samedi 30 août 2008

Entretien avec Philippe Jaenada

Comment devenir un auteur-chouchou des Chats en cinq leçons et beaucoup trop de questions, par Ingannmic Laiezza, Livrovore, Lily, Thom, Zaph, avec l'aimable contribution de Philippe Jaenada


L'évènement était attendu partout sur le Net - c'est désormais chose faite : après un mail égaré dans la nature, des inquiétudes (Peut-être que nos questions l'ont soûlé ? Merde Laiezza, on t'avait dit de pas poser toutes ces questions sur sa vie), des spéculations (Il est peut-être parti en vacances ? - Arrête : un écrivain c'est pauvre, ça part pas en vacances. - Quoi ? C'est pauvre, un écrivain ? - Oui ! - Mais si ça se trouve lui il est riche...?), des rebondissements (Hé, il a commenté le blog mais pas de nouvelles des questions... il les a peut-être pas reçues ?)... un miracle (pesons nos mots) a eu lieu : Philippe Jaenada a répondu à nos questions, et pas qu'un peu.
Il aura beau jeu de dire que nous en avions mis une bonne lampée : l'auteur du "Chameau sauvage", du "Cosmonaute" et de "La meilleure façon de trouver la mort en Italie lorsqu'on ne parle pas la langue" (titre non confirmé) est plus bavard que nous tous réunis - à sa décharge il reconnaît éprouver quelque peine à se montrer concis (qui sait si la volubilité de ses réponses n'est pas en fait une véritable performance de concision punchy ?). Sans vouloir verser dans le druckérisme primaire, ce fut un plaisir doublé d'un honneur de lui soumettre nos interrogations - et plus encore de le voir se prêter au jeu avec une telle disponibilité (après des année à fréquenter des auteurs je pense pouvoir dire qu'une fois n'est pas coutume, le terme n'est en rien déplacé).
Comment travaille Philippe, a-t-il déjà songé à assassiner un lecteur, qui est son Chat de Biblio préféré, le ménage est-il nécessaire à l'épanouissement de l'homme... : Jaenada, chers amis, nous dit tout. Et bien, en plus.

Bonjour Monsieur Jaenada, et merci mille fois d’accepter de répondre à nos questions (à mon avis c’est parce que vous ne les avez pas encore lues et que vous ignorez que les Chats sont surtout une bande de rigolos – pas vraiment des lecteurs très pointus).

(on la fait comme en vrai, donc là vous jouez le jeu, soyez cool, vous dites : « Bonjour les Chats ! Je vous en prie, tout le plaisir est pour moi. » vous pouvez même ajouter : « J’adore votre site… » - ce genre de truc)


Philippe : Bonjour les Chats. Je vous en prie, tout le plaisir est pour moi, vous êtes sensationnels.

(y a pas à dire, rien qu'avec ça on sent l'écrivain-qui-connaît-son-job)

Thom : Etes-vous aussi sympathique et drôle que vos narrateurs dans la vie courante, ou bien alors vous êtes un grincheux qui fait tout le temps la gueule (celle-là c’est pour savoir si vous allez bien prendre les suivantes) ?

Je suis extrêmement sympathique et d’une drôlerie enivrante, mais quand même, parfois, je suis un peu bougon, si par exemple j’ai mal quelque part – ce qui, à la réflexion, n’est pas rare. Non, je pense que je ressemble à mes personnages, du moins si on les met tous ensemble (grosso modo, pour chacun des personnages (qui vivent, je ne vais pas le cacher, des choses que j’ai vécues), je prends une partie de moi) : certains ont mes défauts et pas mes qualités (qui sont innombrables), d’autres l’inverse.

Lily : On dit qu'en tout écrivain sommeille un grand lecteur... et vous, quel genre de lecteur êtes-vous ? Lisez-vous beaucoup ? Avez-vous des auteurs favoris (Bukowski mis à part, celui-là nous sommes déjà au courant) ?

Je lis beaucoup, oui (je n’ai pas grand-chose d’autre à faire). Parmi mes auteurs préférés (il y en a des brouettes), Bukowski effectivement, Richard Brautigan, Fitzgerald, Proust, Modiano, Eddie Little (il n’a écrit que deux livres et ensuite il est mort, mais les deux sont, du moins je trouve, magnifiques), Franz Bartelt (en v’là un qui ferait un excellent Aristochat, si je peux me permettre), Manchette, Murakami (Haruki), Selby, Kafka, Cervantès, Jean Rolin, et j’en oublie des tas, à côté de la brouette. Depuis deux ans, je ne lis QUE des romans policiers américains des années 40 et 50, avec une grande préférence, affection, joie, pour David Goodis, Jim Thompson, Ed McBain, Chase et Burnett. J’y prends tant de plaisir que je n’arrive plus à en sortir.

Thom : Par exemple : parmi tous ceux qui vous ont précédé sur le trône de l’Aristochat (liste à la fin du document), y en a t’il que vous aimez tout particulièrement ?

Oui, ceux que j’ai cités, + Faulkner (mais ça fait un bail que je ne l’ai pas lu, Faulkner – j’ai tout lu d’un coup, vers 23 ou 24 ans (un bon bail)).

(en fait parmi tous ceux qu'a cités Philippe, seul Murakami a bien été un Aristochat... mais l'appel du pied pour faire de tous ceux-là des Aristos était, reconnaissons-le, des plus subtils)

Ingannmic : Par exemple, que lisez-vous en ce moment ?

"Le Sourdingue", d’Ed McBain. (Je suis tranquille, il y a de la réserve, il a écrit quelque chose comme 400 romans.)

Thom : … et est-ce que vous nous le conseillez ?

Bien sûr. Mais c’est surtout de la distraction, disons. Dans le genre polar américain des années 50, je trouve David Goodis vraiment inégalable.

Livrovore (se pose plein de questions votre manière de travailler) : Quand écrivez-vous ? Avez-vous un emploi du temps défini par jour, ou est-ce "quand ça vous vient" ?

J’écris la nuit, toutes les nuits, avec des contraintes quasi scolaires (sinon, je fous rien), entre une heure et six heures du matin, pile. Pour mon premier roman, le Chameau sauvage, je m’étais dit : « Je vais écrire quand ça vient. » Mais en fait, ça vient pas souvent, il y a toujours un coup à boire quelque part : en trois ans, j’ai laborieusement sorti 80 pages. Je suis parti m’enfermer dans une maison et me suis mis à travailler comme une mule docile, à heures fixes : en trois mois, j’en ai écrit 700, des pages. (Cela dit, je demande un peu comment j’ai fait. J’écris beaucoup plus lentement maintenant, deux ou trois pages par nuit maximum.)


Choisissez-vous le titre avant ou après avoir écrit la totalité d'un roman ?


Non, je pense à l’histoire d’abord et je cherche ensuite (le titre n’a pas beaucoup d’importance pour moi, c’est surtout un truc pour faire plaisir à l’éditeur).

Est-ce que ça a été difficile de se faire publier ?

Non. Quand je suis revenu de mon enfermement avec mes 780 pages, j’ai commencé à travailler dessus (y avait du boulot), et je n’arrivais plus à m’arrêter – tout en trouvant, les mois passant, le texte de plus en plus nul. Finalement, j’ai quasiment renoncé à l’idée de le faire publier, tellement j’en avais marre, et j’ai commencé à le donner à lire à des amis, comme ça, ou à des gens croisés dans des dîners. Et plus ou moins par hasard, le mois suivant, trois éditeurs m’ont contacté pour le publier.


Laiezza (taquine) :
Quand on parle de Jaenada, on parle parenthèses, c’est presque dans le cahier des charges. Dites-nous, à deux près, combien de réflexions sur vos parenthèses multiples pourrez-vous encore supporter, avant de griller un fusible, et de commettre votre premier meurtre de lecteur ?

La barre est franchie depuis longtemps (c’était à la 1 573e réflexion, si ma mémoire est bonne). Mais j’ai les fusibles solides. Et puis bon, faut dire que je le cherche, hein, quand même – mais, sincèrement, je n’arrive pas à écrire sans parenthèses. (J’ai essayé.)

(à noter cependant qu'on est sans nouvelles de Laiezza depuis qu'elle a posé cette question...)


Ingannmic (qui en gros se demande si vous n’êtes pas un peu dingue) :
Est-ce que les nombreuses digressions que vous prêtez à vos personnages sont inspirées de celles qui vous viennent à vous dans "la vraie vie", ou sont-elles totalement inventées (à moins que ce ne soit un peu des 2) ?

Je suis pas dingue, je le jure. Non, rien n’est vraiment inventé. La grande majorité sont des choses qui me sont arrivées, et qu’éventuellement je modifie un peu (l’agencement, la succession de ces choses, en tout cas), mais il y a aussi des trucs que je barbote, qu’on m’a raconté et que je reprends.

Livrovore : Quels défauts et quelles qualités vous trouvez-vous en tant qu'auteur ?

Houlà, c’est dur. Essayons d’être honnête. Qualité, je sais pas, je pense que j’ai un style assez reconnaissable. Défauts, deux principaux : je suis incapable de faire dans la concision, faut toujours que je précise tout, que j’explique, que j’allonge ; et surtout, je suis absolument nul en fiction, je n’ai aucune imagination dans le vide, « à partir de rien ». Ce qui est assez embêtant, car du coup, si je ne vis rien de palpitant (ce qui est le cas depuis un moment : j’ai une vie on ne peut plus planplan), je n’ai rien à écrire.

Zaph (qui au cours de ce cyle est devenu votre plus grand fan) : Je me demande ce qui vient d'abord quand vous écrivez: le thème principal, ou l'idée d'histoire ? Je veux dire que dans vos romans, je vois des thèmes sous-jacents assez forts. Par exemple, dans "Vie et mort de la jeune fille blonde", j'y vois le très beau thème de la relation complexe qu'on peut entretenir avec son passé. Est-ce que vous vous êtes dit un jour "tiens, je vais écrire un roman qui parle de ce thème"? Ou alors, vous avez commencé un récit, et le thème s'y est greffé naturellement? Bon, si ça se trouve, c'est totalement subjectif, et ce thème que j'y vois, vous n'avez même pas spécialement voulu l'y mettre !

(Zaph, je vous aime.) En fait, c’est un peu un mélange des deux. Ça part en général d’un petit début de sujet, d’histoire, d’une ou deux anecdotes, et je vois si je peux en faire quelque chose de plus profond (avec un thème, donc, on n’a qu’à dire). Par exemple, pour Vie et Mort etc., j’avais envie de raconter cette histoire de jeune furie de mon adolescence dont j’entends parler 25 ans plus tard. Et évidemment, je me dis « je vais faire un roman sur les liens souvent élastiques avec le passé » (qui me fascinent – c’est pour ça que j’aime beaucoup Modiano). Pour le Chameau sauvage, j’avais envie de raconter l’histoire de l’injuste garde à vue (qui entame le roman) et donc je me suis dit : « c’est bien, je vais faire un roman sur la naïveté, la bonne volonté, la malchance et le moyen de s’en tirer malgré tout ». L’année dernière, on a été pris, ma femme, notre fils et moi, dans un immense incendie. C’est ce que je suis en train d’écrire maintenant : un roman sur la mort, qui nous frôle tout le temps – donc par contraste, un roman sur la vie, bien sûr, l’insouciance (celle qu’on a à tort, mais en même temps, et paradoxalement, celle qu’il est bon d’avoir).

Livrovore : Vous arrive-t-il de relire vos propres romans ?

A la fin de l’écriture, oui, bien sûr. Avant, j’avais de longues semaines de travail après avoir tout rédigé. Maintenant, j’écris beaucoup plus lentement, mais du coup je n’ai presque plus de travail ensuite. A part ça (la question était sans doute : après la parution), il m’arrive de relire des passages (jamais le livre en entier, bien sûr, il y en a tant d’autres), mais de moins en moins souvent. Parce que ça ne sert à rien. Soit je trouve que ce que j’ai écrit est mauvais (alors que je pensais, en l’écrivant, que c’était bon), et donc je me dis : si ça se trouve, ce que j’écris en ce moment, et que je pense plutôt bien, c’est nul ; soit je trouve que ce que j’ai écrit est bon, et dans ce cas, je me dis : misère, j’écrivais bien, à l’époque, je ne retrouverai plus ça.

Lily :
Lisez-vous les critiques, ou pas du tout ? Je pense aussi bien aux pros qu’aux amateurs comme nous…

Oh, bien sûr, je lis tout. Mais je n’en tiens pas compte. Je veux dire : ça me fait plaisir ou ça m’énerve, mais ça ne me fera jamais changer ce que j’écris. Aucune critique, de personne. Sauf celles de ma femme. Ma femme a toujours raison (elle est fantastique, du tonnerre).

Zaph :
Hector, le personnage principal du "Cosmonaute", semble susciter des réactions assez fortes et opposées de la part des lecteurs. Certains le trouvent lâche, d'autres courageux, ou encore résigné. D'ailleurs, même Hector semble avoir une image très fluctuante de lui-même. Etes-vous surpris de cette divergence de jugements ? Et vous, quelle est votre opinion sur Hector ?

Non, je ne suis pas surpris, c’est normal. Personne n’est absolument lâche ou absolument courageux, personne n’est tout à fait rebelle ou tout à fait résigné. Donc mon personnage est réaliste, c’est plutôt une bonne nouvelle pour moi. Mais ce n’était pas bien difficile, le réalisme : Hector, c’est moi, vraiment. C’est le plus autobiographique de mes livres (ma femme est un monstre – salope). Et, oui, je crois que je suis lâche et courageux, invincible et résigné.

Laiezza : Dans ma critique du "Cosmonaute", je me suis livrée à des phrases un peu sévères, sur le personnage de Pimprenelle. Evidemment, quelqu'un est venu, motivé par les meilleures intentions du monde, me préciser que vos livres étaient tous plus ou moins inspirés de votre vie... Mais, dans le cas d'un livre comme "Le Cosmonaute", comment fait-on pour gérer les réactions des gens ? Je suppose que vous parvenez à faire la distinction entre le personnage, et la personne qui l'a inspirée... Mais je suppose que ce doit être très perturbant, parfois, vis à vis des autres ? Cela arrive t'il qu'on vous dise : "le passage où tu fais..." au lieu de "le passage où le narrateur fait"... ? Je ne sais pas si ma question est claire (en fait, elle ne l'est pas), mais ce que je me demande, c'est tout simplement si vous en êtes conscients, et en jouez, ou bien si c'est un dommage collatéral, dont vous êtes bien obligé de vous accommoder. Et si oui, est-ce que cela ne vous condamne pas à passer votre vie à dire "Non mais attends, mec, dans "Le Cosmonaute", en fait, j'ai voulu dire ci, faire ça", ce qui, nous sommes bien d'accord, n'est pas une vie...?

C’est, comme je disais juste au-dessus, tout à fait conforme à ma vie, mais je ne vois pas où est le problème. Du moins, je vous assure, ce n’est pas perturbant. Quand on me demande, je dis « oui oui, c’est comme ça en vrai » (et je me trouve parfois face à de grands yeux horrifiés, effectivement – mais, euh, ça ne me dérange pas), et si on ne me demande pas, je ne dis rien. (Je sais que pas mal de gens pensent que c’est de la fiction, ce qui est très bien aussi.) Vraiment, mes livres étant, de très loin, ce que je fais de plus intime et de plus sincère dans l’existence, ça ne me gêne pas du tout qu’ils se mélangent à ma vie « privée ». Mes livres, c’est exactement le coeur de ma vie privée.

Thom : Un jour je vous ai vu déclarer : « Je n’écrit que des choses vraies », et cette phrase m’avait beaucoup troublé… car bien entendu la vérité est une notion qui n’a pas vraiment de sens en littérature (comme vous le soulignez très bien dans votre amusant texte sur l’autofiction). Alors c’était quoi, cette phrase ? Une boutade, ou bien il y avait un sens plus… « profond » ?

Ah ça vous intéresse, les amis, le rapport entre la réalité et l’écriture. (Il y a de quoi, cela dit.) Ce n’était pas vraiment une boutade, non – même si, c’est vrai, j’aime bien jouer avec ça (parce qu’on me demande tout le temps). Mais ça ne veut, en effet, rien dire. Par exemple, dans le Chameau sauvage, le narrateur ramène chez lui une fille perdue qui détruit tout dans sa cuisine. Bon, j’ai ramené chez moi une fille perdue qui a tout détruit dans ma cuisine. Après, le simple fait de le raconter, ce n’est plus la « vérité ». Et changer le contexte, et les conséquences, de cette anecdote, ce n’est plus la vérité non plus. Ce que j’écris est la vérité comme un cerveau est un truc mou qui pèse je ne sais combien de grammes. Et je pars toujours de faits réels juste parce que je ne sais pas en inventer. Exactement comme j’aurais du mal à réfléchir sans un gros truc mou dans la tête.

Zaph : Il y a des lecteurs qui trouvent que "Le Cosmonaute" est une caricature. Moi pas; je trouve que c'est totalement réaliste. Sauf sur un point: comment expliquez-vous qu'une maniaque grave puisse supporter la présence d'un chat plein de poils ? Alors, qu'avez vous à répondre à ça, Mr Jaenada ? (NB ne croyez surtout pas que je demande ça parce que j'ai envie d'avoir un chat.)

Ça va bien avec les questions du dessus, c’est un bon exemple. Dans le Cosmonaute, tout est vrai, il n’y a absolument rien de faux. Mais il y a du vrai qui n’y est pas. J’ai retranché des bons aspects de ma vie avec Pimprenelle/Anne-Catherine. (Je voulais écrire un roman non pas pour raconter ma vie, je m’en fous que les gens la connaissent ou pas, mais pour dire : quand on supprime toutes les raisons d’aimer quelqu’un (la gentillesse, l’intelligence, la drôlerie, l’altruisme, la beauté, etc, et qu’on se rend compte qu’on l’aime quand même, on s’approche vraiment, scientifiquement, de ce qu’est l’amour.) Donc, bref, rien n’est faux, mais ce n’est pas vrai. C’est ce qu’on doit appeler « réaliste », je pense. Pour ce qui est des poils de chat, vous ne croyez pas si bien dire. Anne-Catherine détestait mon chat (qui est mort en 2006, à 20 ans – inconsolable, j’étais), du moins les effets de la présence de mon chat (que j’avais déjà quand on s’est rencontrés), elle passait son temps à la (c’était une chatte, Spouque) menacer de mort, à dire qu’elle voulait qu’elle crève, à lui hurler dessus. A cause des poils. Et parallèlement, elle la nourrissait avec amour, et elle aussi a été très triste à sa mort.

Thom :
La question qu'on vous a déjà posé deux cents fois : pourquoi Pimprenelle ??? Et pourquoi Oscar ? Est-ce parce qu'au moment de l'écriture vous passiez « Bonne Nuit les Petits » en boucle pour endormir vos enfants ?

Pimprenelle, c’est parce que la mère de ma femme l’appelait comme ça quand elle était ado et voulait jouer à la dame, sexy et tout ça. Elle lui disait : « Fais pas ta Pimprenelle... » (Je n’ai jamais compris pourquoi : ça n’a rien à voir avec le personnage de Bonne nuit les petits...) Oscar, c’est parce qu’un fou furieux (je raconte ça dans le Chameau sauvage, je crois) m’a dit un jour que j’avais au-dessus de la tête une sorte de fantôme qui s’appelait Oscar. Mais c’est vrai, une fille a fait une thèse sur mes romans et remarquait, dans tout un chapitre, que beaucoup de mes personnages avaient des noms en rapport avec l’enfance, les dessins animés ou les contes (Pollux, Titus, Olive, Pimprenelle, Oscar, etc...) Le hic, c’est que depuis que j’ai lu ça (je n’y avais pas pensé une seconde avant, il me semblait choisir mes noms au hasard), je n’arrive plus à me l’enlever de la tête, et forcément, ça m’influence (ce qui n’est pas spécialement gênant) : dans le roman que je suis en train d’écrire, ma femme s’appelle Oum et notre fils Géo.


Plus sérieusement : au terme du premier chapitre du « Cosmonaute », tout laisse à penser que l’enfant est décédé…non ? L’avez-vous envisagé comme tel, afin de créer un suspens ? Et si oui est-ce que vous n’êtes pas un peu contrarié que dans 90 % des critiques les gens révèlent que l’enfant survit ?


Non, ce n’était pas vraiment pour faire du suspense, c’est juste parce que je l’ai vécu comme ça : j’ai pensé pendant deux minutes que notre fils était mort. Deux minutes qui m’ont paru vingt ans, où tout s’est immobilisé autour de (et en) moi pendant vingt ans. Et le seul moyen de retranscrire cette impression de suspension dans le livre, c’était d’insérer beaucoup de pages entre la sortie de la salle de travail et le moment où je comprends que ça va. Mais ça ne me dérange pas du tout qu’on « révèle » qu’il s’en sort, non. Je suis un peu superstitieux, je ne veux pas me servir de l’éventuelle mort de mon fils comme artifice à deux balles. Bon, c’est complexe, en résumé : je ne veux pas créer de suspense, mais je veux qu’on attende entre la question et la réponse...

Lily : Votre site officiel m'intrigue, notamment les notices explicatives sur certains livres... pourquoi ce procédé ? Vous considérez-vous comme un auteur proche de ses lecteurs ?

Mon site « officiel », je n’y suis pas pour grand-chose. C’est un garçon (formidable au demeurant) qui m’a proposé de le faire et qui s’en occupe, David Desvérité. Donc je n’interviens pas beaucoup, hormis pour lui donner des infos et des textes de temps en temps. Je me sens proche de mes lecteurs, oui, bien sûr, dans le sens où je réponds toujours aux mails et tout ça, où je suis content d’avoir des nouvelles d’eux, où leurs avis et réactions m’intéressent et me touchent. Mais d’une autre manière, on ne peut pas vraiment dire que je sois proche de qui que ce soit : on vit vraiment dans une bulle, avec ma femme.

Thom : Et quoiqu’il en soit… nous offririez-vous en exclusivité un petit teaser de votre prochain roman (qui je crois sort prochainement) ? Genre… en deux mots, nous dire un peu à quel sauce nous allons être mangés (je dis « nous » car nous sommes tous accro, maintenant ! Vous n’avez eu qu’une seule minuscule chronique négative chez nous, et même pas bien méchante, veinard).

Je sais, j’ai lu, j’étais content et fier. Le prochain roman, comme je disais un peu plus haut, se déroule sur une seule journée, entre dix heures du matin et dix-huit heures. En Italie, un couple et un enfant sont pris dans un incendie gigantesque (qui a détruit 40 kilomètres de forêt), leur voiture explose, ils courent pendant des heures, sans aucune possibilité de s’échapper vraiment (ils courent dans la forêt) et finissent coincés sur une petite plage, cernés par des flammes de trente mètres de haut, avec deux seules perspectives : mourir carbonisés ou entrer dans l’eau et mourir asphyxiés par la fumée. La fin de l’histoire en janvier...

Laiezza : Sur ce site, on peut trouver beaucoup de textes inédits, et le moins qu'on puisse dire, c'est que la forme courte vous réussit ! Avez-vous déjà songé à publier un recueil de nouvelles, et si oui, comptez-vous le faire prochainement ?

Moi je n’y ai jamais pensé, non, mais un éditeur m’a proposé récemment de le faire. Je ne sais pas, je réfléchis, je veux être sûr que ça vaut le coup, que ça le mérite. Tous ces petits textes ne sont pas des chefs-d’oeuvre, hein, quand même...

Zaph :
Votre style me semble très personnel et bien identifiable. Est-ce quelque chose qui se travaille, qui se construit, ou est-ce une chose naturelle qu’il faut trouver en soi et laisser s’exprimer ?

C’est naturel, indiscutablement, c’est en soi, mais ça ne vient pas du jour au lendemain. Je ne dirais pas que ça se travaille, plutôt que ça mûrit tout seul, mais qu’il faut écrire pendant pas mal de temps (sans chercher à se forcer, à se donner un genre, à se changer) avant que ça apparaisse vraiment et se stabilise. C’est une sorte de travail passif – si ce n’est bien sûr qu’il faut beaucoup écrire, ce qui, dans le genre passif, se pose là.

Thom :
Juste pour savoir… vous n'êtes que mon second Philippe préféré, à égalité avec mon Tonton Philippe et à quelques encablures de Philip Roth. Que seriez-vous prêt à faire pour devenir le numéro 1 ? Accepteriez-vous par exemple de devenir un Chats de Biblio à titre honorifique ? Seriez-vous intéressé par une Carte V.I.C. (Very Important Cat) ? Non parce que les auteurs qui vous ont précédés ont dit oui – on ne les a jamais revus…

J’accepte avec joie tous les titres et toutes les cartes imaginables, mais pour être honnête, je ne sais pas si je ferai mieux que mes prédécesseurs, je ne vais pas beaucoup sur les sites... (Entre ma femme, mon marmot, le bistrot d’en bas, les mails et le roman à écrire, je ne roule pas sur le temps libre... (Chiotte, je me rends compte que j’a dit le contraire au début)) Pour devenir le n°1, je ne sais pas, il faudrait que je connaisse votre tonton pour le battre sur ses points faibles. Je veux bien vous payer trois bières, par exemple, ou vous présenter des filles, je sais pas, dites-moi.

(cher Philippe, vous ne pouviez pas le savoir, mais en répondant à tous ces trucs sur l'autobiographie et la fiction vous êtes déjà devenus numéro - Roth lui n'a pas accepté de me répondre... quelle ordure)

Question subsidiaire : de nombreux chats se sont plaints de ne pouvoir trouver vos livres en bibliothèque, et ont été contraint de bouder l’Aristochat ce semestre. « Néfertiti », notamment, semble être une denrée rare… pensez-vous que vous si nous faisions parvenir une pétition à votre éditeur il accepterait de nous envoyer des exemplaires en dédommagement, ou c’est même la peine d’y penser ?


Ah, ça ne me fait pas plaisir qu’on ne trouve pas mes livres en bibliothèque. Salauds de bibliothécaires. (Pourtant, j’ai été un des rares écrivains à refuser (à l’époque où on en parlait – je ne sais pas ce qu’est devenue cette « idée ») qu’on fasse payer les lecteurs de bibliothèques pour reverser de l’argent aux auteurs et éditeurs – le monde est ingrat.) Pour Néfertiti, mon éditeur grand format n’en a plus des tonnes et surtout, ces crétins de chez Pocket, l’éditeur de poche du roman, ont refusé, une fois le stock épuisé, de réimprimer. Heureusement, allégresse et coup de théâtre, les droits viennent d’être rachetés, et Néfertiti sortira en janvier chez Points Seuil – la meilleure des maisons de poche, n’ayons pas peur des mots.

Autrement dit ma manœuvre pour que vous me l'offriez à lamentablement foiré...? Bon eh bien... merci quand même, Philippe Jaenada. Merci beaucoup, même (soyons fous).


(et là vous mettez un truc comme : « oh non, je vous en prie, merci à vous, je n’avais que ça à faire de mes vacances… » etc.)

Oh non, je vous en prie, merci à vous, c’était un bonheur et je n’avais que ça à faire.

En espérant que tout cela ne vous aura pas pris trop de temps, et ne vous aura pas trop ennuyé.

Du temps, oui, je mentirais en disant le contraire (faut que je fasse le ménage dans tout l’appart, ma femme rentre demain de vacances, je vais me faire massacrer s’il y a un gramme de pizza par terre), mais ennuyé, vraiment, pas du tout. Les questions (nombreuses, hein, vous n’y allez pas avec le dos de la louche) étaient impec (j’aurais aimé y répondre plus longuement, il a parfois fallu que je me retienne un peu, mais sinon, ça me prenait trois jours), et ce que vous dites, vos regards sur mes livres, tout ça, m’a joyeusement remué. Bonne suite, m’sieurs dames.


Philippe Jaenada chez les Chats :
  • Le Chameau sauvage (ICI , ICI et ICI)
  • La Grande à bouche molle (ICI et ICI)
  • Le Cosmonaute (ICI et ICI)
  • Vie et mort de la jeune fille blonde (ICI)

Sans oublier plus de Philippe Jaenada chez nos confrères de Biblioblog, encore plus sur 115th Dream, et toujours plus sur Le Golb (merci de vous reporter aux index de ces derniers pour retrouver les articles, je suis serviable mais tout de même pas à ce point...)

21 commentaires:

  1. Haaaaaaaaaaaa.......
    Je pense que je vais lire Philippe Jaenada. Pour excuse, j'étais en vacances, ma bibliothèque est fermée, je n'avais pas vu que Mr Jaenada était l'Aristochat du site.(je peux me trouver beaucoup d'excuses pour plein de choses )
    Un bémol, Philippe Jaenada aime Proust. Aye. Mais baste, je vais passer sur ça puisqu'il aime aussi et j'espère, surtout, Faulkner.
    Ha et puis, les parenthèses ...j'adore les parenthèses. Merci de cet entretien : )

    Aline (Idothée)

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  2. Oui, merci à Philippe et aux chanims.
    Et vivement janvier...

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  3. Je suis là, et je vais bien. J'ai eu un accident de voiture il y a quelques jours, mais quand même, j'ai du mal à imaginer Philippe en train de saboter mes freins ;)

    Merci à lui pour toutes ces réponses !!

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  4. Oh là... toutes mes excuses les amis, il y a eu un bug de mise en page totalement indépendant de ma volonté (en plus j'y avais passé du temps, sur la mise en page ! :-(

    C'est à présent corrigé. Bonne (re)lecture :-)

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  5. Bravo à Mr Jaenada pour sa disponibilité et son humour! Quel bonheur!!! Et aux chanims de nous avoir organisé tout ça!

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  6. Ah, mais je l'enverrais avec plaisir, le Néfertiti, mais je n'en ai plus qu'un à la maison. Vous êtes certes mon meilleur ami, Thom, mais enfin tout de même, mon fils dans cinq ans (dix, allez, c'est quand même assez lubrique, comme livre) aura peut-être envie d'y jeter un oeil, si ça se trouve.
    Vous n'aimez pas Proust, Aline ? Où va le monde, misère ?
    Je suis fort en mécanique, Laiezza, comme une truite en lancer du javelot. Pas un juge sur terre ne pourrait m'imaginer coupable.

    Ph.

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  7. Wow! Dans mon enthousiasme je m'exclamerais: VOULEZ-VOUS M'ÉPOUSER! (Je dis toujours ça hein, c'est comme ça, on dirait que je sais pas comment dire «J'aime bien ce que vous faites» autrement.) J'adddoooorreee les auteurs qui sont capables de porter un regard sur leur démarche. Et tout ce que vous dites sur réalité et fiction, c'est super!

    Mais bon, vous êtes déjà marié alors hein. Y'a pas un Chat qui voudrait m'épouser à la place?

    Et puis je tiens à dire que même si Thom a dit que j'avais dégommé votre livre dans ma critique Biblioblog, ce n'est pas vrai. J'ai tellement adoré la première partie du Cosmonaute que j'ai bien l'intention de lire tous vos autres livres...

    Mais on ne les trouve pas au Québec! Alors je vais chercher plus fort...!

    Bravo les Chats, superbe entrevue!

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  8. Philippe >>> coupons la poire en deux : vous l'offrez à votre fils, et lui il s'engage à venir nous en toucher un mot chez les Chats dès qu'il sera en âge de comprendre (les cartes V.I.P. chez nous se transmettent de générations en générations - d'ailleurs les filles de Zaph ont A-DO-RE "Nefertiti".......)

    Catherine >>> non, la phrase exacte c'est : "J'ai bien l'intention de lire toutes les premières parties de vos autres livres" ;-)

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  9. Vraiment superbe cette interview. Bravo les Chats, merci beaucoup M. Jaenada!

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  10. J'adore! Cette interview est rondement menée. C'est pas que je ne voulais pas participer, mais je ne sais jamais quoi demander à un auteur! (J'ai toujours l'air d'un crétin dans les salons littéraires...) Pourtant je l'ai aimé notre Philippe...

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  11. Où va le monde ? Je voudrais bien répondre à cette question Mr Jaenada : ) Mais je ne sais pas . je peux juste vous dire que je suis pessimiste.
    Proust, ce n'est pas que je n'aime pas. C'est que je n'arrive pas à le lire : je m'endors à chaque fois ...
    Vos livres n'ont pas l'air de faire cet effet : aucun n'était disponible hier à la bibliothèque, sur 5, 4 sortis et 1 en réparation ...

    Aline (Idothée)

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  12. Ah, un en réparation, c'est formidable. (Je l'imagine sur une table d'opération, les pages tremblantes, dans une lumière verdâtre, ça me fend le coeur.)
    Pour ne pas s'endormir avec Proust, Aline, il faut le lire à haute voix. C'est plus long, bon, mais vraiment beau, et souvent drôle.
    Je suis comme vous Gaël.
    J'en ai parlé à mon fils, Thom, il a refusé : il ne veut pas se mêler des histoires de cul de ses parents (on ne peut pas lui en vouloir).
    Catherine, vous épouser va effectivement être un peu compliqué, nous devrons donc malheureusement nous contenter de rapports sexuels épisodiques.

    Ph.

    (Au fait, je tiens à préciser que je n'ai pas du tout une grosse main pâle monstrueuse comme sur la photo (on dirait la main d'un cadavre de boucher qui a passé deux mois et demi au fond d'une mare), c'est juste ce couillon de photographe qui ne savait se servir ni d'un grand angle ni de ses projecteurs.)

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  13. Salut les Chats, salut Philippe.
    Je profite que tu (merci les Chats) sois là (après avoir déserté d’une manière tout à fait incompréhensible le blog de Wrath) pour te faire part de ces réflexions que m’ont faites plusieurs grands auteurs d’auto fiction (par grand, j’entends un mètre soixante-dix et plus) a qui je disais « Le Philippe, l’a plus rien à raconter vu qu’il ne lui arrive plus rien » (je reprenais ce que tu disais et redis-là – je ne me serais pas permis, sinon, hein ?!) Et ces grands auteurs de me répondre, en balayant l’argument de la main, « Pas besoin de vivre quoi que ce soit d’exceptionnel. On peut écrire sur rien, sur le quotidien, sur le fait même de ne rien vivre d’exceptionnel… » Alors, qu’est ce que tu dis de ça, Philippe ?

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  14. Il y a une autre solution : se lancer délibérément dans des coups foireux (je ne sais pas, par exemple, braquer une banque, se faire arrêter, puis aller en prison) histoire d'avoir quelque chose à raconter.

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  15. Vraiment sympa, toutes ces réponses. C'est très agréable de pouvoir échanger avec un auteur après la lecture de ses livres. Et en plus, il vient commenter l'article.
    Merci bôcoup, M'sieur Philou (euh... pardon... Philippounet ? Philichou ? ... Bon, merci Monsieur Jaenada ;-))

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  16. Que dire ? C'est une des plus passionnantes itv que j'ai lu ces derniers temps. Merci Philippe Jaenada, bravo, encore ! :)

    --> auteurs tv : merci de nous révéler pourquoi les autres auteurs d'autofictions sont tous nuls et nombrilistes. D'ailleurs PJ a tort, il n'écrit pas d'autofiction, juste des romans autobiographiques (et au moins comme ça on connait la différence) (quelle journée ! on en apprend des trucs chez les chats !!)

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  17. J'suis pas d'accord avec eux, Nicolas. D'une part il n'y en a qu'un, un seul, qui a été capable de faire ça, c'est Bukowski – et c'est pas demain la veille qu'on en trouvera un autre du même calibre; ensuite, bien sûr, on peut le faire une fois, écrire sur la répétition, la monotonie, le vide du quotidien, c'est un sujet, mais moi j'ai déjà donné dans le Cosmonaute, et je ne vois vraiment pas l'intérêt de recommencer, d'écrire encore quelque chose sur la monotonie du quotidien, la monotonie du quotidien, la monotonie du quotidien. Ce que j'aime faire, ce n'est pas écrire pour écrire, pour dire que je suis écrivain, c'est : raconter.
    (Ça va, sinon ? J'ai vu que le site s'était bien étoffé.)

    Ph.

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  18. 14h48? Tombé du lit?
    Merci, je sais quoi leur répondre maintenant, à ces auteurs-là.
    Bukowski? Connais pas. Par contre, as-tu lu les autofictions de Thom, du Golb?
    rhhhhhooooo

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  19. Celle-là, elle va se payer TRES cher ;-)

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  20. C'est pas autofictions, c'est des totofictions. Rien à voir !

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  21. (mais un peu à voir avec Jaenada cela dit quand même, la preuve je l'ai même écrit dans ma micro-note sur le Chameau)

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