mercredi 3 décembre 2008

Edgar Poe et le roman policier


Dupin et des jeux
, par Zaph


Le pauvre Poe, père du roman policier ?

A ceux qui me répondront qu'il ne s'agit là que d'un mauvais jeu de mot pour latinistes attardés, ou au mieux, d'une préoccupation de bachelier en lettres ou de fan inconditionnel de l'auteur, je ne pourrai que donner raison.
N'est-ce pas finalement la qualité absolue d'un texte qui doit nous préoccuper, plutôt que sa place relative dans l'histoire littéraire ou les querelles d'écoles ?

Pourtant, quand on sait que la production de Poe ne peut s'appuyer sur aucun des dinosaures du roman policier que sont Conan Doyle, Maurice Leblanc, Agatha Christie, Georges Simenon, Raymond Chandler, et tant d'autres, cela ne peut que placer son oeuvre sous un éclairage particulier.

De la même manière, que Poe ne soit pas parti de rien est une évidence. Il paraît qu'il aurait lu et relu les "Mémoires de Vidocq", ainsi que Charles Dickens, qui se serait lui-même inspiré de ces dernières pour "Great expectations".

Mais qu'importe. Le fait est qu'en trois courtes nouvelles, de manière presque inaperçue, Edgar Poe va cristalliser un genre dont on sait le succès colossal qu'il connaîtra par la suite.
Ces trois nouvelles légendaires sont celles où apparaît le personnage du Chevalier Auguste Dupin.

Dans la première de ces histoires, "Murders in the Rue Morgue" ("Double assassinat dans la rue Morgue", qui se trouve dans le volume "Histoires extraordinaires"), Poe introduit un schéma qui sera repris mainte fois dans des "mystery novels" ou dans des films : le problème du crime dans une pièce fermée. L'apparente impossibilité des faits met la police en échec, et ce n'est que par une lecture de ces faits sous un angle bien particulier, et en remarquant des indices précédemment négligés que Dupin arrive à la solution. Ce qui est très important dans cette nouvelle, c'est la manière de tout baser sur l'observation et les déductions, une approche qui va dominer le roman policier pendant de nombreuses années, jusqu'à ce qu'elle soit bouleversée par l'émergence du roman noir.

"The Purloined Letter" ("La lettre volée", troisième histoire par ordre de publication, traduite par Baudelaire dans le volume "Histoires extraordinaires") introduit un autre grand thème classique : le document volé, dont la récupération assurera la sureté d'une personne haut placée. Ici aussi, il y a des indices négligés, mais vous verrez en lisant que c'est pour une toute autre raison. Le point vraiment important de cette nouvelle, est que le détective prend en compte la psychologie des personnes impliquées dans l'affaire pour en déduire un schéma de comportement.

"The Mystery of Marie Roget" ("Le mystère de Marie Roget", seconde nouvelle publiée, mais traduite par Baudelaire dans le volume "Histoires grotesques et sérieuses"), est un peu différente des deux autres, et certainement moins agréable à lire, mais néanmoins très intéressante, parce qu'elle est la transposition à peine voilée d'un fait réel. Il est intéressant de remarquer qu'on verra plus tard d'autres auteurs de polars avoir une telle confiance en leur maîtrise des énigmes qu'ils s'essayeront eux aussi à la résolution de cas réels.
Cette nouvelle ressemble principalement à un amoncellement de faits et d'articles de journaux que l'enquêteur s'évertue à débrouiller. C'est aussi principalement un discours sur le cheminement de l'enquête, ce qui la rend un peu faible littérairement.
Sa fin en queue de poisson s'explique par le fait que l'affaire était en cours de jugement lors de la publication de la nouvelle.

On peut arguer que Poe a peu écrit en quantité, mais quand on voit l'influence que ces trois courtes nouvelles ainsi que les schémas neufs qu'elles développent auront sur des décennies de littérature policière, c'est proprement ahurissant.

L'influence la plus directe et la plus marquante est bien entendu celle sur Arthur Conan Doyle.
Comme beaucoup de gamins, j'ai découvert les aventures de Sherlock Holmes bien avant celles d'Auguste Dupin, et comme beaucoup, j'ai été sidéré par la filiation directe (pour ne pas dire plus).

Holmes est la copie conforme de Dupin, si ce n'est qu'il est encore un peu plus déjanté. Tous deux sont des personnages cultivés, baroques, secrets, excentriques, préférant la réflexion à l'action directe, se méfiant des sentiments, mais susceptibles de sombrer dans la mélancolie.
Leurs images se superposent presque lorsqu'ils passent de longues minutes à réfléchir en fumant la pipe silencieusement.
La force de ces deux héros stéréotypés est qu'ils trouvent une contrepartie dans un narrateur naïf et pétri de bon sens, à qui chacun peut s'identifier (vous aurez compris que le narrateur anonyme de Poe fait pendant au Dr Watson de Doyle).
Le fait est que sans le savoir, Poe a créé un archétype de détective.


Personnellement, toutefois, je ne pense pas que Poe ait eu conscience de créer un genre, et d'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il l'ait réellement fait.
Bien sûr, il y a une énigme, et un crime à résoudre, mais je ne crois pas que ce soit là ce qui a motivé l'auteur. Pour lui, c'est avant tout le caractère étrange et horrible de ces histoires qu'il veut mettre en avant, comme dans n'importe quelle nouvelle de la veine gothique. D'ailleurs, si on creuse vraiment les raisonnements de Dupin, on ne manque pas d'y discerner des failles, bien plus que dans ceux de Holmes, par exemple ; ce qui prouve bien que le raisonnement policier en soi n'est pas le centre d'intérêt principal.

Je dirais même que les nouvelles "policières" de Poe sont plutôt moins bonnes que d'autres. Mais elles insistent sur un aspect de l'horreur qui est aussi présent dans la plupart des autres nouvelles : c'est la confrontation de l'intelligence avec l'irrationnel comme source d'horreur.
Ma conviction profonde, c'est que Poe vivait dans la hantise d'être submergé par l'angoisse et l'irrationnel, et que le seul garde fou pour l'en protéger était le raisonnement rationnel. Qui n'a pas observé cette tentative désespérée de s'accrocher au rationnel chez des personnes sujettes à l'angoisse ?
Poe avait peur de "basculer", et Dupin, son alter ego, est la preuve rassurante que l'intellect peut venir à bout de l'angoisse.

Pour moi, ces nouvelles ont donc un objet autre que purement littéraire, et c'est peut-être ce qui les rend imparfaites, même si elles ont eu un destin incroyable et certainement mérité.
J'aimerais franchement avoir votre avis : si on compare les deux premières nouvelles avec celle qui les suit immédiatement dans la traduction de Baudelaire (et d'ailleurs elle fut écrite dans la foulée), à savoir "Le scarabée d'or". Ici aussi, il y a un mystère à résoudre, bien qu'il n'y ait pas de crime, et on retrouve de nombreux points communs dans la structure des récits. Personnellement, je la trouve artistiquement bien plus réussie.

Poe n'est pas revenu au genre "nouvelle policière" par la suite, mais les bases étaient jetées, et son illustre successeur, Conan Doyle s'empressera de reprendre le flambeau, avec le brio que l'on sait.

Lire la bio maison d'Edgar Allan Poe

9 commentaires:

  1. Je viens de terminer les trois. Et j'ai en effet eu l'image de Sherlock tout le long de la lecture des deux premières nouvelles - celui de la série. C'en était presque gênant. Mais pour ce qui est du gothique et de l'opposition de la raison à l'irrationnel, je ne sais pas. Déjà, la deuxième nouvelle n'est pas gothique, de mon point de vue et le scarabée doré l'est à peine. Les prochaines nouvelles qui quittent le genre policier s'enfonceront totalement dans le style, mais là, on y perd la raison...

    Pour moi il est évident que Poe met en évidence la raison, et surtout la capacité d'analyse, introduisant longuement ses nouvelles par de petits plaidoyers pseudo-scientifiques mais il insiste beaucoup sur ce que ces capacités d'analyse des personnages sont si extraordinaires qu'elles frisent l'anormalité, voire la folie. Et si les évènements horribles et irrationnels de la rue Morgue ont besoin d'un pendant, c'est une capacité toute aussi fantastique de raisonnement, qui se cultive dans des conditions des plus excentriques: amour de la nuit, isolation. Intéressant et certainement matière à réflexion.

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  2. En somme, l'excès de rationnel rejoint l'irrationnel !
    Oui, pourquoi pas :)

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  3. Et la chanson d'Iron Maiden sur la Rue Morgue tu en fais quoi ? A quand "Edgar Poe et le Heavy Metal" ? ;-)

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  4. Bonne idée ! :-D

    En fait, je ne connaissais pas la chanson, mais en cherchant une image pour l'article, je suis effectivement tombé sur le disque (que je n'ai pas encore écouté ;-)
    (Et je n'ai pas vu le film non plus)

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  5. ;-)

    "Killers" (1981) est un des grands classiques du groupe. Et pour la chanson, elle est là : http://www.deezer.com/track/44754 . Très typée, et en même temps ça n'a pas trop vieilli...

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  6. Wouais, c'est plutôt sympa comme morceau, ça balance bien, c'est du hard gentil (pas vraiment ma tasse de thé quand-même :)

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  7. J'ai fini les 3 nouvelles avec Dupin ainsi que Le scarabée d'or et j'avoue ne pas avoir été conquise par Dupin, même si on y reconnait la future filiation ( Holmes, Rouletabille et bien d'autres). Le scarabée d'or m'a beaucoup plus plu même si je l'ai entamé sans beacoup d'entrain ( je venais de terminer Le mystère de Marie Roget qui m'a franchement ennuyée).

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  8. Oui, le personnage du scarabée d'or est plus sympathique dans son excentricité. Moi je suis aussi contente d'avoir compris ce qui, la première fois que je l'avais lu (en anglais) avait été d'une obscurité totale.

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  9. qdyqtuqudddddddqqqqdcqetuzdqdcukq

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