Lunactic Asylum, par Thom
Hervé Bazin m'a toujours posé un problème. J'ai eu l'occasion de rencontrer ce grand écrivain à plusieurs reprises lorsque j'étais enfant, et ces rencontres font partie des choses qui firent naître chez moi une "vocation littéraire". Le problème c'est qu'en lisant ses livres à présent que je suis adulte, je me rends compte que c'est une littérature affreusement traditionnelle que je ne lirais probablement pas s'il ne s'agissait pas de lui. Tout simplement parce que le style de Bazin, je ne le trouve pas fulgurant. Je le trouve... banal ? Disons : classique. Archi-classique même.
Et pourtant, par une étrange magie qu'on pourrait peut-être appeler talent, chaque fois que j'en lis un je retombe dans le panneau et je le dévore d'une traite.
"La Tête contre les murs", c'est l'histoire d'un jeune homme totalement paumé qui fait à peu près toutes les conneries possibles et imaginables, et passera sa vie entre internements et incarcérations.
Le début du livre, avec cet internement, ce passage dans ce qu'on appelle déjà en 49 hôpital psychiatrique qui m'a évoqué bien plus les asiles du siècle précédent, est remarquable. Bien que publié il y a soixante ans le texte n'a pas pris une ride, dans la forme comme dans le fond : tout ça existe toujours. Cette propension de la société à considérer toute personne marginale comme aliénée, c'est encore d'actualité, en France, en 2009. Les cliniques psychiatriques n'ont guère changées depuis l'époque, et l'entrée en matière de l'ouvrage rappelle furieusement le début de "Bye-Bye Blondie" de Virginie Despentes (le hardcore en moins). Le style et l'époque diffèrent bien sûr ; pas les faits en eux-même. Et des extraits comme celui-ci font d'autant plus froid dans le dos qu'on pourrait très bien les entendre prononcer aujourd'hui :
"Arthur Gérane est un de ces garçons abonnés aux fugues, aux coups de têtes et même aux sales coups, un de ces inadaptés qui prennent soit le chemin de l'asile, soit celui de la prison, et n'en sortent que pour y rentrer six mois plus tard [...] ... ses frasques reviennent à intervalles réguliers : fâcheux indice !"
C'est le psychiatre qui parle. Effrayant non ? Effrayante, cette assimilation de l'inadaptation à l'aliénation... Bien sûr, aucun psy ne parlerait de la sorte de nos jours... ce qui ne signifie pas qu'on ne pourrait plus entendre ce genre phrase, comique tant elle est absurde. Ni croiser en clinique des spécimens comme cet antihéros absolu. Oui, la psychiatrie guérit ; mais il y a aussi des gens qu'elle peut détruire et Arthur Gérane est de ceux-là. Interné pour avoir commis l'horrible crime d'être marginal, il en ressort brisé, exactement comme ces prisonniers qui quittent la prison encore plus corrompus que lorsqu'ils y sont entrés (et d'ailleurs à l'époque qu'est-ce qu'un hôpital psychiatrique sinon une prison vaguement médicalisée ?). Personnage d'autant plus étonnant que parfaitement ambivalent : impossible de décider, au terme du roman, s'il est un authentique malade ou juste un petit salopard ordinaire...
Quelque chose cependant manque au livre. Un point de vue. A moins qu'il ne s'agisse d'une multiplication des points de vue ?... bon, ça revient au même finalement : trop de points de vue tuent le point de vue, et ce qui rend Arthur si ambigu rend (par ricochet) le roman un peu dérangeant parfois. Où se situe exactement Bazin ? Au côté d'Arthur ? Ou bien auprès de ses contempteurs ? Au terme du texte on n'est pas vraiment avancé tant l'auteur y a oscillé entre identification troublante et moralisation bien de son temps. De ce point de vue, c'est sans le moindre doute possible le roman le plus abouti et fascinant de Hervé Bazin, moins schématique que sa "Vipère au poing" ou "Le Matrimoine" et moins sentencieux que "Madame Ex". On pourrait même regarder cette indétermination des points de vue comme une rareté : un narrateur non pas omniscient, mais empathe. Après tout pourquoi pas ?
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Hervé Bazin m'a toujours posé un problème. J'ai eu l'occasion de rencontrer ce grand écrivain à plusieurs reprises lorsque j'étais enfant, et ces rencontres font partie des choses qui firent naître chez moi une "vocation littéraire". Le problème c'est qu'en lisant ses livres à présent que je suis adulte, je me rends compte que c'est une littérature affreusement traditionnelle que je ne lirais probablement pas s'il ne s'agissait pas de lui. Tout simplement parce que le style de Bazin, je ne le trouve pas fulgurant. Je le trouve... banal ? Disons : classique. Archi-classique même.
Et pourtant, par une étrange magie qu'on pourrait peut-être appeler talent, chaque fois que j'en lis un je retombe dans le panneau et je le dévore d'une traite.
"La Tête contre les murs", c'est l'histoire d'un jeune homme totalement paumé qui fait à peu près toutes les conneries possibles et imaginables, et passera sa vie entre internements et incarcérations.
Le début du livre, avec cet internement, ce passage dans ce qu'on appelle déjà en 49 hôpital psychiatrique qui m'a évoqué bien plus les asiles du siècle précédent, est remarquable. Bien que publié il y a soixante ans le texte n'a pas pris une ride, dans la forme comme dans le fond : tout ça existe toujours. Cette propension de la société à considérer toute personne marginale comme aliénée, c'est encore d'actualité, en France, en 2009. Les cliniques psychiatriques n'ont guère changées depuis l'époque, et l'entrée en matière de l'ouvrage rappelle furieusement le début de "Bye-Bye Blondie" de Virginie Despentes (le hardcore en moins). Le style et l'époque diffèrent bien sûr ; pas les faits en eux-même. Et des extraits comme celui-ci font d'autant plus froid dans le dos qu'on pourrait très bien les entendre prononcer aujourd'hui :
"Arthur Gérane est un de ces garçons abonnés aux fugues, aux coups de têtes et même aux sales coups, un de ces inadaptés qui prennent soit le chemin de l'asile, soit celui de la prison, et n'en sortent que pour y rentrer six mois plus tard [...] ... ses frasques reviennent à intervalles réguliers : fâcheux indice !"
C'est le psychiatre qui parle. Effrayant non ? Effrayante, cette assimilation de l'inadaptation à l'aliénation... Bien sûr, aucun psy ne parlerait de la sorte de nos jours... ce qui ne signifie pas qu'on ne pourrait plus entendre ce genre phrase, comique tant elle est absurde. Ni croiser en clinique des spécimens comme cet antihéros absolu. Oui, la psychiatrie guérit ; mais il y a aussi des gens qu'elle peut détruire et Arthur Gérane est de ceux-là. Interné pour avoir commis l'horrible crime d'être marginal, il en ressort brisé, exactement comme ces prisonniers qui quittent la prison encore plus corrompus que lorsqu'ils y sont entrés (et d'ailleurs à l'époque qu'est-ce qu'un hôpital psychiatrique sinon une prison vaguement médicalisée ?). Personnage d'autant plus étonnant que parfaitement ambivalent : impossible de décider, au terme du roman, s'il est un authentique malade ou juste un petit salopard ordinaire...
Quelque chose cependant manque au livre. Un point de vue. A moins qu'il ne s'agisse d'une multiplication des points de vue ?... bon, ça revient au même finalement : trop de points de vue tuent le point de vue, et ce qui rend Arthur si ambigu rend (par ricochet) le roman un peu dérangeant parfois. Où se situe exactement Bazin ? Au côté d'Arthur ? Ou bien auprès de ses contempteurs ? Au terme du texte on n'est pas vraiment avancé tant l'auteur y a oscillé entre identification troublante et moralisation bien de son temps. De ce point de vue, c'est sans le moindre doute possible le roman le plus abouti et fascinant de Hervé Bazin, moins schématique que sa "Vipère au poing" ou "Le Matrimoine" et moins sentencieux que "Madame Ex". On pourrait même regarder cette indétermination des points de vue comme une rareté : un narrateur non pas omniscient, mais empathe. Après tout pourquoi pas ?
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