mardi 1 juillet 2008

"Les sirènes de Titan" - Kurt Vonnegut

Et moi, je serais le roi de Titan, par Zaph

Quand j'étais jeune, il y avait un joueur de tennis professionnel extrêmement doué. Pour lui, effectuer une demi-volée de revers croisée était un geste aussi naturel que se curer le nez au volant en attendant que le feu passe au vert.
C'était un vrai bonheur de le contempler (faire une demi-volée, pas se curer le nez (Jaenada, sors de ce clavier!)).
Malheureusement, ce joueur (je tairai son nom par respect pour ses descendants et ayant-droit, qui, j'en suis sûr, sont nombreux à lire ce blog) n'a jamais gagné de titre prestigieux.
Je pense que son problème était que le tennis le faisait profondément chier. Il préférait (et on le comprend) au choix ou successivement sortir avec des filles superbes, jouer de la guitare dans un petit groupe rock foireux qu'il avait lancé avec quelques copains, traîner dans des bars jusqu'à pas d'heure en s'envoyant toute la carte des boissons alcoolisées, se taper une petite ligne de coke, ou lire un bon bouquin au bord de la piscine en sirotant un Cuba Libre. Bref, pas vraiment le régime type du sportif professionnel, fait de renoncement, d'efforts intensifs, de rage de vaincre, de jus de carottes, et, il faut bien le dire, d'un soupçon de masochisme.
Et pourtant, il était capable de réaliser les plus jolis coups et de battre n'importe quel joueur les jours (malheureusement rares) où la motivation était au rendez-vous et la coke difficile à trouver.

J'ai un peu la même sensation avec mon ami (et père spirituel) Kurt Vonnegut (et si lui, je me permets de citer son nom, c'est uniquement parce que nous sommes sur un blog littéraire, et qu'une critique qui n'afficherait pas le nom de l'auteur n'y serait peut-être pas à sa place (qu'est-ce que vous dites de cette introduction?)).

Donc, Kurt est bourré de talent.
Ça, j'ai quand même passé deux ans à le crier à tout propos (même dans la discussion sur Faulkner) sur un Forum littéraire maintenant fermé au public; et cet endroit-ci me semblait manquer désespérément de louanges Vonnegutiennes. J'ai donc attrapé le Vonnegut qui me restait dans ma PAL, avec la quasi certitude d'en faire une critique pour le moins élogieuse.

Malheureusement, voilà, Kurt a pété les plombs. A un point difficile à imaginer. Mais on peut quand même essayer, si vous voulez.
Alors, essayez d'imaginer l'histoire la plus dingue dont vous êtes capables. Et je suis sûr que vous êtes capables d'atteindre un niveau de folie considérable. Maintenant, prenez ce niveau, multipliez-le par 7, puis par 12.3, puis encore par 11, élevez le tout au cube, et remplacez le résultat obtenu par 128. Eh bien, quand Kurt se lâche, il est capable de faire 128 fois plus dingue que vous. Il est capable d'écrire "les sirènes de Titan".

Ca donne un livre tordu, invraisemblable, complètement absurde, avec pourtant une ligne directrice, mais tracée à l'encre invisible, et tellement tortueuse qu'on se refuse à la suivre.

En fait, le point de départ, c'est que le héros est tombé dans un infundibulum chrono-synclastique, à la suite de quoi, il se retrouve fort logiquement chrono-synclastiquement infundibulé. Si vous avez compris ceci, vous avez deviné le reste, et si vous n'avez pas compris, je perdrais mon temps à essayer de vous conter les autre péripéties de ces aventures.

Ce qui est un peu lourd dans ce livre, c'est que contrairement à ses habitudes, Kurt se fait moralisateur. Oh bien sûr, il fait avant tout la morale aux moralisateurs, et c'est une morale par l'absurde, mais quand même!

Il voulait, grâce au suicide inoubliable de Mars, modifier le monde, le faire meilleur.
Comme il le dit dans son 'Histoire de poche de Mars', "Celui qui veut changer le monde de façon significative doit avoir le sens de l'organisation, un empressement génial à verser le sang d'autrui et une nouvelle religion à introduire au cours de la brève période de repentir et d'horreur qui suit inévitablement toute effusion de sang".

Et pourtant! Il y a des pointes d'intelligence qui surgissent à l'improviste et vous transpercent. Et toujours un humour acide.
Mais enfin, on a beau être transpercé et brûlé à l'acide, on est en droit d'attendre un peu plus de finesse de la part de notre ami.

C'est curieux, il y a beaucoup de fans de Kurt qui considèrent "Breakfast of champion" et "Les sirènes de Titan" comme ses meilleurs livres. Pour moi, ce sont peut-être les pires, mais qu'importe, il me reste le Kurt de "Abattoir 5", "Galapagos", ou "Le berceau du chat"; je peux bien lui pardonner quelques plantages.

Finalement, ce joueur-de-tennis-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom, je l'aimais bien, parce que parmi tous ses collègues aux allures de robots froids, surpuissants, increvables et arrogants, lui aussi, comme Kurt, il pétait parfois les plombs. Lui aussi, il avait l'air humain.

5 commentaires:

  1. Allez, Zaph, un NOM!! Au moins un indice..

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  2. Il est droitier... enfin, je crois.
    Et il jouait souvent en tenue blanche.
    Ca fait deux indices.
    ;)

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  3. Elle est super cool cette chronique. Vachement bien foutue!

    (Moi je penche pour McEnroe!)

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  4. Z'etes surs qu'il est un il..? il serait pas elle, pluriel[les] et frangines ?

    CC

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  5. Héhé, je crois que dans ma prochaîne critique, je vais parler uniquement de tennis (avec à la limite une petite introduction littéraire ;-)

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