lundi 7 avril 2008

"Darling" - Jean Teulé

Par Sandrounette

Catherine Nicolle est née dans la merde. C'est le cas de le dire. Fille cadette de paysans qui ne l'ont jamais aimés, Catherine grandit par elle-même. Vivant au bord de la route nationale, elle s'éprend des camions qui passent et de leur chauffeur. Elle apprend à lire grâce aux inscriptions des remorques, elle apprend à compter grâce à leurs plaques minéralogiques. A l'aide d'une C.B, elle arpente la bande sonore à la recherche de l'homme de ses rêves, un routier bien évidemment. Ce bout de femme enchaîne les galères à un rythme insoutenable...
Encore un Jean Teulé qui me donne un bon coup de poing au ventre... Ce roman n'en est pas un puisqu'il s'agit d'une histoire vraie. En filigrane, des extraits de dialogue entre Darling et Jean Teulé rendent le récit encore plus proche de nous. On ne peut que lire cette histoire navrante, ce combat perdu, ce désespoir. Et encore, Darling semble très froide vis-à-vis des drames qu'elle a vécu lorsqu'on lit ses "interwiew".
On est choqué, on est blessé, on se demande comment cette femme tient encore debout. Jean Teulé n'est jamais compatissant, n'emploie pas un ton mielleux pour faire basculer le lecteur dans le pathos. Il utilise son style percutant, sans concession, narrant une histoire "vraie". Je ne regrette absolument pas ce moment de lecture. Même si le contenu est dur, comme la vie.







L'avis de Livrovore

Les dédicaces d'auteurs de Radio France (recueilli sur Fnac.com) : "Un jour, en juin 97, il devait être 11h 30 du matin et j'étais dans mon bureau à Canal+ lorsqu'on m'a appelé de la réception. La standardiste m'a dit qu'il y avait, dans le hall, une fermière qui ne voulait absolument pas en partir avant de m'avoir vu et raconté sa vie. La standardiste m'a aussi demandé si je voulais la rencontrer parce que, sinon, il allait falloir qu'elle prévienne la sécurité afin que la fermière reparte car "elle fout la honte dans le hall". Une fermière qui fout la honte dans le hall de Canal, moi, forcément, ça m'a fait rire alors je suis descendu. Et comme j'ai senti qu'elle gênait effectivement tout le monde et que ça allait être l'heure du déjeuner, je l'ai invitée dans un petit restaurant derrière Canal. Et là, elle a commencé à me parler de son existence... Et j'ai été tellement stupéfait par ce que m'a raconté cette femme, qu'au milieu du repas, j'avais pris la décision d'arrêter la télé pour écrire le roman de sa vie. Et le roman de la vie de Darling, c'est quelque chose..." (Jean Teulé)

Jean Teulé m'a encore touchée en plein coeur. Je n'ai jamais autant pleuré en lisant un roman. Et puis j'ai même rit, parfois, à travers mes larmes. C'est tout le talent de cet auteur.
Darling, c'est un roman, mais c'est aussi une histoire vraie. Teulé ne cesse de nous rappeler à la réalité en entrecoupant l'histoire de morceaux de dialogues qu'il a eus avec Catherine, dite "Darling".
"Le premier roman que tu vas lire, c'est celui-ci, qui raconte ta vie ?
- Oui.
- Tu vas voir, c'est l'histoire d'une fille. Elle en chie drôlement...
- Puisque c'est un roman, est-ce que tu pourrais me faire belle ?"


Cette histoire nous rappelle combien la vie s'acharne sur certaines personnes, et pourtant, ces personnalités formidables sont toujours là, debout. Dans le fond de la campagne Normande, mais ça pourrait être partout ailleurs, on ne sait pas exprimer ses sentiments. On ne connaît pas la tendresse. Et puis la vie est rude. Darling ne rêve que de s'en échapper, ne surtout pas devenir elle aussi une paysante... Et pourtant, ce n'est pas ailleurs qu'elle vivra mieux. Certaines personnes sont elles destinées à ne vivre que souffrances ? Et pourquoi ??

- "Incroyable...
- Ce n'est pas incroyable du tout ! Qu'est-ce que tu crois, toi ? Des filles comme moi, le siècle en a plein ses tiroirs !"


Jean Teulé prend soin de nous le rappeler à travers ce livre : des gens qui souffrent, des gens qui vivent l'horreur, il y en partout. Pas seulement dans des pays lointains. Il y en a aussi là, tout près, là où on ne veut pas toujours regarder.
C'est un livre très dur, parfois j'ai eu envie de le jeter par la fenêtre pour m'éviter d'y croire. Mais il est aussi indispensable de ne pas se bander les yeux.
Et puis j'adore l'écriture de Jean Teulé : ce n'est pas voyeur, mais sensible et vrai.

"Elle remonte les pentes à des vitesses fantastiques et moi je ne comprends pas où elle puise cette énergie-là. Où va-t-elle chercher cette rage d'être encore verticale ? Y aurait-il donc des gens dont la force de vie serait sans limite ?"






L'avis de Thom

« Elle voulait qu’on l’appelle Darling.Elle y tenait !Pour oublier les coups reçus depuis l’enfance (…), pour effacer les cicatrices et atténuer la morsure des cauchemars qui la hantent.Elle voulait que les autres entendent, au moins une fois dans leur existence, la voix de toutes les Darling du monde.Elle a rencontré Jean Teulé.Il l’a écoutée et lui a écrit ce roman. »(vous ne rêvez pas : ceci est bel et bien un quatrième de couverture réussi)

J’ai souvent tendance à penser que les grands écrivains sont ceux qui donnent la parole à ceux qui ne l’ont jamais. C’est un trait commun, une force objective et indiscutable, le seul point peut-être susceptible de réunir dans le même cercle un Bukowski, un Balzac, un Steinbeck ou un Jean Teulé.A partir de là bien sûr le traitement varie selon l’auteur, son univers et son écriture. Le style poétique et aérien de Jean Teulé, perpétuellement en équilibre entre le rire et les larmes, offre un traitement léger, subtil, tout en finesse, nourrissant sans doute quelques malentendus : si tout le monde ou presque s’accorde pour dire que Teulé est un chouette écrivain, on l’affuble un peu trop régulièrement à mon goût du qualificatif autrefois fustigé (à raison) par Magyd Chefi : Sympa. Jean Teulé est un auteur sympa. Ca veut tout et rien dire, et ça ne mange pas de pain. Je n’ai pas souvenir en revanche d’avoir jamais lu ce que je m’apprête à écrire maintenant : Jean Teulé est un grand écrivain. Pourtant c’est le cas : quiconque possède « Je, François Villon » dans sa bibliographie est un auteur plus que brillant. Celui qui possède « Je, François Villon » et « Darling », deux romans aussi magistraux que différents et complétementaires, ne peut pas être simplement sympa.Comme souvent les livres de l’auteur, « Darling » est fin, délicat et bâti avec une subtilité aux limites du faux semblant. Il prend rapidement l’allure d’un conte fantaisiste et doux amer – parfois cruel – du fait de la plume légère de Teulé, au point qu’on oublie assez rapidement qu’il s’agit d’une histoire vraiment vraie. C’est à dire que c’est annoncé comme telle, c’est même écrit comme telle (avec alternance de narration pure et d’extraits de dialogue Teulé – Darling) mais l’exercice de romancisation (si quelqu’un connaît le substantif de romancer qu’il me le fasse savoir !!!) est tellement maîtrisé qu’en fait on finit par totalement l’occulter. Il en va de même pour ces personnages et cet univers criants de vérité dont on a malgré tout l’impression qu’ils sont évadés d’un conte (éventuellement d’une bande dessinée)…Quand j’étais gamin, mes voisins d’en face étaient fascinés par…les routiers et les CBs (pronounced "cibiiii"). Des Darling j’en ai effectivement (comme l’annonce le quatrième de couverture) rencontré des milliers, dans cette Normandie profonde où j’ai vécu jusqu’à l’âge de dix-sept ans. Et mes voisins d’en face, chaque fois qu’un trente-trois tonnes (éventuellement un tracteur) passait devant chez eux ils sortaient pour littéralement l’admirer. J’ai mis des années avant de comprendre qu’ils n’étaient pas plus cons que moi pour autant. Et cette dernière phrase me semble parfaitement résumer ce qu’on peut ressentir à la (re) lecture de « Darling ».Au commun des mortels, ces gens sembleront sans doute azimutés, et Darling ne pourra pas avoir existé.Pour moi, non seulement elle existe, mais je la croise encore régulièrement aujourd’hui. Ce qui me rend le livre d’autant plus bouleversant.






L'avis de Sandriine

Je l'ai commencé hier, vous savez pour lire quelques pages avant d'aller dormir et puis je l'ai lu d'une traite, en m'en foutant de l'heure, de la tête de ma boss quand elle verrait la mienne, d'une traite parce que je ne pouvais pas abandonner Catherine/Darling.

J'ai eu une lecture pleine de réactions physiques: la respiration qui se coupe, la gorge serrée, quelques larmes qui coulent sans que j'ai rien demandé,et surtout l'impossibilité totale d'oublier Darling.
Elle est là, elle reste là et restera je pense très longtemps.Chaque fois que je verrai un petit appart hlm, j'y penserais...

2 commentaires:

  1. Sandrounette > "paysante" : j'adore. C'est vrai que "paysanne", c'est très surfait! :-)

    Thom > Après vérification, il n'y a pas de substantif à "romancer". Tu peux donc proposer ton terme à Alain Rey!

    En ce qui me concerne, je suis vierge de Teulé. Mais je ne demande qu'à me faire déflorer. L'année 2008 sera Teulé ou ne sera pas.

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  2. J'ai lu Darling et Je, François Villon récemment (prix des chats oblige...)et je trouve qu'effectivement J.Teulé est doté d' un incroyable talent qui remue jusqu'aux tripes.
    Il me tarde de lire Le magasin des suicides, qui est dans ma PAL depuis peu..

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