Par Zaph
Je m'imagine que c'est tout naturel, quand on écrit un roman, d'apporter un soin particulier à la première page, voire aux quelques premières pages. Plus loin dans le livre, on peut laisser passer des imperfections, mais on sait à quel point, dans une rencontre, les premiers instants son capitaux. Pour les livres aussi. On a envie que le lecteur potentiel qui a ouvert votre livre par hasard dans une librairie soit séduit et passe à la caisse. Il faut bien vivre. Il m'est donc arrivé souvent d'avoir une bonne impression dès le début de ma lecture, et de la voir se confirmer dans la suite. Parfois aussi, l'auteur n'arrive pas à maintenir le niveau sur la longueur. C'est humain.
Nicolas Ancion, lui, n'a que faire des conventions.
Honnêtement, j'ai rarement lu deux premières pages de roman aussi mauvaises. Ou si je l'ai fait, eh bien je n'ai pas du continuer plus loin ma lecture.
"- Tu y crois, toi, à la chance? Toni m'avait posé la question comme on pose une bombe, juste à l'entrée de la gare en pleine heure de pointe." [...] "Par contre, quand on te pose des questions embarrassantes, du genre de celle-là, avec la chance et tout ça, il faudrait deux cafés coup sur coup pour trouver l'énergie en quantité suffisante afin de répondre ne fût-ce qu'une réponse. On est déjà fatigué avant même de commencer à répondre. On se sent épuisé, on voudrait partir en courant..."
Et c'est comme ça pendant des pages. C'est moi qui ai failli partir en courant.
Je ne sais pas ce qui m'a fait persévérer dans le cas de Nicolas. Peut-être parce que moi, j'étais vraiment trop épuisé pour courir? Ou peut-être le fait qu'il vient de la même ville que moi? En tout cas, j'ai bien fait, parce que ce texte ne cesse heureusement de s'améliorer au fur et à mesure des pages.
"Quatrième étage" donc, raconte deux histoires en alternance.
Celle de Serge, qui se voit par un étrange concours de circonstances promu plombier et envoyé réparer une fuite dans l'appartement d'une charmante demoiselle.
Celle de Thomas et Marie, un vieux couple toujours amoureux habitant au quatrième étage d'un immeuble branlant, dans un Bruxelles fantasmagorique à deux étages, partagé entre une ville haute plus ou moins normale et une ville basse déliquescente, presque apocalyptique, où la survie est un combat de tous les jours.
J'ai bien apprécié cette réalité décalée, qui tient en partie du film "Delicatessen" et d'une fantaisie proche de Vian.
Si les univers des deux histoires sont décrits de manière différente, ce n'est pas pour rien, mais en dire plus serait trahir la surprise du livre. Car on se demande évidemment comment les deux histoires vont se rejoindre; et elles le font de manière assez originale; c'est la bonne idée du livre.
Donc, il y a incontestablement du bon, dans ce bouquin. Mais même si on passe sur le début catastrophique, il y a aussi de sérieuses faiblesses.
C'est bien de chercher la simplicité et la légèreté, mais Nicolas tombe parfois dans la naïveté. Les monologues et réflexions de ses héros sont parfois frais et drôles, mais versent aussi souvent dans la platitude et les lieux communs sans intérêt.
Une opinion en demi-teinte pour ce livre, donc. Mais je suis certain que l'auteur serait capable de surmonter ces petits défauts.
"Parfois aussi, l'auteur n'arrive pas à maintenir le niveau sur la longueur. C'est humain."
RépondreSupprimerC'est pour ça que j'écris des chroniques :-D
Thom, on parle d'auteurs, pas de blogueurs! :-P
RépondreSupprimerEn tout cas, Zaph, ton avis me fait l'effet des premières lignes que tu cites. Je passe!
Demi coup de griffe ? Comment on dit ? Griffounnette d'avril ? :)
RépondreSupprimer"C'est pour ça que j'écris des chroniques"
RépondreSupprimeret moi des haïkus ;-)
Griffounette? Oui, j'adore le concept! :-D
Ce sont peut-être des défauts de "jeunesse", l'auteur débute?
RépondreSupprimerAprès recherches, il s'agit de son quatrième roman, paru en 2000. Il écrit aussi de la poésie.
RépondreSupprimerC'est trop mignon, Mbu, comment tu essaies de lui trouver des excuses :)
RépondreSupprimerBen je me disais que peut-être il apprenait en écrivant :-) Je serai moins mignonne quand je tomberai surt un coup de griffe. Déjà que ça fait un bail que j'ai pas eu de coup de coeur...
RépondreSupprimerNicolas Ancion nous livre avec ce "Quatrième étage" un récit rondement bien mené question intrigue mais également inondé de son talent d'écriture.
RépondreSupprimerDeux histoires qui se croisent, deux récits différents que le lecteur ne lie pas tout de suite ou alors dans l'erreur. C'est que dans les deux cas il est question d'un quatrième étage. Alors pourquoi ne pas, au début, penser à des appartements voisins, des gens qui vont finir par se rencontrer, une situation qui va se dénouer... bref, le lecteur conserve l'espoir d'un sauvetage savamment organisé.
Plantage pour le lecteur! Mais en beauté et en douceur car la suite est encore meilleure. Oui, les deux récits parlent d'un même étage, oui les deux récits sont bien plus liés qu'il n'y paraît, oui tout cela s'entrechoque et s'emmêle, oui oui oui mais Nicolas Ancion nous balade bien pendant une longue partie du récit avant que nous ne fassions face à cette réalité qui est, il faut le dire, assez sordide. Ce que nous pensions beau est illusion et l'amour qui dépasse tout, misère et maladie compris, se figera dans l'éternité du grand départ.
Thomas et Marie s'aiment et s'aimeront jusqu'au bout, victime d'un salopard, un marchand de sommeil sans scrupules aucun à qui je n'ai pu souhaiter que la mort dans d'atroces souffrances tant il m'a répugné.
Serge et Marie se découvrent et apprennent à s'aimer, la vie est belle et brille de petites paillettes de bonheur qui font du bien à leurs âmes meurtries.
Entre les deux couples, une passerelle qui apparaît peu à peu et laisse pantois devant cette manipulation excellente, il faut le dire, menée par Nicolas Ancion.
Un récit qui tient en haleine et à coeur, qui prend au ventre tant on s'accroche aux destins malmenés de tous ces êtres et tant on aimerait que cette société monstrueuse que l'auteur dépeint n'existe pas. Difficile, surtout lorsque cette société, cette ville qui l'abrite, on y a travaillé pendant des mois et que l'on a côtoyé cette misère humaine qu'il décrit sans tomber dans le pathos gratuit ou le misérabilisme médiatique. Tout y est, des ingrédients bien dosés pour composer une recette à déguster sans modération.
C'est très intéressant, Sahkti...Mais tu ne croies pas que cette excellente critique aurait mérité mieux, que de se perdre dans les commentaires ? Tu ne voudrais pas qu'on la supprime, et qu'on lui offre une publication "normale" ? :)
RépondreSupprimerJe n'aurais pas dit mieux :=)
RépondreSupprimeroui, volontiers... je crois que je n'ai pas bien compris comment faire quand un bouquin avait déjà été commenté... :)
RépondreSupprimerRassure-toi, nous non plus :)
RépondreSupprimerOn cherche encore le bon équilibre (après seulement un mois, c'est normal). Le temps d'adaptation...C'est pour les anims aussi :)
Disons que tu fais comme d'habitude : tu nous envoies la critique. Et nous, on essaie de la publier selon un rythme qui nous semble correct, c'est à dire pas trop longtemps après la première, pas juste derrière pour pas que ce soit toujours du même livre dont on parle (par exemple, l'autre jour, Thom râlait parce qu'on avait eu trois commentaires de "Novecento" en moins de deux semaines, on n'y avait pas pensé, mais en fait, il avait raison, ça faisait beaucoup trop rapproché).
Donc je vais récupérer ton texte. Et on va lui offrir une visibilité normale la semaine prochaine (ou en début de suivante, parce que c'est pareil, on essaie de ne pas poster trop de critiques de la même personne à la suite, histoire que personne ne se sente lésé - et là on a déjà plusieurs Sahkti pour la semaine à venir :).
Ouch. Il est super long ce commentaire ! Je suis confuse !
Chouette critique, Sahkti, mais je répondrai plutôt quand elle sera publiée sous forme d'article, dans quelques jours.
RépondreSupprimer