Retour aux sources, par Thom
Passer du roman à la nouvelle est toujours un exercice délicat, quand bien même on s'appelle Dennis Lehane et a fortiori lorsqu'on est l'un des plus grands romanciers contemporains, qu'on excelle dans ce domaine et qu'on se paierait bien une petite récréation en attendant de s'attaquer à un nouveau pavé.
La fleur aux dents et avec toute l'énergie qui le caractérise, l'auteur de « Mystic River » s'y colle courageusement et le résultat, pour prévisible qu'il soit (plusieurs de ces short-shories ont été préalablement publiées ça et là - certaines sont même dégottables sur le Net... en V.O.), s'avère des plus honorables. Soit donc cinq nouvelles plutôt consistantes dans lesquelles Lehane, de toute évidence, se fait plaisir : la forme courte semble pour lui l'occasion de prolonger l'expérience du mésestimé « Sacred » et de revenir aux fondamentaux du roman noir ; du tragique toujours, mais de l'humour (noir) aussi. Situations étranges, héros ordinaires, écriture extrêmement nerveuse et dialogues décapants... à vrai dire les meilleurs textes de « Coronado » (« ICU » et « Gone down to corpus ») sont autant de petit concentrés de l'art lehanien, mais un art qu'on aurait quelque peu déshabillé de son univers : en livrant une poignée d'œuvres moins étouffantes et en quittant l'indispensable banlieue de Boston, Lehane paraît avoir (involontairement ?) renoncé à une part non négligeable de tout ce qui fait habituellement sa marque de fabrique - donnant l'impression de tout faire pour se rapprocher d'un auteur hardboiled traditionnel (ce qu'il n'a assurément jamais été). Une sensation étrange qui est pourtant patente dans « Running out dogs », texte inaugural aux accents sudistes si impeccables qu'on jurerait être en face d'un inédit de Jim Thompson ! Mais cette volonté affichée de revenir aux sources est-elle si étonnante lorsqu'on sait que « Shutter Island » (dernier roman de Lehane en date) s'est parfois fait allumer par certains puristes du noir ? A lire le cinglant « Mushrooms », l'auteur fait bizarrement penser à ces groupes qui, devenus des superstars en signant sur des majors, publient aussitôt après des compilations de leurs travaux d'avant la gloire (ou de vieilles reprises qu'ils adorent) histoire de conserver le label Croisé dans l'underground. C'est sans aucun doute le but caché de ce recueil au demeurant très réussi, au terme duquel Dennis Lehane aura (re)gagné en crédibilité ce qu'il aura (un peu) perdu en singularité.
Qu'importe, du reste, car chassez le mega-seller et il revient au galop : le texte éponyme, pièce de théâtre qui semble s'être trompé de bouquin, gâche le grand final en cela qu'il est un décalcomanie maladroit de la nouvelle juste avant (l'exceptionnelle « Until Gwen »). Inutile de dire qu'au vu de la qualité de cette dernière on oubliera volontiers ce remplissage inutile pour ne garder de « Coronado » que l'essentiel : quatre textes remarquables sur six... c'est déjà plus que dans nombre de recueils contemporains.
Lehane n’est pas un des plus grands romanciers contemporains ;), mais c’est vrai que Coronado est très réussi. Même la pièce de theâtre. Ça ma beaucoup plu de lire d’abord la nouvelle et puis la version théâtrale de cette histoire
RépondreSupprimerAh bon ? Il est pourtant mondialement reconnu comme tel ;-)
RépondreSupprimerBof. Ça ne veut pas dire que c'est vrai :)
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