Et de l'humour drôle, en plus ! par Gaël
Quatrième de couverture :
Halvard Sanz est un gentil garçon. Signe particulier : doué pour les catastrophes en série. Il y a des gens qui n'ont pas de chance, mais qui, genoux à terre, toujours se relèvent. Halvard est de ceux-là. Quête initiatique, roman picaresque, amour allégorique, loufoques aventures servies par une verve intarissable... Mais le chameau sauvage dans tout ça ? Quand vous en connaîtrez le principe, comme Halvard, vous verrez la vie differemment.
Il faut bien l'avouer, la littérature française actuelle ne pêche par excès d'humour. Si elle ne tombe pas forcément dans le sinistre affligeant (et pourtant, il y en a !), elle semble se complaire dans une mélancolie confortable ou le rire serait un couac à des proses travaillées à la lettre près. C'est dans ce climat que depuis une dizaine années sévit Philippe Jaenada, dont l'univers, s'il n'est pas complètement barré, a pour lui d'être délicieusement décalé. Car Jaenada a quelque chose de très rare en ce pays à la littérature pontifiante : de l'humour. Et de l'humour drôle en plus ! Il m'a fait rire comme je n'avais pas ri depuis longtemps devant un livre (non, M. Jaenada, ceci n'est pas une déclaration d'amour !).
Jaenada est la définition même de l'auteur décalé, celui qui va nous donner une vision de la réalité qui est juste à côté du bons sens commun, à travers les yeux d'un personnage qui est juste à côté de ses pompes. En cela la première partie du Chameau sauvage est un morceau de bravoure qui monte comme oeufs en neige, laissant le lecteur se demander si Halvard Sanz n'est pas parfois plus con qu'opiniâtre, et inversement. En cela il est dur de ne pas faire le rapprochement avec le personnage de Wilt, anti-héros aussi malchanceux de Tom Sharpe, qui a pour habitude également de se retrouver toujours dans des situations hallucinantes partant d'un point de départ anodin.
Mais Le Chameau sauvage ne serait pas ce qu'il est si à un humour féroce et ravageur ne se mêlait une poésie pétillante, tant dans les mots que dans l'action. Jaenada manie la parenthèse de digression comme personne, alignant les cinquième ou sixième couches de pensée sans jamais perdre le fil ni le lecteur. Ce sont parfois des sauts périlleux cérébraux auxquels nous convie l'auteur, qui pourraient se traduire comme un 360° d'une simple idée, dans un style léger et fluide, comme si un copain érudit vous racontait cette histoire de vive voix. Poésie du texte donc, mais aussi poésie de situation. À ce titre, le récit du premier rendez-vous officiel entre Halvard et Pollux, du coup de téléphone à la nuit tombée, est un moment de grâce littéraire. J'y ai lu l'une des plus histoires d'amour de la littérature. Entre la maldresse de l'un et le mystère de l'autre se crée une alchimie indescriptible que l'auteur a su dépeindre avec... magie! Je ne vois pas d'autre mot. J'ajouterais même que les hommes peuvent en vouloir à l'auteur d'oser briser cette image d'assurance que nous, les hommes, avons tenté de travailler pendant des années. Jaenada ose montrer les hommes tels qu'ils sont lors d'un rendez-vous amoureux, de l'incertitude bénigne au stress paralysant. (M. Jaenada, vous n'êtes qu'un traître !).
Enfin, Le Chameau sauvage est une quête de soi qui peut parler à chaque lecteur. À plusieurs reprises, le narrateur erre dans les rues de Paris comme dans le flot de ses pensées, cherchant entre les lignes un sens à sa vie. Jusqu'à ce qu'il découvre le but ultime pour lui : aimer Pollux Lesiak. Mais avant de parvenir à cette conclusion, Halvard interroge, toujours sous l'oeil de l'humour, sa place dans le monde. Ce monde qui semble lui en vouloir, et qui pourtant ne cesse de lui démontrer, à travers les personnages qu'il rencontre, que sa vie n'est après tout pas si mal, qu'elle vaut mieux qu'une tournée des bars embrumée de whisky qui finit dans une amnésie passagère. Chaque second rôle qui croise la route de Halvard est une occasion pour lui de démontrer inconsciemment qu'il a foi en l'humain, qu'il est prêt à accepter ce monde qu'il semble rejeter de prime abord.
Singulière normalité, par Thom
Il y a quelque chose d'assez saisissant lorsque l'on prend la peine de lire un peu tout ce qui a été écrit, ici ou là, à propos de l'Aristochat en titre : les amateurs de Philippe Jaenada (du moins ceux qui le lisent depuis quelques années) sont... les amateurs de Philippe Jaenada. C'est à dire qu'ils sont de toute façon plus ou moins acquis à la (noble) cause. Au-delà de ses livres, tous semblent ressentir un attachement profond pour l'auteur lui-même, comme s'il était un bon copain dont ils avaient suivi l'évolution et le parcours au fil des années, comme s'il avait toujours été là, membre de la famille discret la plupart du temps et tapageur lors des grandes réceptions - mariages ou baptêmes - qu'il illuminerait toujours d'un discours fulgurant ou d'une cuite mémorable. On ne se contente pas, après une première lecture de Jaenada, d'en admirer l'inventivité ou la classe, d'en saluer l'écriture ou le génie du rythme. On s'attache, étrangement et viscéralement ; que celui qui après avoir lu son premier Jaenada ne s'est pas mis plus ou moins inconsciemment à imiter son style ou dérober ses parenthèses multiples me jette la première pierre. Il y a là quelque chose de rare, dans la littérature d'aujourd'hui, qui s'étend bien au-delà de l'usuel (et essentiel pour la bonne marche d'une lecture) processus d'identification à un narrateur ou à un personnage : quand on ouvre son premier Jaenada on ne va pas lire un livre - on va rencontrer un auteur.
La clé de ce phénomène me semble résider dans « Le Chameau Sauvage », premier roman imparfait mais grandiose. Ce n'est pas forcément son meilleur livre (il contient pas mal de longueurs, notamment dans l'exposition), mais en le relisant onze ans plus tard et avec un œil d'adulte j'ai compris pourquoi c'était presque systématiquement le Jaenada préféré de tous ceux qui l'avaient découvert en 1997. Parce que justement, c'est d'une rencontre au sens littéral du terme qu'il s'agit. Que cela marque passablement. Le premier Jaenada, c'est un peu comme le premier baiser ou le premier disque acheté : même en en reconnaissant les faiblesses objectives, on ne peut pas l'oublier et on ne peut pas le classer ; il n'est pas meilleur que les autres, pas au-dessus, il est juste à côté - hors-catégorie.
Or la force du « Chameau Sauvage », livre impossible à résumer tant, fondamentalement, il ne raconte rien de précis et donne surtout l'impression qu'un ami inspiré va vous causer magistralement de tout et de rien... c'est d'être totalement poignant - au sens propre : choper le lecteur pour ne plus le lâcher. Halvard Sanz, son héros au patronyme improbable, pourrait être à peu près n'importe lequel d'entre nous. C'est l'un des personnages les plus forts et les plus crédibles que la littérature contemporaine récente nous ait offert, et en même temps on aurait toutes les peines du monde une fois le livre refermé à renseigner les gens sur son âge, sa physionomie... même ses pérégrinations burlesques, qui constituent l'essentiel du roman, finissent par s'évaporer au bout de quelques temps - ce qui fait du « Chameau Sauvage » un de ces rares livres relisibles à l'infini. Ce qui marque durablement chez ce personnage, c'est son ton, sa vision du monde, son regard faussement candide, son auto-dérision permanente et sa capacité à rendre le tragique absolument hilarant. Vision dont on supposera sans trop se forcer qu'elle est également celle de l'auteur (pas besoin d'avoir lu tous ses livres pour prendre le risque de cette supposition ambitieusement digne d'un universitaire sous acides). Vision tout à fait... bukowskienne, en fait.
(...) A la relecture, cette veine bukowskienne est là, partout, subtile mais évidente. Jaenada est en fait l'auteur le plus bukowskien qui soit... simplement il en reprend l'essence plutôt que les gimmicks. La veine burlesque plutôt que les cuites sordides ; le génie du décalage plutôt que les parties de jambes en l'air avec des laiderons ; l'empathie profonde plutôt que la violence ; l'art de la digression fantaisiste plutôt que le langage... bref : Jaenada possède de l'art bukowskien tout ce que les trois mille imitateurs (pour la France - les statistiques mondiales ne nous ont pas encore été communiquées par l'ONU) du vieux dégueulasse manquent à tous les coups, trop occupés qu'ils sont à essayer de pomper une langue inimitable ou de recréer un univers auxquels ils ne comprennent rien.
L'identification, la fameuse, est du coup bien plus simple, évidente, universelle : à vrai dire on adore Chinaski, mais personne n'a jamais vraiment eu l'envie ni la capacité d'être lui. Alors que Halvard Sanz... c'est nettement plus dans nos cordes, à KMS, à Zaph, à moi-même. Sa normalité singulière le rend irrésistible - d'ailleurs quelqu'un quelque part a t'il déjà détesté ce livre... ? Qu'il se dénonce, nous aurons lui et moi des comptes à régler. On ne peut pas ne pas aimer « Le Chameau Sauvage » - impossible. Il est trop original, trop doux, trop drôle, trop léger, trop poétique, trop romantique... on ne peut pas ne pas adhérer. Sauf à l'avoir décrété préalablement, parce que le consensus fait un peu peur. En cela « Le Chameau Sauvage » c'est un peu l'inverse des bouquins de Bukowski : c'est son universalité et l'unanimité qu'il provoque qui le rend sulfureux. Un livre susceptible de plaire autant à ma grand-mère qu'à mon frère, à KMS, à Laiezza, à Lily, à Ingannmic... un tel livre ne peut être que porteur d'un maléfice, l'œuvre d'un malin génie capable de métamorphoser chaque lecteur en ami potentiel. Un peu comme Bukowski, en fait. Le seul écrivain que ses lecteurs appellent affectueusement par son surnom, comme s'il faisait partie de la famille, vieux tonton pervers et alcoolo revenu de tout.
Il serait peut-être temps que Jaenada se trouve un surnom...
" Clap, clap, clap "
RépondreSupprimerBravo à tous les 2, très belle analyse, rien à ajouter !
Merci, c'est gentil! Même si j'aurais remplacé le mot "analyse" par "avis".
RépondreSupprimerTu es sur que tu n'est pas amoureux Gaël?
RépondreSupprimerarggg..pourquoi ses livre ne sont pas disponible ici?
Disons qu'il s'agit d'une analyse personnelle : quand on donne son avis, on analyse les raisons qui font qu'une oeuvre nous plaît ou pas. Pour moi, les 2 sont liés..
RépondreSupprimerRevejeanne : si cela t'intéresse, je peux t'en envoyer.
RépondreSupprimerC'est très gentil, mais c'est cher d'envoyer des livres à l'étranger. :)
RépondreSupprimerJe l'achèterai en France l'année prochaine si je ne le trouve pas ici avant.
De la poésie, des personnages auxquels on peut s'identifier, ET de l'humour en plus, ça commence à faire beaucoup pour un seul homme.
RépondreSupprimerEt pourtant c'est vrai !
Je crois que j'ai ri avec "Vie et mort de la jeune fille blonde" comme je n'avais pas ri depuis mes premiers Pratchett ou Douglas Adams!
Revejeanne : Ptêt un petit béguin...
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