Ne jamais dire fontaine, par Zaph
(Titre original : "The affirmation". Faut avouer que c'est un peu moins nul que le titre français ! )
L'air de rien, c'est pas si facile de trouver la première phrase d'un roman. C'est à ce moment-là que l'angoisse de la page blanche est à son paroxysme : quand l'auteur se trouve face à un petit tas de quelques trois cents feuilles de papier, toutes aussi immaculées les unes que les autres. Alors, j'imagine qu'il vaut mieux prendre un bon départ, et que la première phrase a son importance. J'irais même jusqu'à croire qu'une bonne première phrase peut vous mener loin, et peut-être même porter tout le roman. "Longtemps je me suis couché de bonne heure" ; ça sent déjà le vaste projet d'un auteur qui a le temps et les moyens de ses ambitions, qui va remonter très loin s'il le faut, et dans les moindres détails, pour expliquer le plus infime sentiment de son héros.
Avec Christopher Priest, aussi tueur de pages blanches à ses heures, c'est une autre histoire, mais lui aussi annonce la couleur d'entrée : on va parler de cette chose étrange, incertaine, mouvante, et fragile, qui a pour nom "réalité".
"De ceci au moins je suis sûr : Je m'appelle Peter Sinclair, je suis anglais et j'ai, ou avais, vingt-neuf ans."
Pour le gros poisson naïf que je suis, une première phrase comme celle-là suffit à me ferrer et à me captiver pour de nombreuses pages.
J'ai un autre aveu à vous faire : je souffre de certains a-priori en littérature.
Le moindre de ceux-ci n'est pas celui qui concerne les auteurs qui écrivent un roman sur l'écriture.
Comme si ça pouvait intéresser le commun des mortels (moi) ! Je veux dire, si, c'est intéressant, pour un esprit ouvert, mais pas plus que la mécanique automobile ou la pêche à la sardine.
Bon, j'ai bien passé quelques soirées jadis devant l'émission "Thalassa" sur FR3 à m'entendre expliquer pourquoi la pêche intensive de la sardine avait un impact sur le déplacement des cachalots, mais bon, j'ai été incapable de m'émouvoir pendant trois heures sur le sort de ces pauvres bêtes.
J'ai même failli me fâcher irrémédiablement avec Paul Auster à cause de ça (l'écriture, pas les sardines).
Si je vous dis tout ça, c'est parce que Christopher Priest (que j'adore) a justement commis un livre sur ce sujet (que j'abhorre).
Et pourtant, il se pourrait bien que ce soit un des touts meilleurs livres sur le sujet. Tout simplement parce qu'il part de ce thème, et l'étire jusqu'à son point de rupture, parce qu'il ne s'agit pas ici de l'auto-exploration nombriliste d'un écrivain angoissé par la fragilité de son inspiration, mais bien d'une plongée vertigineuse dans les abîmes de l'imaginaire.
En quelques lignes, Priest pose le problème.
"Mon imagination m'avait installé dans l'existence. J'écrivais sous l'empire d'une nécessité intérieure, et cette nécessité me commandait de créer une vision plus claire de moi-même. Ecrire, c'était devenir ce que j'écrivais."
Lors de ma première lecture, j'avais trouvé l'histoire un brin lente. En relecture, le sujet m'a passionné.
Bien sûr, c'est un grand livre sur le processus fictionnel et son rapport au réel, mais aussi et surtout, ce livre jette les bases de tout l'univers de Priest, et c'est une lecture indispensable pour tous ceux qui l'apprécient.
Au début du roman, nous apprenons que le personnage principal traverse une passe difficile. Il décide alors de coucher sa vie par écrit dans le but de tirer certaines choses au clair. Mais sitôt confiés au papier les évènements prennent leur propre substance et s'écartent de la réalité, ou plutôt, acquièrent leur propre réalité indépendante.
Du coup, il est amené à changer certaines données dans le récit de sa vie pour les rendre plus vraies, plus significatives.
Plus le récit s'éloigne de la réalité banale, plus il s'y perd, jusqu'à peut-être basculer complètement.
Ces va-et-vient et cette tension entre deux univers qui se répondent nous donnent droit à une remarquable construction en miroir
Le livre est un peu verbeux par endroits, c'est la seule chose que je lui reprocherais, mais en contrepartie, il explore la question complexe et passionnante de ce qui se passe pour un écrivain quand la fiction devient plus prenante, plus réelle que la réalité.
"Mais le monde extérieur, perçu de façon anecdotique, avait une solidité et une complexité spécieuses. Il était voué au hasard, il échappait à tout contrôle, il manquait de rigueur narrative."
(Titre original : "The affirmation". Faut avouer que c'est un peu moins nul que le titre français ! )
L'air de rien, c'est pas si facile de trouver la première phrase d'un roman. C'est à ce moment-là que l'angoisse de la page blanche est à son paroxysme : quand l'auteur se trouve face à un petit tas de quelques trois cents feuilles de papier, toutes aussi immaculées les unes que les autres. Alors, j'imagine qu'il vaut mieux prendre un bon départ, et que la première phrase a son importance. J'irais même jusqu'à croire qu'une bonne première phrase peut vous mener loin, et peut-être même porter tout le roman. "Longtemps je me suis couché de bonne heure" ; ça sent déjà le vaste projet d'un auteur qui a le temps et les moyens de ses ambitions, qui va remonter très loin s'il le faut, et dans les moindres détails, pour expliquer le plus infime sentiment de son héros.
Avec Christopher Priest, aussi tueur de pages blanches à ses heures, c'est une autre histoire, mais lui aussi annonce la couleur d'entrée : on va parler de cette chose étrange, incertaine, mouvante, et fragile, qui a pour nom "réalité".
"De ceci au moins je suis sûr : Je m'appelle Peter Sinclair, je suis anglais et j'ai, ou avais, vingt-neuf ans."
Pour le gros poisson naïf que je suis, une première phrase comme celle-là suffit à me ferrer et à me captiver pour de nombreuses pages.
J'ai un autre aveu à vous faire : je souffre de certains a-priori en littérature.
Le moindre de ceux-ci n'est pas celui qui concerne les auteurs qui écrivent un roman sur l'écriture.
Comme si ça pouvait intéresser le commun des mortels (moi) ! Je veux dire, si, c'est intéressant, pour un esprit ouvert, mais pas plus que la mécanique automobile ou la pêche à la sardine.
Bon, j'ai bien passé quelques soirées jadis devant l'émission "Thalassa" sur FR3 à m'entendre expliquer pourquoi la pêche intensive de la sardine avait un impact sur le déplacement des cachalots, mais bon, j'ai été incapable de m'émouvoir pendant trois heures sur le sort de ces pauvres bêtes.
J'ai même failli me fâcher irrémédiablement avec Paul Auster à cause de ça (l'écriture, pas les sardines).
Si je vous dis tout ça, c'est parce que Christopher Priest (que j'adore) a justement commis un livre sur ce sujet (que j'abhorre).
Et pourtant, il se pourrait bien que ce soit un des touts meilleurs livres sur le sujet. Tout simplement parce qu'il part de ce thème, et l'étire jusqu'à son point de rupture, parce qu'il ne s'agit pas ici de l'auto-exploration nombriliste d'un écrivain angoissé par la fragilité de son inspiration, mais bien d'une plongée vertigineuse dans les abîmes de l'imaginaire.
En quelques lignes, Priest pose le problème.
"Mon imagination m'avait installé dans l'existence. J'écrivais sous l'empire d'une nécessité intérieure, et cette nécessité me commandait de créer une vision plus claire de moi-même. Ecrire, c'était devenir ce que j'écrivais."
Lors de ma première lecture, j'avais trouvé l'histoire un brin lente. En relecture, le sujet m'a passionné.
Bien sûr, c'est un grand livre sur le processus fictionnel et son rapport au réel, mais aussi et surtout, ce livre jette les bases de tout l'univers de Priest, et c'est une lecture indispensable pour tous ceux qui l'apprécient.
Au début du roman, nous apprenons que le personnage principal traverse une passe difficile. Il décide alors de coucher sa vie par écrit dans le but de tirer certaines choses au clair. Mais sitôt confiés au papier les évènements prennent leur propre substance et s'écartent de la réalité, ou plutôt, acquièrent leur propre réalité indépendante.
Du coup, il est amené à changer certaines données dans le récit de sa vie pour les rendre plus vraies, plus significatives.
Plus le récit s'éloigne de la réalité banale, plus il s'y perd, jusqu'à peut-être basculer complètement.
Ces va-et-vient et cette tension entre deux univers qui se répondent nous donnent droit à une remarquable construction en miroir
Le livre est un peu verbeux par endroits, c'est la seule chose que je lui reprocherais, mais en contrepartie, il explore la question complexe et passionnante de ce qui se passe pour un écrivain quand la fiction devient plus prenante, plus réelle que la réalité.
"Mais le monde extérieur, perçu de façon anecdotique, avait une solidité et une complexité spécieuses. Il était voué au hasard, il échappait à tout contrôle, il manquait de rigueur narrative."
Je n'ai pas lu celui-ci mais vraiment, j'adore Christopher Priest !
RépondreSupprimerAlors, si tu adores Priest, je te conseille effectivement celui-ci, car je trouve que c'est une charnière dans l'ensemble de son oeuvre.
RépondreSupprimerIl faut aussi mentionner la traduction qui est excellente : le texte "coule", il se love avec délectation dans la bouche quand on le prononce (dans son esprit)... C'est rare, à ce point.
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