mercredi 8 avril 2009

"Ritournelle de la faim" - JMG Le Clézio

Crossover-book, par Thom

La vie est quand même mal fichue parfois. Mais alors... très mal fichue. Surtout quand il s'agit du Syndrome du crossover-album.

Hein ? Quoi ? Mais si voyons...: le crossover-album c'est ce disque qui, publié par un petit artiste habitué de l'underground, se met à cartonner parce qu'une radio s'est emparée d'un de ses singles ou qu'un directeur marketing a choisi l'une de ses chansons pour illustrer une pub. Or la particularité du crossover-album... c'est qu'il est bien souvent sinon mauvais, du moins pas du tout représentatif de l'oeuvre dudit artiste. L'ami Guic' The Old, grand spécialiste du sujet, pourrait vous en donner mille exemples (le plus connu de toute l'histoire de la musique populaire étant bien sûr Let's Dance, de David Bowie).

Ce syndrome a beau avoir été théorisé en matière de musique, aucun genre artistique n'y échappe vraiment. Un exemple très connu, c'est celui de Stanley Kubrick avec Spartacus, simple film de commande... qui lui valut trente millions d'entrées, soit trente fois plus que tous ses films précédents... réunis. On pourrait en trouver d'autres. JMG Le Clézio, par exemple. Dernier Prix Nobel de littérature en date que, comme tout Prix Nobel qui se respecte, peu de gens ont lu ces quinze dernières années (même si bien entendu tout le monde prétendra le contraire... en attendant chaque fois que je demande à quelqu'un un titre de bouquin de Le Clézio sans qu'il ait google à proximité c'est la débandade). Et que, comme tout Prix Nobel qui se respecte (surtout s'il est cocoriiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiico !!!), tout le monde va se mettre à lire dans les mois à venir (ç'a déjà commencé), ce qui ma foi est une excellente nouvelle - Le Clézio est un écrivain merveilleux.

Le dommage collatéral de cela c'est que son récent "Ritournelle de la faim", sorti la semaine du prix, est devenu bien plus qu'un best-seller : un crossover-book. Ce qui est plus qu'ennuyeux dans la mesure ou ce roman qui l'est par ailleurs beaucoup (ennuyeux) ressemble plus souvent à du mauvais Modiano qu'à du Le Clézio, même moyen. Serait-ce son nom sur la couverture, on peinerait même probablement à reconnaître l'auteur d'"Onitsha" dans cette espèce de quête identitaire souvent misérabiliste et en tout cas dépourvue de la moindre once de créativité. Un comble de la part d'un des auteurs les plus brillants de sa génération, authentique bâtisseur d'univers doublé d'un styliste hors-pair.

Le style justement, c'est sans doute ce qui fait le plus mal dans "Ritournelle de la faim". Ce n'est pas compliqué : on n'y retrouve absolument rien de la poésie, de la sensualité et de la classe folle caractéristiques d'un roman de Le Clézio. Sans doute par désir d'adapter l'écriture à l'histoire... peu importe à vrai dire : chaque page est un peu plus terne que la précédente, l'écriture est aride (pour personnifier la faim du titre ?), le foisonnement inhérent à tout livre de l'auteur absolument absent. Dommage, d'autant que le partie pris d'épuration stylistique est plus que discutable (en quoi n'aurait-il pas pu raconter exactement la même histoire avec ses mots - magiques - habituels ?) et débouche sur une austérité rendant le livre de plus en plus hermétique au fil des pages. Dès lors peu importe la construction tourbillonnante de l'histoire : on arrive jamais vraiment à la pénétrer, et c'est non sans tristesse que l'on regarde le grand, l'immense Le Clézio tomber successivement dans tous les pièges de l'autobiographie.

Car il ne faut pas s'y tromper : c'est bel et bien d'autobiographie (romancée) qu'il s'agit ; l'écrivain a beau jeu de prétendre raconter pudiquement l'histoire de sa mère, ce n'est jamais que de lui qu'il parle, de ses origines misérables et de ses blessures (plus vraiment) secrètes. Or allez comprendre pourquoi ce qui marche ailleurs ne marche pas ici... allez savoir pourquoi ce qu'on vénère chez Modiano laisse parfaitement de marbre chez Le Clézio... impossible à dire - aucune importance en fait : la magie n'opère pas, ces personnages qu'on imagine si familiers pour l'auteur ne prennent jamais chair aux yeux du lecteur, les situations stéréotypées s'amoncellent (car la base même de l'autobiographie ratée c'est de croire que ce qui est extraordinaire et fascinant pour nous le sera également pour les autres)... bien sûr on trouvera ici ou là quelques belles pages, bien sûr l'entreprise a quelque chose de touchant, et puis ce n'est pas si courant un écrivain qui prend autant de risques et change ses techniques comme ses thématiques de manière aussi radicale...

... il n'empêche que tout ça n'est pas suffisant pour faire un bon livre - aussi "Ritournelle de la faim" n'en est-il pas un. Que dire de plus ? Certains auteurs sont merveilleux lorsqu'il s'agit d'exposer leurs tourments intimes, d'autres sont de véritables virtuoses dès lors qu'ils décident de regarder au dehors et de parler des autres. Le Clézio, qui s'inscrit de toute évidence dans cette seconde catégorie, vient de signer un livre particulièrement égoïste. Souhaitons-lui un prompt rétablissement après cette douloureuse thérapie, et relisons ses chefs-d'oeuvre passés.




Boléro magique par Sandrounette

En allant farfouiller dans les rangées de ma bibliothèque, je suis tombée sur le dernier roman du prix Nobel de littérature: "Ritournelle de la faim". La quatrième de couverture m'a interpellée et l'avant-propos également. Il ne m'en fallait pas plus pour repartir avec mon exemplaire sous le bras.

En 1931, la bourgeoisie parisienne vivote entre luxe, oisiveté et investissement immobilier plus ou moins fructueux. Ethel est la fille unique d'un de ces couples. Petite fille modèle, très choyée par ses parents et son grand-oncle Samuel originaire de l'Ile Maurice, elle a foi en un avenir doré. A l'école, elle découvre l'amitié à travers le regard de Xénia, jeune fille exilée de Russie et vivant modestement dans la capitale française. Ethel va apprendre l'humilité mais également les moqueries et les trahisons de cette amie sans s'en inquiéter outre mesure. Tout aurait pu continuer ainsi si l'ombre du troisième Reich ne planait sur cette jeunesse pleine d'espoir...

Encore une histoire ayant pour fond la seconde guerre mondiale... C'est ce que je me suis dit quand le cercle des parents d'Ethel commence à parler d'un chancelier allemand nommé Hitler. Et puis tout dérive. Car ce qui intéresse Le Clézio n'est pas l'Histoire mais l'histoire d'Ethel et de sa famille se mélant à la grande Histoire. On suit ainsi les mésaventures de cette adolescente parvenue à l'âge adulte trop tôt à cause d'un père l'ayant dépossédée de tout un héritage qui lui revenait de droit et devant assumer les erreurs de ce dernier. La bourgeoisie nantie se retrouve à la rue et soumise au règne du plus fort, c'est-à-dire l'envahisseur allemand. Le lecteur traverse cette période difficile aux côtés d'Ethel qui n'abandonnera jamais ses parents à la misère malgré tout.

J'ai beaucoup apprécié ce roman qui était pour moi une découverte de cet auteur. Son écriture se situe au plus profond des gens, sans jugement de valeur. En conteur, il expose l'histoire d'Ethel, ponctuée par deux superbes manifestes sur la faim en début de roman (la faim qu'il éprouvait en étant enfant) et en clôture (de colère, d'absolu, de vivre) transformé en litanie par le Boléro...

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