Teenage Lobotomy
L'avis de Thom
Le système des campus américains, voilà une idée de roman qu’elle est bonne. Maintes fois épinglé par le cinéma avec plus ou moins de gravité selon les cas, élément incontournable de la culture de son pays, le campus restait pourtant mystérieusement fermé à la littérature. Les écrivains auraient-ils été frileux à l’idée de cracher dans la soupe ? On peut sérieusement se le demander, dans la mesure où même les plus grands contestataires n’ont jamais été jusqu’à s’attaquer à un système universitaire qui les a servis plus qu’à leur tour (pas même Donna Tartt, qui dans son remarquable "The Secret History" n'écorne même pas un tout petit le mythe): l’enseignement supérieur de ce pays et sa vie littéraire ont développée des liens de consanguinité de plus en plus importants au fil du temps, et le lecteur européen ne peut contourner ce point crucial s’il souhaite réellement comprendre la littérature américaine contemporaine. C’est que dans ce bien curieux pays, on enseigne l’écriture à l’école. Pour le meilleur (souvent) comme pour le pire (parfois), rares sont les auteurs des générations actuelles à ne pas avoir été partiellement formatés par cet enseignement… sans parler de ceux qui une fois publiés sont passés de l’autre côté en enseignant à leur tour littérature et écriture à des étudiants que l’on imagine comblés d’avoir eu un Philip Roth, un Bret Easton Ellis ou un Russel Banks en guise de professeur. On comprendra que même les plus grands n’aient pas été spécialement pressés de taper sur l’administration estudiantine.
Ceci n’a qu’un lien lointain avec le livre qui nous intéresse et en même temps il est important de le souligner pour en comprendre la spécificité : voilà déjà quelques décennies que le campus américain attendait son grand roman à lui. Jusqu’à ce que Sa Majesté Tom Wolfe en personne décide de fourrer son nez là-dedans, avec tout l’humour et la mégalomanie qu’on lui connaît.
L’auteur du classique « Bonfire Of Vanities » se propose donc d’écrire son « Elephant » à lui, essuyant quelques plâtres au passage… à ce jour je n’ai pas rencontré beaucoup de monde qui ait aimé « I Am Charlotte Simmons ». Et le moins qu’on puisse dire est que les critiques n’ont pas été tendre avec. Pourtant ce roman n’a rien de violemment déplaisant, quand bien même Wolfe s’avère à peine plus raffiné qu’un Michael Moore lorsqu’il décide de dégommer à tout va. Comprendre par-là que l’histoire de Charlotte, jeune ingénue plongée dans l’enfer du sex drugs & rock’n’roll post-ado, a tout d’une caricature…mais que venant d’un caricaturiste ça n’a rien de surprenant.
Wolfe, victime d’un retour de bâton subite ? Le succès et le temps aidant, c’est probable. Néanmoins « I Am Charlotte Simmons » est loin d’être parfait : Tom Wolfe est un écrivain de grand style, soit, mais on aurait tendance à oublier un peu vite qu’il n’a écrit en réalité que très peu de fictions (pour être plus précis : seulement trois – en comptant celle-ci). Créer des personnages, ça n’a jamais été son truc, et ceux qui nous intéressent aujourd’hui sont plus proche du stéréotype que du caractère (n’est pas Balzac qui veut). Tout cela manque manifestement de nuance – reste à savoir si la satire est un genre permettant de s’exercer à l’art de la demi-teinte. Rien n’est moins sûr, et en l’état « I Am Charlotte Simmons » remplit ses missions : fustiger la médiocrité humaine, tirer à boulets rouge sur l’intouchable et faire rire le lecteur. Il propose du reste une intéressante réflexion sur la cruauté – dans la mesure où c’est précisément notre cruauté à nous qui nous fait nous amuser de cette histoire.
Est-il nécessaire d’en demander plus ? Non. D’ailleurs vu la taille de l’objet, on se serait peut-être même satisfait d’un peu moins.
L'avis de Lhisbei
Charlotte Simmons est une jeune provinciale issue d’une toute petite bourgade de Caroline du Nord (Sparta – 900 habitants). Brillante elle à décroché une bourse pour entrer à Dupont, l’une des meilleures universités des USA. Intelligente mais naïve, coincée et campagnarde, elle va découvrir à Dupont la vie estudiantine d’une jeunesse dorée et débauchée. Loin du temple du savoir espéré Charlotte Simmons découvre les dortoirs mixtes, la promiscuité, les beuveries de ses camarades, la tyrannie de la mode, le culte des sportifs, la pression sociale…
Quand il veut prouver quelque chose Tom Wolfe n’y va pas avec le dos de la cuillère. Ses étudiants riches sont forcément prétentieux, superficiels, buveurs, bêtes comme leurs pieds, mal élevés, abusant des "fuck" et autres manies de langage de djeuns. Les étudiants pauvres sont forcément intelligents, binoclards, mal-aimés, mal dans leur peau, exploité par le système. La provinciale Charlotte est vraiment très naïve (bon d’accord sa jeunesse surprotégée ne l’a pas préparée aux vicissitudes de la vie mais quand même) mais très intelligente aussi (elle devient donc manipulatrice) et a la chance pour elle (par de heureux hasards elle retombe toujours sur ses pieds peu importe la bourde commise). On sent que l’auteur s’est beaucoup documenté sur les universités américaines, qu’il a longuement mené son enquête. Et c’est ce qui fait que son livre est indigeste. La main lourde, le trait épais, sur 1000 pages, ont failli me faire périr d’ennui. Les descriptions précises et minutieuses de la vie estudiantine alourdissent le récit. L’enquête sociologique domine le roman au détriment des personnages auxquels je n’ai pas réussi à m’attacher (je ne compte plus le nombre de baffes que j’ai eu envie de mettre à cette sotte et égoïste de Charlotte). Je m’attendais à roman au vitriol, une critique virulente de la société américaine. Je me retrouve avec un mauvais épisode d’une série pour ado dans lequel, ô surprise ! j’apprends que le jeu est truqué d’avance pour les fils à papa fainéants et fêtards, les sportifs rapportant des titres et des sponsors, que l’argent mène le monde, bref que la vie n’est pas rose sur les campus américain…
Déception pour ce livre.
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Alors peut-on dire que l'université américaine a obtenu son grand livre, ou doit-elle attendre encore un peu?
RépondreSupprimerPS : Et Les Lois de l'attraction de Bret Easton Ellis, ça comptait pas?
En se grattant la tête on peut bien en trouver un ou deux... mais bon, fondamentalement l'étonnant décalage entre l'importance de ces campus et la littérature qu'il leur est consacrée reste d'actualité...
RépondreSupprimer... et donc oui, elle va attendre encore un peu.
Tom Wolfe est catalogué ici, ( peut etre a tort) dans les GM : Grands Narcissiques. Charlotte serait-elle sa soeur jumelle ? Possible : on n'ecrit bien que de soi à soi.
RépondreSupprimerIl reste que, sur les viscissitudes en milieu estudiantin et campusiens de mes chers compatriotes, il etait temps que quelqu'un prenne la plume et commence une bonne série d'enquetes en gardant l'oeil fixé sur l'authenticité et pas seulement sur le vert des pelouses). Ca ne changera rien, mais ça entr'ouvre une porte jusqu'à maintenant hermetiquement close sur un univers hyper-protégé
Donc, narcisique ou non, merci Wolfe.