que ses parents George et Bunty, petits commerçants anglais, ne l’ont pas désiré. George est paresseux, coureur de jupon et porté sur la bouteille. Bunty est aigrie et peu démonstrative. La triste vie de Ruby n’ira pas en s’améliorant … Mais elle nous raconte tout ça avec une ironie mordante tout à fait anglaise. En parallèle l’auteur narre l’histoire de la famille maternelle de Ruby, une famille marquée par deux guerres mondiales, qui cache ses secrets, et dont les femmes sont les figures de proue…

La construction m’a un peu déroutée au début. Je me demandais où l’auteur voulait en venir. Quand j’ai refermé le livre je n’avais toujours pas la réponse à ma question. « Dans les coulisses du musée » est une saga familiale racontée avec humour et esprit. La plume est alerte et vive. Mais l’histoire est plutôt banale et la construction intelligente du récit n’a pas suffit à m’éviter une déception. Après tout ce premier roman de Kate Atkinson a été salué comme un chef-d'oeuvre dès sa parution en Angleterre. Il a obtenu le prix Whitbread 1996, battant au dernier tour Salman Rushdie. En France, la rédaction du magazine Lire l'a élu meilleur livre de l'année. J’en attendais probablement trop.

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samedi 8 novembre 2008

"La Rose Pourpre & Le Lys" - Michel Faber

Séduisant dans sa mégalomanie, par Laiezza


Il y a différentes choses dans ce livre ; certaines qui m'ont séduite, d'autres qui m'ont agacée.
Je m'explique : idéaliste voire fleur-bleue de nature, le côté "projet de toute une vie" et ce qu'il a impliqué (un quasi travail d'historien, une reconstitution criante de vérité du Londres de l'époque Victorienne) ne pouvaient que me séduire. Ce genre de reconstitution énorme et mégalomane est monnaie courante au cinéma. Ce qui est original, ici, justement, c'est que jusqu'à Michel Faber personne n'avait eu l'idée d'appliquer ce genre de concept à la littérature ! De ce fait, j'ai trouvé que "La Rose Pourpre & Le Lys" était un livre vraiment très "cinématographique".
Tout cet aspect du roman, je l'ai trouvé grandiose, vraiment : exactement comme on peut être impressionné par toutes ces fresques historiques au ciné, réalisées dans des décors couteux, souvent époustouflants. Je n'ai aucun reproche à faire à Faber là-dessus, sa documentation m'a semblée extrêmement complète et très bien "digérée", son Londres correspond parfaitement à l'idée que je m'en faisais : ce n'est pas un Londres de cliché, ni un Londres de fantasme.
Là où j'ai, en revanche, quelques réserves, c'est sur l'histoire et les personnages. Ces derniers à la rigueur tiennent la route, mais l'histoire, je l'ai trouvée un peu fade par moments. Pas tout le temps, j'ai même avalé les 500 premières pages assez goulument. A partir de la moitié par contre, j'ai calé. Ca avance, simplement les rebondissements ne m'ont plus surprise arrivée à la moitié.
Ensuite il y a l'argument de départ, et je dois dire que bizarrement je n'y avais pas pensé plus tôt : quand j'ai acheté le livre, mon frère m'a dit : "je me demande à quoi ça sert ?". Je n'ai compris qu'en cours de lecture : effectivement, c'est très bien fait, plutôt bien écrit, extrêmement bien "mis en scène", mais il m'a semblée, par instants, que la mécanique tournait à vide. Il n'y a dans ce livre ni humour, ni fantaisie, ni émotion...ç a se prend très au sérieux, avec une rigueur presque journalistique, qui n'est pas du tout appropriée : on en apprend mille fois plus sur le XIXe anglais en lisant les contes de Dickens, qui font tous dix pages, qu'en lisant la "Rose Pourpre", qui en fait plus de mille. C'est donc assez dommage d'avoir si bien réussi à "reconstituer" Londres et d'avoir eu du mal à trouver des choses pour le meubler, sur le niveau émotionnel..., dans la seconde moitié, ça ressemble à un cours magistral sur des choses qu'on sait déjà. En fait je vais vous dire : ça ressemble au film "Barry Lyndon" ! esthétiquement c'est magnifique, mais émotionnellement, c'est assez vain.
Mon point de vue est donc assez réservé. Je pense que la plupart des défauts de ce livre découlent en fait de sa taille. Dans un livre plus petit et plus dense, ils auraient peut-être existé, mais ils n'auraient été que des bémols... Je ne sais pas trop. J'ai bien aimé, mais sans plus. Je crois qu'en réalité, j'ai plus été charmée par la grandeur du projet (très british dans sa démesure, même si Faber est néerlandais ; si un francophone se mettait à écrire une épopée flaubertienne aujourd'hui, tout le monde serait mort de rire) que par la qualité du livre. Rassurez-vous, ce n'est pas du Christian Jacq ou du Max Gallo ! Michel Faber a une écriture agréable et personnelle, son style est élégant, ce n'est pas un poseur...



Un vrai coup de cœur pour Sandriiine

Sugar, prostituée douée et ambitieuse rencontre William Rackam, homme mou, elle joue la maman et fait la putain, elle le rassure et joue les idiotes tout en tirant les ficelles derrière son dos.

Et ça marche : William se reprend en main, relance l'affaire familiale, engage de nouvelles domestiques, son image sociale s'améliore à vu d'œil.

Pendant son ascension, les gens qui l’entoure s’étioleront : Agnès, la femme de William, se perd de + en + dans la folie et redevient la petite fille pure qu’elle n’aurait jamais voulu cesser d’être; Henri, le frère de William, aspirant homme d'église, s'épouvante de ses contradictions, de ses pulsions d'homme.

Sugar, elle, tente de s'en sortir, de monter les échelons mais culpabilise énormément dès qu'elle arrive à sortir de sa condition. Elle commencera cette histoire pleine de haine pour le genre humain, l’homme en particulier et la finira trahie mais plus apaisée.

Magnifique description de l’Angleterre victorienne, personnages attachants pour la plupart, un vrai coup de cœur pour moi !

«Les contes de la rose pourpre »,petit livre sorti dans la foulée de la parution en poche de « La rose pourpre … »,reprend quelques destinées du premier volume. Nous recevons de la part de l’auteur quelques réponses sur les personnages les plus marquants ou touchants du livre précédent. A ne lire que si vous avez aimé le premier…

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vendredi 7 novembre 2008

"L'Homme qui voulait vivre sa vie" - Douglas Kennedy

C'est si bon..., par Livrovore


Ben Bradford avait un rêve : devenir photographe. Mais la vie faisant, il n'a pas réalisé ce projet, et il est finalement devenu un brillant avocat. En apparence il a une vie de père et de mari modèle, une existence tranquille et heureuse. Sauf que le jour où il découvre que sa femme le trompe, sa vie bascule. Non seulement elle le trompe, mais avec un photographe ! Avec un homme qui a la vie qu'il aurait voulu avoir. Fou de rage, il le tue. Suite à cela il décide de fuir loin, et de prendre l'identité de sa victime. Il lui faudra donc vivre avec ce secret, et loin des siens.

J'ai suivi avec avidité les aventures de Ben Bradford. J'ai été incroyablement captivée par cette histoire, je suivais avec angoisse et passion ce qui se déroulait tout au long des pages. Par moments, je devais m'arrêter pour me dire "mais enfin voyons, cet homme est terrifiant, horrible, et très égoïste !", et pourtant, je ne pouvais plus m'empêcher d'être avec lui dans ses péripéties, d'espérer qu'il s'en sorte malgré tout. L'écriture de Douglas Kennedy a su m'attraper et me "modeler" jusqu'à être totalement "dans" le livre.
Le dernier retournement de situation m'a paru sur le coup un peu de trop, mais la fin m'a tellement touchée, que j'ai relu dix fois le dernier paragraphe avant de pouvoir refermer le livre. Et puis je l'ai gardé dans mes mains pendant de longues minutes avant de pouvoir le poser. Douglas Kennedy a réussi à me mettre du côté d'un tueur le temps de cette lecture, à me toucher à travers ce personnage... C'est perturbant, et à la fois si délicieux de lire un roman aussi bon...

Je lirai sans aucun doute dès que possible un autre livre de cet auteur.

Extraits

"De cela, personne ne vous met jamais en garde avant que vous n'ayez des enfants : la manière dont vous finissez par dépendre entièrement d'eux, dont ils vous font sentir toute votre fragilité. Et pourquoi ? Parce que auparavant vous n'avez jamais voué à quiconque un amour aussi désintéressé, aussi inconditionnel."

" - L'angoisse de la perte, tu ne sais absolument pas ce que c'est, hein ?" J'aurais voulu protester, mais je me suis contenu. "Ca te conduit à penser que tout est fragile, que tout n'a qu'un temps. Tu finis par douter du bonheur, douter que ça puisse exister. Et chaque fois qu'il t'arrive quelque chose de bien dans ta vie, tu sais que ça ne restera pas, qu'on va te le reprendre à un moment ou un autre..."


jeudi 6 novembre 2008

"Inspecteur Shan 1-3" - Eliot Pattison

Enquêtes sur le toit du monde, par MbuTséTséFly


Un jour, je reçois trois roman marqués du saut de la collection des « Grands détectives » avec tous trois un portrait de moine tibétain sur la couverture. Les ayants mis dans l’ordre, je me lance dans ces curieux polars qui prennent pour décor le Toit du Monde.

Shan Tao Yun est chinois, Han et fut, dans une autre vie, enquêteur à Pékin. Une enquête de trop sur un intouchable du Parti l’a conduit d’abord dans un camp au Xinjiang où il a été rééduqué et torturé avant d’être envoyé dans un camp de travail au Tibet. La découverte d’un cadavre sur le chantier sur lequel lui et ses compagnons de peine, surtout des moines tibétains, travaillent, bouleverse complètement la vie du camp : ces compagnons refusant de travailler sur le lieu maudit tant que certains rites n’auront pas été exécutés. Mais surtout, le responsable politique de la région lui demandant à lui, Shan, de mener l’enquête rapidement. En effet, la victime n’est rien de moins qu’un haut fonctionnaire du district.

Le récit est intéressant, la trame se tient bien, il y a la dose de suspens qu’il faut, le récit tient en haleine et le contexte est fort original. Le roman en profite également pour dénoncer les exactions chinoises dans la région, et tend ici vers une angélisation des amis tibétains de Shan avec quelques nuances tout de même. L’auteur dit avoir vécu longtemps dans la région et que si son roman est une fiction, beaucoup des actions chinoises dénoncées sont vraies.

Bon, je ne le nie pas. Je trouve juste cette façon de traiter très simpliste. Mais ce n’est pas dans ce roman que l’on en souffre le plus mais dans ceux qui suivront.
En effet, ce premier roman nous fait connaître Shan, son histoire, ses amis et différents aspects de la culture tibétaine et de la situation politique. Projet honorable et difficile. Mais il se lit bien et le malaise qu’il provoque n’est pas si malsain.


En revanche, les deux volumes qui suivent deviennent franchement lourds et redondants. On reprend les mêmes (thèmes, personnages – dont l’éternel américain semble-t-il obligatoire dans chaque volume) et on recommence. Après tout, la recette a bien marché la première fois.

Mais trop c’est trop et on finit par croire que l’auteur prend le lecteur pour un imbécile. Shan, dans les moments de l’action les plus tendus, se perd dans ses nouvelles rêveries bouddhistes gagnées au contact de ses amis lamas (je veux bien mais c’est pas le moment, quand des amis sont en périls ou qu’on lui tire dessus !) ou dans la mélancolie dans laquelle il est englué, pour les raisons que nous commençons à bien connaître, vu qu’on arrête pas de nous le rappeler : il a été torturé, il a beaucoup souffert et il est triste de ce que fait son peuple au Tibet. Bonjour la finesse d’écriture ! Là-dessus, par recherche d’esthétique mystique, les scènes deviennent carrément absurdes !

Et si le deuxième volume, « Le tueur du Lac de Pierre » garde tout de même une certaine originalité (il se passe dans le Turkménistan chinois et les personnages, forts sympathiques sont d’ethnies variées), le dernier volume (NDLR : en fait il y en a deux autres non traduit en français pour l'instant), « L’œil du Tibet » devient carrément mielleux et sans aucun intérêt et les états d’âme du très lunatique Shan deviennent carrément barbants. Bref, le volume de trop.
- Dans la gorge du Dragon - Le Tueur du Lac de Pierre - L'Œil du Tibet

mercredi 5 novembre 2008

"Délire d'amour" - Ian McEwan

Le Syndrome de Clérambault, par Sandriiine & Zaph


Un accident tragique de montgolfière est la source d’un amour à sens unique irraisonné et flippant de la part de Jed Parry pour Joe Rose. Un amour fou qui porte un nom : le syndrome de Clérambault. Jed est persuadé que Joe lui porte un amour égal et qui lui envoie des signes (mouvements de rideaux, regards, …) pour lui prouver cet amour mais qu’il le repousse pour le mettre à l’épreuve. Le souci c’est que Joe, lui, vit cela comme un véritable harcèlement dont personne n’a que faire. Pire, sa compagne Clarissa pense qu’il sombre doucement dans la folie…

Je crois avoir un souci avec McEwan, ses personnages me sont, pour l’instant, tous antipathiques (c’est mon 3ème livre après Amsterdam et Sous les draps). Aime –t’il lui-même ses personnages ou non ? Faut-il quand on est auteur s’attacher à eux, et même si ils sont lâches, bêtes et méchants, n’a-t-il pas un peu de compassion ou d’amour pour eux ? Je n’ai pas l’impression que McEwan en éprouve et cela se ressent dans l’histoire. Joe est harcelé mais en même temps, c’est un crétin orgueilleux, Parry est à la limite du psychopathe et assomme le monde avec ses délires mystiques et Clarissa, la compagne de Joe est nombriliste à souhait…Il y a là une cassure, une humanité qui leur fait défaut et qui m’empêche d’être touchée par leurs histoires…

De plus, l’histoire principale, à savoir cet amour délirant de Parry pour Joe, est « polluée » par la pseudo enquête de Joe sur un mari héroïquement mort mais peut-être adultère, ainsi que par des digressions pseudo-scientifiques dont je ne vois pas l’intérêt (Darwin et l’évolution mérite mieux…).

Il manque d’après moi une vraie plongée dans la folie, il aurait fallu que l’auteur ose aller plus loin dans ce fanatisme divin/humain, que personne ne peut comprendre mais qui fait de Parry un être éternel et immortel grâce à cet amour si pur qui restera vivant à jamais (tel Roméo, Tristan, …)



J'avais comme l'intuition que je finirais bien par trouver un livre de McEwan qui me plairait vraiment.
"Samedi" et "Amsterdam" m'avaient en effet tous deux laissés des impressions en demi-teinte. J'admirais l'écriture et le style, mais l'histoire me laissait relativement froid.
Voilà qui est réparé avec "Délire d'amour", parce qu'ici, je trouve que l'écriture précise et analytique de l'auteur fonctionne merveilleusement bien. J'ai vraiment été pris par le livre du début à la fin. Je n'ai trouvé cette fois aucun temps mort ou foisonnement inutile de détails.
Au contraire, McEwan analyse et décortique avec une précision minutieuse et lumineuse une histoire complètement dingue mais implacable comme une machine infernale.

Les caractères, et surtout l'évolution des personnages et de leurs relations au cours de l'histoire sont remarquablement décrits. Ce côté dynamique fait qu'on a envie de savoir à quoi va aboutir cette situation folle.

Par souci de réalisme (je suppose), l'auteur nous abreuve encore une fois jusqu'à plus soif de considérations et anecdotes relatives à la profession du héros (un auteur de vulgarisation scientifique), mais je les ai trouvées beaucoup plus légères et digestes que les réflexions sociologico-politiques dont "Samedi" était truffé.

En parlant de "Samedi", justement, l'histoire de ce livre-ci en est curieusement proche : encore le thème de l'inconnu rencontré de manière fortuite qui force l'entrée de la vie du héros avec des conséquences effrayantes (serait-ce une obsession de l'auteur ?). Pourtant, le thème est traité de manière très différente, ce qui fait que je n'ai pas du tout eu l'impression de relire le même livre.
Dans "Délire d'amour", l'histoire démarre sur les chapeaux de roues et la tension ne fait que monter de manière graduelle pour tenir le lecteur en haleine. En comparaison, j'avais trouvé "Samedi" un peu déséquilibré entre un début assez lent, et un dénouement aussi brusque que violent.
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