L'Avis de Thom
Ce devait être la blague la plus drôle de sa vie ! depuis des années, Thad écrivait sous le pseudonyme de George Stark des petits polars à très grand succès. Mais ses propres oeuvres, plus personnelles, n'intéressaient personne. Alors il décida de tuer George Strak, purement et simplement. De lui organiser un enterrement fictif, avec couverture de presse et tout le toutim...pour pouvoir enfin se consacrer à la "vraie" littérature.
Ce devait être la blague la plus drôle de sa vie...jusqu'à ce que cela ne tourne au cauchemar. Jusqu'à une étrange série de meurtres dont l'auteur semble être George Stark lui-même. Son pseudonyme. Un être n'ayant aucune existence concrète...
Je suis partagé entre la honte et la satisfaction. La honte, c'est de ne pas encore avoir lu ce qui pourrait être un des plus grands livres de Stephen King (alors que j'en ai lu tellement de médiocres...). La satisfaction, c'est qu'en connaissant un peu l'oeuvre de l'auteur on lit "The Dark Half" de manière totalement différente. Comme il le révéla lui même dans son autobiographie, il fit une sévère dépression suite à la sortie et au succès colossal de son premier roman, "Carrie". De fait, le personnage de l'écrivain célèbre mais torturé, poursuivi par sa propre starification, est devenu chez lui un thème récurrent. Dans "Shining", c'est pour retrouver l'inspiration que le romancier s'installe dans ce vieil hôtel (ok : plus personne ne s'en souvient, mais je vous jure que oui). Dans "Misery", l'écrivain est séquestré et torturé par une fan psychopathe qui veut l'obliger à ressusciter le héros de ses romans à succès. Dans la nouvelle "Sowing season", l'écrivain est persécuté par un illuminé qui l'accuse de plagiat...et j'en passe. Rien de surprenant finalement à ce que dans "The Dark Tower" il ait poussé le vice jusqu'à [censuré pour cause de rupture de suspens].
"The Dark Half" relève du même procédé. Et bien sûr, on ne peut s'empêcher de repenser au fait que King ait lui même longtemps écrit sous le pseudonyme de Richard Bachman. Et qu'il ait de nombreuse fois tenté d'écrire de la "vraie" littérature (ce sont ses propres mots - comprendre par-là "pas de la littérature dite de genre").
Mais le génie est ailleurs. Le génie de King, ce n'est pas l'angoisse. C'est le suspens. L'écriture du suspens. Car finalement, la plupart de ses grands livres peuvent être résumés en trois lignes. Avec une bonne idée de départ, trois bouts de ficelle et un style toujours aussi tranchant, il réussit à écrire, là encore, un livre sensationnel.
Mon seul regret, c'est qu'il en ait écrit autant, des livres. Qu'il y ait à boire et à manger dans son oeuvre, et que finalement ce type ait (cas unique dans l'histoire de la littérature à ma connaissance...Balzac mis à part - d'ailleurs Balzac est un de ses auteurs favoris) écrit autant de daubes que de chefs d'oeuvre.
Vous l'aurez compris, "The Dark Half" est un livre de très haute volée.
L'Avis de Gaël
Si vous décidiez d'écrire un livre, choisiriez-vous de le faire sous un pseudonyme? Après tout, il y a de nombreux avantages à devenir un auteur masqué. Pas de harcèlement dans la rue (si tant est que vous soyez un auteur à succès), liberté totale de ton et de sujet qui ne se cognera pas à la censure de vos proches, sensation grisante de berner tout le monde... Et pourtant, sans prévenir, votre gardien de l'anonymat peut se révéler plus présent que vous ne le pensiez, surtout si vous avez l'intention de revenir à votre identité première. C'est une conséquence fâcheuse que n'avait pas anticipée Thad Beaumont, le héros de ce roman, mais également Stephen King lui-même. Car il est évident que ce roman est intervenu dans la carrière de maître de l'horreur après que celui-ci a pris la décision de dire adieu à son pseudonyme Richard Bachman, auteur de Rage, Marche ou crève ou encore Running Man. King, à son habitude, utilise la littérature de genre pour traduire ses propres angoisses et les matérialiser pour mieux les combattre. Ici le pseudonyme du protagoniste prend corps alors que notre écrivain a décidé de l'enterrer une bonne fois pour toute et de se tourner vers une littérature plus "généraliste", et décide de se venger en prenant la place de son auteur. Dans son style imparable, Stephen King nous entraîne dans un tourbillon qui nous happe de plus en plus violemment, cernés que nous sommes, lecteurs, par l'angoisse et les moineaux. Ces oiseaux qui sont à la fois annonciateurs de mort, mais aussi symbole de la lutte de pouvoir entre notre écrivain et son double. D'ailleurs, je défie quiconque aura lu ce livre de rester de marbre face à un ziozio qui vous reluque du haut d'une branche. Il faut bien un mois pour se persuader que les moineaux, dans la vie, c'est inoffensif (quoique pour certains,Stephen_King j'ai encore des doutes...). D'ailleurs cette utilisation des moineaux en masses compactes et silencieuses, présence menaçante ou bienveillante qui donne la chair de poule, est un cri d'amour à l'un des maîtres de Stephen King : Alfred Hitchcock. Il est évident que notre écrivain ne pouvait que rendre hommage, un jour ou l'autre, au Maître du suspense. Si la référence la plus probante est celle des Oiseaux, King rejoint également Hitch dans la construction de l'intrigue elle-même. Thad Beaumont se retrouve accusé de crimes qu'il n'a pas commis, et va devoir agir seul pour prouver son innocence. Soit le schéma préféré de Sir Alfred, qu'il a décliné dans une bonne moitié de son oeuvre. Et on peut dire que l'élève est à la hauteur de son maître : récit concis des meurtres, course-poursuite a crescendo, seconds rôles cocasses, représentation séduisante du mal... Le petit Stevie a bien appris sa leçon, et mérite même les éloges du jury. Curieux que Brian De Palma ne se soit pas jeter sur l'adaptation de ce roman...
Derrière le thriller et le roman d'épouvante se cachent les interrogations d'un écrivain. Car incarner un pseudonyme n'est pas seulement un procédé original qui permet à Stephen King d'effrayer les foules. C'est surtout l'indice de nombreuses angoisses quant au métier d'écrivain, et particulièrement à son statut à lui. Pour comprendre les enjeux de ce livre, il est peut-être bon de rappeler les circonstances qui ont amené notre auteur à créer Richard Bachman en 1977. Après le succès colossal de son premier roman Carrie, puis du suivant Salem, King se demande si ses livres se vendent sur son nom ou grâce à la qualité de leur contenu. Le constat est amer quand il découvre que les oeuvres de Bachman se rétament au box-office. Un étudiant découvre la supercherie en 1985, et King avoue tout en mettant en scène l'enterrement de son double. Les romans de Bachman sont immédiatement propulsés en tête des ventes. Si les points communs entre les deux histoires sont bien sûr nombreuses et évidentes (personnage du jeune qui découvre le pot aux roses, enterrement factice du faux auteur...), la relation entre Thad Beaumont et George Stark n'est pourtant pas la même qu'entre Stephen King et Richard Bachman. Dans le roman, Thad Beaumont prend un énorme risque à tuer son pseudo car c'est sous ce nom qu'il a du succès et qu'il est reconnu. Stephen King est amené à évoquer un autre thème : un auteur doit-il rester dans un registre ou a-t-il le droit de se diversifier? C'est également une question que l'auteur a été obligé de se poser lorsqu'il a décidé d'écrire des romans non-fantastiques. En concentrant dans La Part des ténèbres plusieurs thèmes liés à son statut d'auteur, Stephen King écrit un roman SUR le métier d'écrivain, bien plus intéressant et profond dans son analyse que son essai Ecriture : Mémoires d'un métier. Toutes les angoisses de l'écrivain y sont réunies : l'identité littéraire, le succès, mais aussi le comportement des admirateurs, car George Stark peut être vu sous l'angle d'un fan déséquilibré qui aurait récupéré l'identité enterrée du pseudonyme.
Je n'ai pas lu assez de livres de Stephen King pour annoncer assurément que c'est son meilleur. La Part des ténèbres a pour lui, cependant, de cristalliser tout ce que j'aime et qui m'intéresse chez cet auteur. Les fans de la terreur seront captivés, les amateurs de réflexion seront servis. Ce livre est en tout cas la preuve que Stephen King ne peut plus être considéré comme un "simple auteur de genre".
C'est beeeeeeeeeeeau les coups de cœurs collectifs :-)
RépondreSupprimer(et je ne dirai rien, hein, mais Gaël a fait plus long que moi...)
(et en plus j'ai sabré sa citation du 4e de couv...)
(hein...)
(alors bon...)
(on me dira encore après ça que je fais trop long...)
Il me semblait bien que j'avais envoyé la 4e de couv'! C'est pô grave, ton résumé est éloquent comme il faut. Et puis, de toute façon, on l'a dit depuis le départ, la 4e de couv', ça compte pas! Par contre, rajouter direct des commentaires à ses propres critiques, c'est pas tricher???
RépondreSupprimerSurtout qu'il n'y a que nous qui commentons...et ça, c'est vraiment pathétique :-S
RépondreSupprimer(chouette critique, très cheeeeeer)
Tu as raison Thom. Très belle critique Gaël! Qui sait un jour j'irai vraiment lire un de ses livres. Aussi parce que je viens de regarder le DVD de 1408 de King et je me suis très bien amusée.
RépondreSupprimer"Curieux que Brian De Palma ne se soit pas jeter sur l'adaptation de ce roman..."
RépondreSupprimer...Romero lui a coupé l'herbe sous le pied en en achetant les droits dès la sortie...pour en faire un navet absolu réussissant la double performance d'être à la fois la pire adaptation de King (et pourtant il y avait de la concurrence !) et son pire film à titre personnel (ce fut d'ailleurs pour lui le début d'une longue éclipse)...
Je n'ai jamais lu de King parce que je n'aime pas les romans "qui font peur" et oui je suis une poule mouillée... Mais la critique que vous faites me donne envie d'aller essayer celui-là!
RépondreSupprimerThom : Merci pour ces infos, je l'ignorais! C'est quand même dommage. King est l'un des auteurs les plus adaptés au ciné, et c'est aussi l'un dont on a massacré la moitié des adaptations.
RépondreSupprimer"(chouette critique, très cheeeeeer)"
Merci beaucoup, maître!
Parce que la plupart des cinéastes axent leurs adaptations sur le côté fantastico-spectaculaire des oeuvres...alors que ce n'est pas du tout le plus intéressant dedans. Du moins me semble t'il. Du coup les meilleures adaptations resteront éternellement celles qui se focalisent sur le côté humain de l'affaire..."Shining", "Stand by me"...
RépondreSupprimerc'est beau des coups de coeur collectifs :-)
RépondreSupprimeret puis ça donne envie
C'est vrai, les gars, vous donnez très envie de le lire!
RépondreSupprimerCe serait chouette, King Aristochat ;-)
Je crois me souvenir qu'il a déjà été proposé, mais jamais élu :(
RépondreSupprimerEffectivement, j'ai déjà donné son nom en proposition. Rien à voir avec le fait que j'en ai encore quelques-uns dans ma PAL!...
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