Ce ne sont pas les aveugles qui critiqueront la mise en page, par Yohan
José Saramago, auteur portugais, prix Nobel de littérature en 1998, déjà ça impressionne. Mais ce qui impressionne encore plus avec ce roman, c’est quand on ouvre le livre : le lecteur se trouve face à 300 pages sans aération, sans sauts de ligne (ou alors un toutes les trois pages). Même les dialogues ne permettent pas de donner de la légèreté à la présentation, car ils sont présentés à l’intérieur du récit, avec une présentation originale : l’intervention d’un personnage est introduite par une virgule suivie d’un majuscule, majuscule réapparaissant dès qu’il y a un changement de locuteur.
Bon, voilà donc un ouvrage grand format de 300 pages, très peu aéré. Mais j’ai entendu tellement de bien de Saramago qu’il faut bien que je me lance.
Et c’est ce que j’ai fait. L’intrigue est très simple : un pays entier est frappé d’une épidémie de cécité. Le premier individu atteint perd la vue alors qu’il attend au feu rouge dans sa voiture. Puis le mal se répand, de manière contagieuse : tous les personnages que croisent l’aveugle le deviennent à leur tour, et cette réaction en chaîne fait qu’un nombre de plus important de citoyens deviennent aveugles. Le gouvernement décide dans un premier temps d’enfermer les aveugles dans un ancien hôpital psychiatrique, pour protéger les individus sains. On suit donc les tribulations de ces nouveaux aveugles, sans repères, dans un univers hostile, où les instincts les plus vils vont resurgir…
A partir de ce point de départ (l’aveuglement des citoyens d’un pays), Saramago parvient à traiter une multitude d’aspects liés à cette cécité, et à déborder ce simple problème de vision. La lâcheté des gouvernants est la première attitude qui saute aux yeux : on préfère sacrifier quelques aveugles et protéger la masse, plutôt qu’essayer de soigner les malades. Les aveugles eux-mêmes, qui ont tous un statut de victime, reproduisent le schéma qu’ils ont connu à l’extérieur : des meneurs, des dociles,… Un racket se met en place au sein de l’asile, qui ira jusqu’à des paiements en nature (ce qui donne lieu à des descriptions terribles). On ressent également la vulnérabilité de l’être humain vis-à-vis de son environnement : abandonné en pleine nature, comment peut-il faire pour trouver à manger, boire ou se laver ?
Toutes les scènes sont rapportées par la femme d’un ophtalmologiste, qui a la chance de ne pas perdre la vue quand tous les autres tombent malades. Et avec elle, on suit l’évolution de la maladie, tout en partageant sa crainte de devenir elle-même aveugle. Cette femme incarne à elle seule la volonté de ne pas se laisser dépasser par la situation : de peur d’être exploitée par les aveugles, elle garde pour elle (et son mari) le fait qu’elle voit. Elle fait tout ce qu’elle pour aider la communauté, mais est contrainte de se replier sur elle-même pour ne pas être submergée par les demandes des aveugles.
Ce livre est tout à fait palpitant, très bien écrit et confronte le lecteur à une situation totalement inédite. Il m’a questionné sur mon rapport au monde, et sur les capacités qu’a l’être humain à réagir à des situations imprévues. Car c’est l’une des forces de cet ouvrage : à partir d’un événement anormal, parvenir à présenter tous les aboutissants de cette nouvelle situation, sans laisser échapper le moindre détail. Par exemple, le narrateur présente à plusieurs reprises les difficultés des aveugles, difficultés auxquelles je n’avais souvent pas pensé, notamment celles liées à l’hygiène.
Au fait, je pense que je n’ai besoin de vous préciser que la mise en page n’est finalement pas du tout gênante, tant le roman est passionnant de bout en bout…
Tout à fait d'accord. C'est un roman très fort.
RépondreSupprimerJe ne connais pas du tout, mais cette histoire de mise en page m'intrigue énormément...
RépondreSupprimerEn tout cas bienvenu dans ces pages, Yohan !
@ revejeanne : content que d'autres partagent mon enthousiasme.
RépondreSupprimer@thom : merci de m'accueillir ici ! Et je te conseille vraiment ce roman, qui, en dehors de la mise en page étonnante, est très frappant !
Jolie critique, Yohan.
RépondreSupprimerJ'espère que tu nous en offriras d'autres ! :)
Bienvenue parmi nous Yohan!!!
RépondreSupprimerEn tout cas, tu m'as convaincu de lire ce livre!
Merci encore pour votre accueil.
RépondreSupprimerSi j'ai déjà réussi à convaincre quelqu'un de lire ce livre, c'est bon signe !
Je pense que je récidiverai !
Bienvenue Yohan. Tu reviens quand tu veux avec des critiques comme celle-ci :-)
RépondreSupprimer"Si j'ai déjà réussi à convaincre quelqu'un de lire ce livre, c'est bon signe !"
RépondreSupprimerEn fait ta phrase aurait dû être pluriel, puisque je l'ai acheté entre temps ;-)
Bienvenue Yohan, tu peux rajouter une personne à la liste des convaincus !
RépondreSupprimerEn parlant de mise en page bizarre, je crois que c'est Elfriede Jelinek qui a écrit un roman sans ponctuation ni majuscule, et avec des retours à la ligne complètement fantaisistes, mais je ne me souviens plus du titre..
@ Thom : tu ne m'en vois que plus heureux !!!
RépondreSupprimer@Ingannmic : ravi que mon plaisir soit partagé ! Pour le livre de Jelienok, je n'ai rien lu d'elle donc je ne pourrai pas t'aider. Dans le meme style, il y a un petit de François Bégaudeau (écrit avant Entre les murs), qui est également sans ponctuation ni majuscule. Il s'appelle Jouer juste, se lit d'une traite en une heure et mélange histoire amoureuse et vie d'un vestiaire de football à la mi-temps d'un match. Un bon souvenir !