dimanche 24 août 2008

John Le Carré

Un pur écrivain, par Laiezza

Né en 1931, John Le Carré est considéré comme le "descendant direct" de Graham Greene : un auteur qui a su écrire des romans d'espionnages tellement brillants, qu'ils ont très largement dépassé le cadre de la littérature de genre.
Son parcours de jeunesse est celui de l'étudiant anglais modèle : études dans les collèges chics, postes administratifs, etc. Mais à 22 ans, sa vie va basculer : il est nommé au Foreign Office. D'abord en temps que fonctionnaire, il va être "détecté" comme (je cite) : "ayant le potentiel parfait pour devenir espion".
Il passera les 7 années suivantes dans la peau d'un agent double, en pleine guerre froide, et agira dans de nombreuses crises internationale. A 29 ans, il démissionne : John Le Carré ne se sent pas l'étoffe d'un espion professionnel, et surtout, il ne supporte plus cette vie l'obligeant à mentir à tout le monde, en permanence, à mener non pas une double, mais une triple vie, et à trahir sans cesse des gens qui ont confiance en lui.
Passionné de littérature, il décide alors de se servir de son expérience pour briser la mythologie qui est en train de se battir autour des espions. Son premier roman, "L'Appel du mort", sort en 1961, en même temps que le premier film sur James Bond. Il passera totalement inaperçu. L'année suivante, il publie un polar lugubre, "Chandelles noires", dans lequel le héros, un détective privé nommé George Smiley, est un espion repenti. Le succès critique de ce livre l'encourage à faire revenir George Smiley dans les romans suivants, mais le Smiley non plus détective : le Smiley espion.
Il projette donc son héros plusieurs années en arrière, pour publier son troisième roman, "L'Espion qui venait du froid". Le succès va être incroyable, George Smiley va devenir une véritable icône, et John Le Carré va immédiatement passer du rang devenir une star internationale. Il consacrera presque trente ans de sa vie à ce personnage, héros d'une série devenue incontournable, et poursuivie avec "Le miroir aux espions" (1965), "La Taupe" (1974), "Comme un collégien" (1977), et enfin "Les gens de smileys" (1980), cinquième et dernier volume, où George Smiley met enfin la main sur son éternel homologue russe : Karla.
Au-delà de ce véritable phénomène, John Le Carré a développé une écriture incisive, efficace, extrêmement poétique. Il a aussi été plus d'une fois visionnaire : s'il a refermé les aventures de Smiley en 1980, c'est moins par lassitude que parce qu'il a deviné, longtemps avant les autres, la fin de la guerre froide. Par ailleurs, il a également eu l'intelligence de ne pas publier ces aventures à la chaîne, laissant s'écouler beaucoup d'années entre chaque volet, et écrivant plusieurs livres remarquables entre temps, notamment : "Un amant naïf et sentimental" (1971).
En 1986, il publie "Un pur espion", considéré comme son chef d'oeuvre. Un livre des plus autobiographiques, où il développe les rapports douloureux et complexes qu'il a pu entretenir avec son ancien métier. Ce livre, assez peu axé sur l'aspect "espionnage", lui vaudra son statut de grand écrivain, et lui permettra d'écrire par la suite en toute liberté. C'est pour lui une œuvre libératrice, qui lui permettra de ne revenir au roman d'espionnage qu'occasionnellement, avec "La Maison Russie" (1989) de manière très réaliste, ou avec "Le Tailleur de Panama" (1996) de manière parodique.
John Le Carré est également l'auteur d'un essai polémique, "Une paix insoutenable" (1992) qui annonce, déjà à l'époque, que les prochains grands conflits mondiaux viendront du mépris avec lequel les occidentaux traitent les pays du tiers-monde. Il vient de publier un nouveau roman , "The Mission Song".
Régulièrement adapté au cinéma, John Le Carré avoue cependant que la seule adaptation qu'il ait jamais totalement appréciée est "Karla", une série télé des années 70, dans lequel le rôle de George Smiley était tenu par l'immense Alec Guiness.

2 commentaires:

  1. je ne suis pas sûr que le chef-d'oeuvre soit "un pur espion"; du point de vue, comme le dit l'article, du rapport au métier, peut-être. Mais ce n'est pas une "substance" dont l'exploitation, si réussie soit-elle, conduit au chef-d'oeuvre. Je serais plutôt partisan d'une approche philosophique de ces oeuvres. Bien sûr, quand on sait la réactivité de l'auteur aux enjeux géopolitiques, cela semble bizarre. Et pousser cette idée ne mènerait peut-être pas très loin; pourtant, je crois que la force d'un personnage comme Smiley est d'être une dorte de levier fictionnel dont la puissance d'arrachement est proprement métaphysique. Smiley est quelque chose comme un "homme divin" de l'Antiquité tardive, relooké à contre emploi. ainsi son rapport à l'humanité, à la vérité: par la seule force de son esprit, on peut dire les choses comme cela, donc, par cette "intelligence" qui lui appartient, s'opère un surhaussement; et il est important de rattacher (je sais nque cela paraît bizarrz) ce mot d'intelligence non pas à l'acception psychologique moderne d'une "faculté", mais à une parcelle d'un quelque chose, ou plutôt d'un certain ordre des choses, éprouvé comme un levain à la fois essentiel et indifférent au monde ordinaire, et que l'on pourrait caractériser (je sais que cela paraît idiotement "théosophique") comme une sorte grand intellect cosmique qui travaillerait toute matière, et particulièrement l'humaine. Smiley par ce moyen essentiel de la "méthode" (à ne pas prendre non plus au sens moderne), que la fiction actualise métaphoriquement par la "discipline", les procèdures, le contrôle (cf. les "règles de Moscou") projette sur le monde un regard bizarrement spirituel. Il est l'intercesseur, et la quête n'est pas tant la vérité sur soi, ce que l'on est, (Smiley se fout de savoir qui il est) etc.. (que l'on relise le dernier chapitre des "gens de Smiley" en ce sens) que l'accès à un point de vue où la vérité s'accomplit elle-même, par la mort, le meurtre, mais aussi par les illusions, le courage, bref, par tous les ingrédients du monde trop ordinaire, tels qu'ils sont transposés dans la fiction. C'est pour cela que le monde de Le Carré est si fascinant: les conventions du genre espionnage lui permettent de donner corps à des personnages qui n'en ont pas véritablement, puisque seul compte le " devenir du monde", (au niveau fictionnel, seuls comptent les opérations, les enjeux, le " Cirque", etc...). Et ce monde fictionnel des espions, métaphore bien sûr de l'ordinaire, est "travaillé" par cette logique de monde, qui n'a rien de psychologique. Il faudrait lire comment Smiley mène ses interrogatoires, en allant plus loin que les règles, (parce qu'il les respecte pour ce qu'elles sont), comme un moyen trop humain d'accèder à la vérité supérieure, englobante, et pour Smiley le seul lieu de son véritable repos: dans la salle des archives du Cirque, où se dévoile sous un vieil abat-jour vert ce ferment spirituel qui s'est accompli dans la pâte humaine.

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  2. Wahou ! En même temps, pourquoi devient-on espion, et pourquoi s'en va-t'on risquer sa peau dans des opérations illégales mais soi-disant "pour le bien de l'humanité"?
    Peut-être parce qu'on pense détenir une philosophie et une lecture du monde qu'on imagine approcher de la vérité ou du "bien", par opposition à celle du camp adverse... :)

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