vendredi 30 mai 2008

"Les dépossédés" - Ursula Le Guin

La SF comme j'aime, par Zaph


Urres est une planète dominée par une société très hiérarchisée, où règne l'économie libérale, la consommation, et le machisme. Une planète qui ressemble un peu à la Terre version U.S.

Anarres, planète jumelle, abrite une société de type 'utopie anarchique', égalitaire, sans gouvernement monolithique. Toute notion de possession y a été abolie, jusqu'au niveau familial, où la relation de dépendance entre parents et enfants est réduite au minimum.

Anarrès a été peuplée à l'origine par des rebelles dont Urrès n'était que trop heureuse de se débarrasser. Depuis, les deux planètes se regardent en chiens de faïence, limitant les contacts à quelques échanges commerciaux et publications scientifiques.

Shevek, un jeune et brillant, mais quelque peu naïf physicien d'Anarrès, après avoir lu quelques articles en provenance d'Urrès, brûle de curiosité de connaître cette planète et ses chercheurs, et qui sait, peut être d'amorcer un rapprochement entre les deux mondes.
Un jour, il s'embarque à bord d'un des rares cargos en partance pour Urrès, et y est accueilli à bras ouverts.

Mais Shevek est sur le point d'accoucher d'une théorie physique révolutionnaire du Temps, qui aurait des applications capitales dans le domaine du voyage spatial. Quelles sont donc les motivations réelles d'Urres pour accueillir Shevek?
...

Ce roman est passionnant.
On ne peut s'empêcher, en le lisant, de réfléchir à la possibilité d'autres systèmes sociaux et politiques que le mode dominant d'économie libérale qui passe à notre époque pour l'unique système viable.

Malgré une critique à peine voilée de notre société, Le Guin ne tombe pas dans le manichéisme et n'épargne pas les faiblesses de l'alternative.
Le "système anarchique" semble ne conserver sa cohérence que grâce à une sorte d'embrigadement très fort -bien qu'inconscient, une diabolisation de "l'autre" qui inspire la peur de tout autre système, considéré a priori comme mauvais.
On se demande même si le système d'Anarrès est capable de tenir le coup une fois confronté à un système plus individualiste. Est-ce qu'Anarrès n'est pas condamnée à rester isolée?
Le roman s'ouvre d'ailleurs très joliment sur le symbole d'un mur. Un mur tout à fait franchissable physiquement, mais c'est une sorte de barrière mentale qui empêche les gens d'Anarres de le traverser, de se confronter à l'autre.

Plein d'autres thèmes intéressants sont abordés, comme par exemple la valeur du couple dans une société libertaire, ou encore le dogmatisme social comme remplacement du dogmatisme religieux.

Bref, c'est à un vrai choc des civilisations que nous assistons entre ces planètes soeurs, ce qui n'est pas sans évoquer certains discours récurrents dans les media d'aujourd'hui.

Mais rassurez-vous, rien de tout cela n'est lourd, car il y a bien un récit, et il est mené de main de maître.
La SF comme je l'aime.

"It is hard to swear when sex is not dirty and blasphemy does not exist."

***

Pour terminer, un petit poème d'Ursula :

In the Third Year of the War

I used to stand in this corner window
to wave to my children setting off
down the hill to school with their lunch boxes,
and they'd turn and wave to me.

At Christmas the tree goes in this window,
and all year I keep flowers in it,
close to the glass, so we inside
and people passing by can see them.

Last year I put a Peace sign in the window
with an electric candle behind it
that comes on at twilight. Last month I started
sticking a piece of paper with the number,

the day's count of the dead, in the window.
Now almost every day I have to change it,
to add one, or four, or seven
to the number of the brave children.

...

3 commentaires:

  1. Bravo pour cette chronique : c'est très vrai, avec cette Ursula on sait que l'on va lire de la SF de qualité qui nous amène à réfléchir sur les hommes et les sociétés. Et c'est une femme qui fait ça... !

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  2. Merci.
    La science fiction ne serait pas un thème très féminin?
    Sans doute. (C'est justement un sujet de discussion actuellement dans la partie "club" des Chats.)
    Heureusement qu'il y a des exceptions comme Ursula pour notre plus grand plaisir! :)

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  3. A lire aussi "La main gauche de la nuit" - très bon roman traitant de l'identité sexuelle et plus précisément de ce que pourrait être une société dans laquelle la différence sexuelle n'existe pas - à nouveau, Ursula Le Guin ne se propose pas de montrer une société idéale mais de réfléchir sur la notre.

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