Morrison V.S. McEwan, par Zaph
Bizarre, bizarre. Je n'ai pas pu m'empêcher de comparer ce livre avec un autre que j'ai lu juste avant : "Samedi", de Ian McEwan. C'est qu'il y a une certaine similitude dans le thème de base : un intrus indésirable s'introduit dans un univers familial clos très aisé, ce qui a pour effet de déclencher une certaine violence qui va ébranler cet univers figé (qui rejoindra -ou non, son point d'équilibre).
Bien sûr, le cadre des deux histoires est différent : chez McEwan, le personnage principal est un médecin spécialiste londonien. Chez Morrison, il s'agit d'un homme d'affaires américain passant une retraite dorée sous les tropiques. Sauf que si McEwan centre clairement son récit sur le point de vue du médecin (les autres n'étant que des personnages annexes), il n'y a pas vraiment de personnage principal dans "Tar baby". Il y a au contraire six personnages qui reçoivent à peu près la même attention.
C'est ce qui fait, je crois, que Morrison a réussi un livre beaucoup plus riche que celui de McEwan. Les interactions et relations entre personnages parfaitement individualisés sont beaucoup plus subtiles et intéressantes.
Bien sûr, le médecin de "Samedi" est bien dessiné et nuancé. Il n'est pas d'une seule teinte, il s'interroge, se remet en question, et nous suivons sa pensée dans les moindres détails ; mais en n'étant confronté qu'à des ombres, cette accumulation de détails ne réussit pas vraiment à donner de l'épaisseur au personnage.
En réalité, je crois surtout que ce qui intéresse McEwan, c'est de confronter son personnage à la société dans laquelle il s'inscrit.
Le livre de Morrison n'est certes pas dénué de préoccupations sociales, mais ce qui en fait la force, c'est la richesse de la psychologie des personnages.
Les deux auteurs écrivent parfaitement bien. Ecriture précise, limpide, quasi chirurgicale pour McEwan (je me suis même demandé si c'était voulu pour coller à la profession de son héros) ; écriture plus chaude et expansive mais quand-même rigoureuse pour Morrison. Je dois dire que les deux me plaisent autant.
Avant, j'aurais sans doute préféré le livre de McEwan. Aujourd'hui, je m'intéresse plus aux individus qu'aux sociétés, et c'est donc "Tar baby" qui remporte mon suffrage sans hésitation.
Coup de cœur, par MbuTséTséFly
Le roman se déroule sur l'île des Chevaliers, dans les Antilles françaises. Le milliardaire Valérian, à la retraite, s'y est définitivement installé et passe des jours paisibles d'homme à qui on a jamais rien refusé, entouré de sa femme, une ancienne miss névrosée qu'il a cueillie sur un char de cortège, de ses serviteurs noirs qui sont à son service depuis presque toujours (ils font pratiquement partie de la famille), de la nièce de ceux-ci, belle métisse, mannequin, enfant gâtée et adorée, qui refoule ses origines. La vie continuerait son train train aux apparences de bonheur si, un soir, un matelot noir échappé d'un navire qui croisait au large ne venait se cacher dans la propriété. Aussitôt adopté par Valérian, il s'installe et chamboule le fragile équilibre de la maisonnée.
En lisant ce roman, on respire la moiteur des Antilles françaises, on sent l'odeur des marécages, on étouffe avec les personnages et on voit flotter autour de nous les voiles de brumes, jeunes filles égarées et curieuses qui se glissent sous la porte et flottent dans la salle à manger. L'écriture et superbe et poétique, la psychologie des personnages très fine. Je lui reproche néanmoins 2 chapitres de longueur, mais très digestes. Dans toute cette moiteur, comment ne pas avoir des scènes d'amour torrides. Et comment ne pas tomber amoureuse de cette poésie ? De ces voiles de brumes et de ces papillons, témoins curieux d'un drame qui les attire ? Un de mes romans favoris de ces dernières années.
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C'est fou Zaph tu me donnes plus envie de lire "Samedi" (abandonné en route) que Tar Baby ;-). Par contre Mbu me donne envie de goûter à la moiteur des antilles ;-)
RépondreSupprimerAh bon ?
RépondreSupprimerEh bien, la solution est simple : lire les deux ! :-)
Je vois là deux perspectives de lecture très différentes en fait. Bien que je n'ai pas été insensible à la psychologie des personnages et leurs interactions, centraux dans le roman, et Toni Morrison s'y connaît pour les mettre en perspective, c'est souvent le côté esthétique qui me marque le plus, ce petit brin de magie dans le réalisme, qui me fait rêver.
RépondreSupprimerCeci dit, les débats et les personnages de ce roman raisonnent encore beaucoup en moi quand dans la vie quotidienne, je rencontre les différents faux-semblants et thèmes abordés. J'ai en revanche beaucoup de difficultés à résumer ou commenter cela :-)
Je conseille en passant le "chant de Salomon", dans la même lignée que ce roman mais plus connu et avec un aspect de réalisme fantastique presque plus fort à mon avis