Alors au premier abord, la présentation du livre ne m'a pas emballée :
"Aujourd'hui je suis plus vieille que toi alors que j'avais neuf ans de moins que vous..." Ainsi commence La Fausse Veuve. Tutoyant et vouvoyant dans la même phrase son amant disparu, l'héroïne lui raconte, et nous raconte, dix ans après, l'histoire qui leur a été volée. Ce que furent leur amour, leurs moments de bonheur, et aussi le désespoir, leurs muets tête-à-tête à l'hôpital quand, victime d'un grave accident cérébral, il s'écroule, et se réveille paralysé et privé de parole. Face au drame du "locked-in syndrome", face à la destinée légendaire d'un personnage que les médias se sont appropriés, une femme n'oublie pas qu'il était un homme. Comment se parler d'un souffle ? Comment s'aimer sans se toucher ? Comment lire les battements d'un cœur au rythme d'un battement de paupière? C'est ce chemin escarpé, compliqué, et parfois très éloigné du deuil, qu'on suit dans ce roman en s'arrêtant sur les cases de l'enfance, en reculant sur celles de l'amour et de la religion, et en sautant à pieds joints sur celle de la mort comme au jeu de la marelle"
Et puis je me suis laissée embarquer par l'histoire, par la force des mots. La narratrice raconte de façon extrêmement touchante sa "presque" histoire d'amour avec un homme réduit à l'état de légume. Presque histoire d'amour car elle est "l'autre", la maîtresse, celle que l'on rejette, que l'on oublie. Celle qui est de trop... Sauf qu'ils s'aimaient.
L'alternance dans l'écriture entre le "tu" et le "vous" pour désigner son amant marque l'envie de se détacher pour ne plus souffrir.. mais cette incapacité à le faire. L'écriture, à fleur de peau, trahit ce sentiment. Comment ne pas être émue?
De plus, tout rappelle "le scaphandre et le papillon" (jusque sur la couverture). La narratrice parle de trahison du film par rapport à sa vie :
"Alors ces inconnus que je n’aurais pas aimé croiser dans un dîner parlent de vous. Parlent de toi. Non pas du vrai toi mort depuis dix ans, mais d’un toi vulgarisé. C’est ton nom qui sonne comme une carcasse vide, devenu celui d’un personnage de film, un héros qu’ils ont l’impression de connaître. Ils en sont convaincus. Je ne le supporte pas. J’ai la chair de poule. Je ne bouge pas, j’écoute comme si mon esprit sortait de mon corps et allait s’asseoir à leur table pour entendre, décortiquer, vomir sur ce qu’ils disent." Ce livre parle d'un deuil. Le deuil d'une femme non considérée, d'une femme amoureuse tout simplement.. Je vous offre un de mes passages préférés :
"Tu es rangé quelque part. Je ne sais pas très bien où, mais en tous cas tu n’es plus posté sur mon épaule, à surveiller qui me touche, qui je touche. Planqué dans les circonvolutions de l’imparfait, bien au chaud, comme disent les enfants, tu ne fais plus de ravages dans mon présent, ni le jour ni la nuit, et d’ailleurs je ne te donne pas forcément de futur.
Mon avenir, mes demains appartiennent à quelqu’un d’autre. D’ailleurs vous auriez plutôt été un futur à conjuguer en hébreu, une temporalité qui n’existe pas dans cette langue où demain se conjugue à l’inaccompli.
Comme nous."
Je ne peux que vous le recommander !
Doublement fausse, par Ingannmic Court récit riche en émotion, « La fausse veuve » est le monologue intérieur d'une femme qui s'adresse à son amant, homme public au caractère bien trempé, qu'un AVC a laissé atteint du « locked-in syndrome », et qui va finalement en mourir.
Fausse, cette veuve l'est doublement : son statut de maîtresse, d'une part, fait qu'aux yeux du monde, elle n'a aucune légitimité et qu'on ne lui reconnaît pas le droit le droit d'exprimer ouvertement son chagrin. D'autre part, son amant, tel qu'elle l'a connu, avec l'importance que revêtaient le corps et les contacts physiques dans leur relation, n'est plus. Mais elle ne peut néanmoins en faire le deuil, puisqu'il est psychiquement bien vivant.
Elle exprime sa peine, son désarroi, son manque et sa frustration de façon saccadée, vouvoyant et tutoyant tour à tour son aimé, dans une chronologie anarchique où elle mêle les souvenirs de leurs ébats, de son enfance, et de ses visites à l'hôpital. Cette anarchie est d'ailleurs pour moi le seul bémol à cet ouvrage, par ailleurs très bien écrit : le manque de repère, tant sur la durée que sur l'époque des faits, m'a parfois gênée. En effet, tout se mélange dans une suite souvent sans logique et sans transition : le temps de la liaison, celui du coma, du séjour à l'hôpital, et ce chaos, bien qu'exprimant assez bien le fait que la narratrice soit perdue, aurait parfois mérité à mes yeux un peu plus de structure.
Ceci dit, j'ai beaucoup apprécié le style de l'auteur, très riche en images, et sa façon de jouer avec les expressions pour rendre son récit plus vivant, et son héroïne plus intime.
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