vendredi 10 juillet 2009

"Les exclus" - Elfriede Jelinek

Jeux d'enfants, par Thom.


Je n’ai jamais été en vacances en Autriche, mais tout à fait entre nous si on reconnaît vraiment un pays à ses artistes je ne suis pas du tout certain d’en avoir envie. C’est pas pour dire, mais si vous mettez côte à côte les trois artistes autrichiens contemporains les plus connus par chez nous (à savoir Jelinek, Handke et Haneke)… avouez qu’il y a de quoi se poser quelques questions quant à la qualité de vie au cœur du beau pays de Musil et de Werner (génies eux aussi connus pour être de joyeux drilles).

Le second degré (voire même le sourire) n’est pas la principale qualité d’Elfriede Jelinek, à sa décharge il faut bien reconnaître qu’avec un sujet comme celui des « Exclus » il est assez difficile de provoquer l’hilarité. Inspiré du même fait divers que la « Clockwork Orange » de Burgess, auquel est appliqué un traitement bien plus réaliste, ce roman raconte en effet la course folle d’un quatuor d’ados autrichiens désoeuvrés dont le principal passe-temps est d’exploser la gueule à ceux qui croisent leur route – rien de très rigolo donc. Raconté par quelqu’un d’autre ça n’aurait sans doute aucun autre intérêt que d’être bassement moralisateur sous des dehors provoc. Sous la plus froide et clinique de Jelinek, ça devient une réflexion sur la violence et l’ennui des plus terrifiantes :

« Il ne faut pas cogner sur les gens par haine, il faut cogner sans raison aucune, c’est une fin en soi… »

… explique d’entrée Rainer, sinistre maestro de ce gang d’autant plus effrayant qu’il est complètement imprévisible. Perdu pour à peu près tout, cet adolescent à glacer le sang entraînera sa sœur et ses deux disciples dans une escalade de violence qui s’achèvera par un massacre… et une succession de prises de positions lénifiantes de la part des intellectuels autrichiens de l’époque (1959), que Jelinek renvoie sans se forcer à leurs cris d’orfraies. Non contente de poser la question de la responsabilité collective, elle contourne le problème du didactisme en collant strictement aux faits ; se contente de dresser un tableau aussi distancié que glacial : ces jeunes gens n’étaient pas issus d’un milieux défavorisé, ils n’étaient ni des idiots ni des bêtes (au contraire : leur raffinement s’étale sur deux cent soixante-cinq pages) – pas mêmes des fous. De simples ados, presqu’ordinaires, dévorés par la part d’ombre que la société a oublié de leur apprendre à dominer, trop occupée qu’elle était à oublier son passé.

Dire que « Les exclus » est un roman dérangeant serait une litote assez maladroite. « Lust » était dérangeant… quand ce texte-ci est au-delà de cela. A l’instar du « Funny Games » de Haneke (qui a d’ailleurs fini par adapter Jelinek pour « La Pianiste », quelle surprise), « Les exclus » est une œuvre profondément choquante car faisant de la violence la plus crue une illustration frappante de l’absurdité de la condition humaine. Pas de motifs, pas d’excuses, pas d’explications. Pas même une circonstance atténuante ; juste un plaisir macabre, une jouissance malsaine banalisant jusqu’au meurtre. De même qu’au cinéma la violence la plus crue est bien plus impressionnante qu’une scène de « Kill Bill », la violence des « Exclus » se révèle d’autant plus éprouvante que d’une simplicité déconcertante. Car oui : c’est facile de tuer quelqu’un. Facile… et à la portée de tout un chacun. Le Mal Absolu n’est-il pas celui qui n’a besoin de rien d’autre que lui-même pour se légitimer ?

1 commentaire:

  1. J'avais lu "La Pianiste",c'est un texte très violent aussi, on ne ressort avec l'impression d'avoir été fortement agressé.

    Les artistes autrichiens, c'est vrai il faut se forcer pour les lire. Et si vous n'avez pas goûté à Thomas Bernhard, je vous promets encore pire, si c'est possible...

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