jeudi 18 juin 2009

"Cochon d'allemand" - Knud Romer

Non, je ne suis pas obsessionnel (juste un peu), par Thom.


Après deux cents critiques quasiment toutes dithyrambiques (mais dont aucune, bien sûr, ne surclasse l'excellent texte de notre ami Franswa) que reste t'il à dire de « Cochon d'allemand » - archétype du livre qu'on n'a même plus envie de lire à force de l'avoir vu encensé à tout va ? Rien, en fait. Magnifique performance des commentateurs que d'avoir fini, à peine un an après sa parution, par totalement désosser un ouvrage aussi complexe, aussi palpitant et aussi vertigineux, qui multiplie points de vue et époques et points de vue sur les époques avec une virtuosité digne d'un Faulkner venu du froid (non, la comparaison n'a rien d'excessif).

Pour ceux qui auraient vécu dans un igloo depuis 2007, rappelons brièvement de quoi il s'agit avant de nous agenouiller respectueusement devant la maestria de l'auteur : « Cochon d'allemand » raconte, dans un chaos structurel des plus excitants, l'enfance d'un certain Knud, allemand dans une petite ville danoise une poignée d'années après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Une guerre qui, bien sûr, reste encore très (trop) présente dans les esprits, qui a laissé des traces et des cicatrices probablement indélébiles...

Pause anecdote : je connais bien le Danemark, pour y avoir été à plusieurs reprises dans les années 1995 - 96. Autant dire que je n'ai pas été surpris de ce que j'ai lu dans ce livre, dans la mesure où les relations amour / haine vis à vis de l'Allemagne demeurent aujourd'hui encore l'un des traits les plus étonnants de ce pays par ailleurs terriblement attachant. On est loin des français se moquant des anglais et inversement ; une partie non négligeable des danois déteste viscéralement les allemands, les déteste d'autant plus à vrai dire qu'elle a conscience que peu de choses les séparent. Cela m'avait marqué, tout ado que je fus alors, de voir que dans les établissements scolaires danois l'allemand était presque toujours la première langue et que les élèves détestaient presque toujours la pratiquer... tout en parlant l'allemand aussi bien (sinon mieux) que des allemands, ce avec un naturel tout à fait désarmant. Bref : quand on a noté ces étranges relations dans les années quatre-vingt dix, on peut difficilement être étonné par ce que raconte Romer de ces relations passionnelles dans les années soixante. Fin de la pause.

Nous disions que ce récit évoquait Faulkner. C'est l'évidence même, et ce n'est pas le moindre des compliments : le côté petite ville de province un peu arriérée y est pour beaucoup (c'est sans doute le seul point faible du livre, du reste, qui par moment verse un peu dans l'excès sur cette question - excès somme toute pardonnable dès lors qu'il s'agit d'un roman autobiographique suintant la souffrance et même la rancœur à chaque phrase), mais au-delà de ça on y retrouve un aspect de l'œuvre de Faulkner moins couru (parce que moins évident)... cette manière de faire se télescoper les déchirements les plus intimes et les blessures de l'Histoire, cette manière de confondre les destins individuels avec le Grand Destin Collectif qui, si elle manque un peu trop de distance pour accoucher d'un chef d'œuvre, n'en permet pas moins une mise en perspective assez passionnante. Le manque de distance qui, à l'inverse, crée une tension régulièrement bouleversante... et tout à fait faulknerienne aussi, puisque Knud n'est pas sans rappeler Joe Christmas (antihéros de « Light in August »), symbole non pas tant de l'arrachement à ses racines que de la perte de celles-ci, métisse considéré comme un blanc par les noirs et comme un noir par les blancs. C'est cette même problématique qui frappe (écrase) Knud et transparaît au terme d'un roman danois qui présente bien peu de similitudes avec la littérature scandinave contemporaine... en guise d'ultime pied de nez ?

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