Le Chant profond, par Thom
C’est une histoire simple, lente, presque statique. Celle de Lin, femme ordinaire ou presque, mère de famille, amie fidèle, et danseuse de renom. Une femme comme les autres dont la vie semble aller pour le mieux : l’amour, le bonheur familial, l’aisance matérielle. Un mari qui l’aime et la désire – et inversement. Bref le verni parfait de la famille idéale, qui pourtant craque lentement au fil des pages. Tout semble aller à la perfection et pourtant rien ne va, ou alors de travers. Pourquoi ? Celui qui cherche des réponses risque de détester ce livre qui fait vaciller les certitudes ; tout le moins de s’y perdre, de se noyer dans cette prose ravagée et sinueuse. Bien sûr il y a du post-partum là-dessous, de la dépression sans doute. L’expression chaotique d’une solitude indicible, la création progressive d’une vie parallèle (famille d’un côté, métier-passion de l’autre). Mais il y a d’autre choses, d’autres émotions pour lesquelles il n’existe aucun mot.
Alors, Nancy Huston décrit des gestes. Glisse du sens là où il ne devrait pas y en avoir. Crée le décalage :
« Tu as l’air tellement épanouie, dit Rachel au bout d’un moment.
- Oui, je sais, dit Lin. Ca m’inquiète.
- Ah. Ca m’aurait inquiétée que ça ne t’inquiète pas.
- Oh, Rachel ! Je me sens tellement bien, c’est terrifiant.
- Ecoute, tu as toute ma sympathie […] Allez, on peut toujours être amies, tu sais. Même si tu es heureuse. »
Dans sa construction, « La Virevolte » est un roman beaucoup plus « normal », romanesque au sens traditionnel du terme, que d’autres de la même auteure. Mais il n’en est pas moins complexe, sulfureux et hanté ; tout en atmosphères, sensations, suggestions. Et ainsi Nancy Huston touche t’elle à ce qu’il ne faut pas dire, ce que tout le monde sait mais que personne ne formule : être parent, c’est d’une manière ou d’une autre amputer une partie de sa vie. Le sens des responsabilités qui se dégage de cette fonction induit une part, plus ou moins importante selon les gens, d’oubli de soi – soit donc de renoncement. Part que Lin finit par rejeter dans une seconde partie qui gagne en émotion ce qu’elle perd en acuité. Non pas tant parce que l’attitude de la jeune femme est réprouvée tant par la société que par la morale… que parce que ce faisant, cette dernière devient une héroïne romantique de base ; à savoir une fascinante égomaniaque qui, en quête d’un Absolu absolument inaccessible, finit par faire ce qu’aucun de nous n’oserait faire dans la vie courante – pour comme de juste s’y brûler les ailes.
Dans son dernier quart, donc, le roman se fait moins fort car plus prévisible, moins singulier. Et pour autant il demeure touchant. Parce que sublimement écrit. Et aussi parce que, dans le fond, les héroïnes romantiques sont toujours un peu nous.
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J'aime beaucoup Nancy Huston et sa prose. Je me laisserai bien tenter par celui-ci...
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup moi aussi. J'ai d'ailleurs "Une adoration" sur ma PAL, dont tu avais posté une critique.
RépondreSupprimerJ'avais beaucoup aimé Lignes de faille, pourtant j'ai trouvé La virevolte profondément ennuyeux. Evidemment, la plume de Huston est belle mais l'histoire m'a semblé très creuse, pour ne pas dire inexistante. Bref, je n'ai pas du tout accroché à ce roman qui est pourtant considéré comme l'un des meilleurs de cette auteure.
RépondreSupprimerJ'ignorais qu'on le considérât comme un des "classiques" de Huston... je suis même assez surpris de l'apprendre.
RépondreSupprimerCertes, ma lecture remonte (cette critique est une "archive"), mais je l'ai trouvé quand même bien faible au regard de Lignes de faille ou des Variations Goldberg, ouvrages bien plus forts et mémorables...
j'aime beaucoup cet auteur, ce roman est difficile, dur, bouleversant, enfin pour la mère que je suis en tous cas!
RépondreSupprimerUn livre qu'on n'oublie pas!
Ce livre est absolument sublime, on assiste à l'aliénation du corps et de l'esprit à cause de sa vie de mère et d'épouse, ce corps et cet esprit qu'elle retrouve grâce à la danse ...
RépondreSupprimerMagnifique !