vendredi 26 décembre 2008

Céline

"La Haine, ça enrichit la lucidité et ça ne fait pas grossir." par Thom

Telle était la devise de Céline, le plus sulfureux du désormais fameux club des sulfureux. Le mec pour qui on a inventé le mot sulfureux . Céline a beaucoup d'immitateurs, mais aucun n'a jamais pu l'égaler. Parce que Céline n'était pas sulfureux par pose. Sa simple existence était sulfureuse, il était l'incarnation du terme sulfureux. Son troisième prénom, après Louis et Ferdinand, était d'ailleurs probablement Sulfure.

Plus sérieusement :

Céline fait partie de ces auteurs dont le mythe a depuis longtemps dépassé l'oeuvre. Tout le monde connaît son nom. Ceux qui ont lu autre chose de lui que "Voyage au bout de la Nuit" sont en revanche nettement moins nombreux.
Le gros problème de Céline, c'est que son mythe pue, alors que pour les autres écrivains de son statut, le mythe est vachement flatteur, genre enfance difficile, héros romantique et tout le bazard. Céline a probablement eu une enfance infiniment plus difficile que tout ces petits rigolos, mais il a eu la pudeur de ne pas nous casser les couilles avec. Alors réglons le problème de Céline-le-méchant-collabo-antisémite vite fait bien, car trop d'idées reçues et de contre-vérités circulent à propos de cet auteur. Oui, Céline a écrit des pamphlets antisémites. Mais contrairement à ce qu'on raconte souvent, il ne les a pas écrit sous l'occupation, mais bien avant, à une époque où il n'était qu'un antisémite au milieu de plein d'autres antisémites. Je ne dis pas que c'est bien, simplement que c'est hors de propos. J'irai même jusqu'à dire que si ces textes avaient été écrit ne fût-ce que quinze ans plus tôt, on n'en parlerait jamais. Voltaire a écrit des trucs encore pires que "Bagatelle pour un massacre", pour autant on ne lui en tient pas rigueur. Surtout, ces textes avaient des objectifs bien moins "nobles" qu'on l'a cru. En réalité, tout est parti de "Mort à crédit", second roman qui fit un bide colossal à sa sortie et fut massacré par la critique. Alors, Céline a l'idée de rédiger un premier pamphlet (antisoviétique, lui), "Mea Culpa", juste comme ça, pour voir, parce que c'est dans l'air du temps. Le succès sera tel que Céline va ensuite tomber dans le piège de la surenchère - pour le résultat que l'on sait.

Je trouvais néanmoins important de préciser qu'au départ, ces textes étaient bien plus motivés par l'opportunisme (exactement comme pour Voltaire, justement) que par des convictions profondes. Céline a juste donné aux gens ce qu'ils voulaient et, sans pour autant le dédouaner, il est bon de rappeler qu'à sa sortie, "L'Ecole des cadavres" fut un énorme succès de librairie.

Du reste, sans chercher à excuser des choses inexcusables, Céline, qu'on compare souvent à Proust (j'ai jamais vraiment su pourquoi ), en était fait l'inverse absolu : Céline est né pauvre, a croupi dans la misère durant la première partie de sa vie, et venait d'une famille presque entièrement analphabète. Il est de ce point de vue un modèle d'écrivain autodidacte. Céline a combattu pendant la première guerre mondiale, a cotoyé l'horreur de très près, et avant d'être collaborateur, il était surtout pacifiste. Cet aspect de son oeuvre et de sa vie, on en parle beaucoup moins. Pourtant, Céline, exactement à l'image du gouvernement français de 1938, voulait à tout prix éviter la guerre avec Allemagne. Il n'avait d'ailleurs pas hésité, à l'époque, à prendre publiquement position contre cette guerre...mais, comme souvent, les pacifistes ont eu tort cette fois-ci .

Ensuite, évidemment, rien ne forçait Céline à collaborer. Mais très franchement, sa collaboration a pris, dans l'histoire de la littérature, une ampleur très supérieure à ce qu'elle a été en réalité.

Céline, en effet, est parvenu à faire encore plus fort que n'importe qui durant la guerre : il s'est foutu à dos ET les résistants ET Vichy . Les premiers pour cause d'antisémitisme, les seconds parce qu'il préconisait la libéralisation de la société et la réduction du temps de travail. Du coup, contrairement à ce qu'on raconte, Céline n'aura jamais été dans les petits papiers de Vichy. Bien au contraire : "Les beaux draps" sera interdit par ce gouvernement d'occupatio, et on lui refusera le droit d'exercer son métier (à savoir médecin). Autant l'accusation d'antisémitisme est difficile à nier, autant celle de collaboration est pour sa part totalement fausse et basée sur des ragots. Céline n'a jamais assisté le gouvernement en place, il n'a jamais dénoncé qui que ce soit, il s'est contenté de faire comme une grande majorité de français : il a été lâche. Collabo par lâcheté et pas spécialement par conviction. Son seul fait de collaboration avéré - et encore - c'est sa fuite à la libération. Motivée, une fois encore, par la lacheté.
Il n'en demeure pas moins que lorsque les tribunaux internationaux demanderont quelques années plus tard à la France de formuler un chef d'inculpation contre lui, elle en sera bien incapable. De même qu'elle sera incapable d'obtenir son extradition du Danemark, puisque n'ayant aucun fait concret à lui reprocher hormis quelques textes antisémites sortis quinze ans plus tôt. Au final, Céline vivra sept ans en exil pour rien ou presque. On ne s'en plaindra pas, puisque cela lui aura permis de rédiger le chef d'oeuvre "Guignol's Band", récit tragi-comique de sa vie en Angleterre, puis des oeuvres moins connues mais passionnantes, comme "Nord" ou "D'un château à l'autre", qui parlent de la suite de son exil - en Allemagne puis au Danemark (donc).

Amnistié en 1951, Céline n'écrira plus grand chose durant les dix dernières années de sa vie. Il faut dire qu'il en a écrit largement assez le reste du temps. Entre l'inévitable "Voyage au bout de la Nuit" (qui, on a tendance à l'oublier, s'ouvre sur une diathrybe antimilitariste et antifasciste !) et "Mort à crédit", sans parler d'oeuvres posthumes du calibre du "Pont de Londres", il y a de quoi lire jusqu'à la fin de nos jours. Et apprécier un stye qui, tout de même, bien au-delà du reste, a fait école.

A l'instar de D.H. Lawrence pour la langue anglaise, Céline a en effet libéré la langue française. En introduisant le langage parlé dans la littérature, non plus par le biais de personnages comme dans les grands classiques mais par le biais de ses narrateurs, le méchant antisémite a tout simplement révolutionné le roman, au point qu'aujourd'hui les trois quarts des auteurs français ne sont que des sous-Céline sans envergure. J'irai même plus loin : il n'y a tout simplement plus un seul auteur de langue française, aujourd'hui, qui n'ait été influencé d'une manière ou d'une autre par Céline. Parfois, c'est par le truchement d'un de ses héritiers, mais au final, cela revient au même. Céline, c'est un peu les Beatles : après eux, n'importe qui voulant jouer de la musique "pop" a fatalement puisé des choses chez eux - souvent de manière totalement inconsciente. Pareil pour Ferdinand ! Son emprunte est tout simplement indélébile, et son influence a largement dépassé le cadre de la France, marquant de son sceau les plus grands, et le voilà qui se retrouve étudié dans les lycées et les universités (shocking ! ). Personne n'a jamais vraiment percé le secret de ce langage unique en son genre, de sa profondeur et de sa sombre poésie. Mais beaucoup ont essayé de l'immiter !

En attendant, je mets au défi ses détracteurs de trouver une seule ligne antisémite dans ses romans. On peut s'amuser à faire un jeu comme ça, s'il y a des candidats...

(je m'en fous, je les connais par coeur donc je sais déjà que je vais gagner)

...les conneries et les thèses fumeuses, c'étaient dans les pamphlets. Dans les romans, il y a juste de la simplicité, de la force, de l'humour, de la colère, de la tristesse parfois...bref de l'humanité - et donc de la beauté.

"Au commencement était l'émotion"

...a t'il aussi écrit.

(mais bizarrement cette citation là, tout le monde l'a oubliée)

6 commentaires:

  1. Chapeau bas! Les portraits maison sont vraiment une de mes rubriques préférées!!!

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  2. Bravo pour ce joli portrait, qui confirme les impressions que j'avais sur cet auteur. Quand j'ai lu "Voyage au bout de la nuit" (le seul roman de Céline lu jusqu'à présent), beaucoup de mes camarades de l'époque avaient perçus, notamment lors de voyage en bateau, des scènes antisémites, que je n'avais pas interprêtées ainsi. Je pense qu'ils avaient dans l'idée de lire le roman d'un auteur qui a écrit des textes antisémites, et que cela suinte donc dans toutes ses oeuvres, ce qui m'a paru faux pour le Voyage... Mais si tu dis que ce n'est pas le cas non plus pour ses autres romans, je suis conforté dans mon impression !
    Encore bravo pour ce beau portrait !

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  3. Je n'ai pas encore lu Céline, mais ce vibrant hommage m'en rapproche. Je finirai bien pas y succomber. (Proust, c'est fait.Bien aimé.)Mais je me disais en te lisant, en particulier au moment de la comparaison avec Voltaire, que c'est une idée décidément bien encombrante, et bien contemporaine, de confondre l'homme, l'auteur et son oeuvre. On est pollué par ça au point de croire que l'auteur d'un très bon livre se doit, ne saurait être, qu'un homme très bien ayant forcément des choses très intéressantes à dire sur chaque faux pas de la marche du monde et le cours du baril de pétrole... Du coup, je suis très intéressé par cette figure d'écrivain qui m'apparait un peu comme l'avocat du diable d'un procès, dont la littérature serait finalement accusée, puis condamnée à la peine incompressible du politiquement correcte. Oui, vraiment, ce martyre d'une cause qu'il ne défend pas me plait bien.

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  4. bonjour je dois faire un commentaire littéraire sur Louis-Ferdinand Céline pouvez-vous m'aidez svp car je n'y arriva pa.Le texte est:Tout de suite au revers de ces Docks y a le grand

    courant d'air qui s'engouffre, qu'arrive en trombe

    des hautes verdures du val à Greenwich...le grand

    tour du fleuve...Les bouffées de la mer...de

    l'estuaire là-bas d'aurore pâle...après Barking...

    étendu juste dessous les nuages...où les vagues

    brisent contre les digues,mouillent,s'affalent,pâment,

    au limon...Le flot jusant.



    Tout dépend du genre que l'on aime!...je vous

    le dis sans prétention!...Le ciel...L'eau grise...les

    rives mauves...tout est caresses...et l'un dans l'autre,

    ne se commande... doucement entraînés à ronde, à

    lentes voltes et tourbillons, vous vous charmez toujours

    plus loin vers d'autres songes...tout à périr à beaux secrets,

    vers d'autres mondes qui s'apprêtent en voiles et brumes à

    grands dessins pâles et flous,parmi les mousses à la chuchote...

    Me suivez vous?



    Au courant plus loin vers Kindall, l'on aperçoit les

    "barges"en peine,cotres et dundees largués auprès,lourdes

    à erser...Tout le jardinage du matin,tout le cargo des"périssables"

    carottes,pommes,choux-fleurs,jusqu'au vergues, rusant a vent,luttant

    en bordées vers la ville,cap aux ménagères!...Point grand trafic en ce moment,

    hors les agrumes,à pleines péniches, la marée d'aval vers sept heures!...

    le flot jusqu'aux arches,jusqu'au cheval du Pont-Major lorsque le tablier soulage,

    enlève,ferraille,brise en deux!...que la Malle d'Australie s'engage à haute et lente majesté,

    pavanante au fleuve,sa noire étrave tranchant au fil à vif l'écume, sa traîne à mille vagues

    fripante,cascadante au loin,froissante aux cailloux...


    VOILA MERCII D'AVANCE A BIENTOT. CORDIALEMENT

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  5. Ils sont sadiques, ces profs, quand-même ! ;-D

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  6. oui peux-être:) mais bon je n'ai toujours pa d'idée pour mon commentaire et je dois le rendre lundi! quelqu'un pourait maider?

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