vendredi 28 novembre 2008

"Sur la plage de Chesil" - Ian McEwan

Son bonheur était presque parfait, par Thom

Voilà bien longtemps qu'Ian McEwan, qui n'est pas spécialement connu pour être ni un grand comique ni un gentil romantique, n'avait pas commis un livre aussi tendre, délicat... pour ne pas dire tout simplement humain. Généralement adepte de la noirceur la plus totale, virtuose de l'oppression (Cf. son précédent roman, « Saturday ») excellant à broyer ses personnages sous les intrigues les plus vicieuses... McEwan, vraiment, ne semblait pas sur le papier apte à faire pleurer dans les chaumières - si ce n'est évidemment d'angoisse. C'est donc avec un certain scepticisme qu'on s'aventure sur cette plage de Chesil ; le texte après tout est court, « For You » vient de paraître en Angleterre... celui-là a donc de grandes chances de n'être qu'un petit récit intermédiaire.

Surprise : non seulement « On Chesil Beach » est loin d'être un McEwan mineur, mais il marquera sans doute durablement l'œuvre de l'auteur - sa délicatesse et sa douceur tranchant avec la noirissime trilogie (1) qu'il vient de conclure. Ou comment un couple de jeune mariés se retrouve enfin seul, en tête à tête, le temps d'une nuit de noce tant attendue... qui va se révéler cauchemardesque.

Deux personnages, peu de mots, une poignée de flashbacks et une œuvre où les non-dits ont presqu'autant de place que la narration elle-même... dans « On Chesil beach », McEwan atteint un degré d'épure difficile à concevoir tant qu'on ne l'a pas lu. Car à une écriture inhabituellement sensuelle (du moins pour lui) il ajoute ici un don incroyable pour la suggestion, le sous-entendu... à mile lieues du foisonnement de « Saturday » - dont ce nouveau roman pourrait presqu'être considéré comme le double inversé. Ecrire le trouble du désir, restituer l'émotion d'une première fois... ce sont en soi des choses délicates - même pour un grand écrivain. Alors les laisser deviner sans jamais les évoquer de manière frontale... on n'est plus dans le roman - mais dans la performance littéraire.

Idem pour le sous-texte entourant la Révolution Sexuelle, ou pour être exact son absence (l'histoire se déroule en 1962). Tous les commentateurs du livre ont noté cette allusion... qui n'est pas énoncée une seule fois dans ce roman où McEwan, a contrario du didactisme parfois un brin pesant de ses compatriotes contemporains, parvient à mettre en relief toute une époque sans quasiment jamais la montrer. Juste dans les mœurs, dans les caractères, dans quelques mots abandonnés ici ou là comme par erreur... impressionnant et même, souvent, étourdissant. Car bien entendu au-delà de l'histoire et de ce couple bouleversant, « On Chesil Beach » est bel et bien la réponse cinglante qu'un McEwan au sommet de son art adresse aux incultes rêvant de liquider l'héritage de soixante-huit (2).



(1). Trilogie imaginaire, bien entendu, constituée d' « Amsterdam », d' « Astonement » et de « Saturday » ; trois œuvres noires aux titres cinglant présentant sous des jour différents - quoique très similaires dans l'écriture - le même type de désintégration de leurs caractères.

(2). Le phénomène néo-réac de rejet sans nuance de la libération sexuelle n'étant évidemment pas une spécifité française... bien au contraire il est né en Angleterre.

4 commentaires:

  1. J'harcèle littéralement mes bibliothécaires pour qu'ils me le mettent de côté (ou qu'ils en achète un second..rien que pour moi héhé), j'ai hâte de le lire et ta critique ne m'aide pas à me modérer!!! :D

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  2. Je viens de finir sur la plage de Chesil et j'ai trouvé que c'était une vraie réussite. A la fois doux et cinglant. C'était mon premier livre de cet auteur et sûrement pas le dernier !!!

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  3. Je viens de découvrir cet auteur (j'avais séché l'aristo, oups) avec ce roman magnifique. D'une tendresse saisissante, tout en suggestions, il me laissera longtemps un bon souvenir, sans aucun doute.

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  4. Ca t'apprendra à sécher les Aristos ! ;-)

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