mercredi 8 octobre 2008

"Samedi" - Ian McEwan

Le jour le plus long, par Thom


Comme son titre le laisse supposer, ce roman de Ian McEwan se déroule le temps d'un samedi presqu'ordinaire. Je veux dire par-là qu'en fait, c'est un samedi totalement normal durant la grande majorité du texte. A ceci près que de temps en temps, un élément totalement angoissant apparaît furtivement puis disparaît tout aussi vite. Un mot, une phrase totalement décalée par rapport au reste de son paragraphe…plein de petits détails qui ne sautent pas forcément aux yeux mais laissent une impression désagréable au lecteur…

Pourtant tout commence de la manière plus ordinaire qui soit : Henry Perowne, personnage central et réceptacle des angoisses de l'auteur, mène peinard une petite vie bourgeoise et sans anicroche. Sa vie se détraque, mais progressivement, par petites touches subtiles : ici une discussion houleuse avec un proche, là cet avion en feu qu'il aperçoit filant droit vers Heathrow au milieu de la nuit, là encore une défaite cuisante au squash…et tout autour un contexte politique étouffant : angoisse du terrorisme (le roman a pourtant été composé avant les attentats de Londres, c'est dire son impact), menace de guerre imminente en Irak figurée par ces manifestations pacifistes auxquelles participe le fils de Henry…


L'intrigue ne va en réalité pas beaucoup plus loin, car l'intrigue n'existe pas. Ou peu. Le suspens, en revanche, est partout, ce qui a de quoi surprendre : comment un roman aussi statique peut-il contenir une telle charge en adrénaline ? une telle tension ?! un roman où il ne passe quasiment rien mis à part un empilement de détails successifs ? Tout cela semble tenir dans l'écriture de McEwan, que ses lecteurs connaissent déjà et qui n'a sans doute jamais été aussi bien exploitée : phrases longues et tortueuses qu'on a fait rentrer au forceps dans des paragraphes tassés, style principalement descriptif, discours la plupart du temps rapporté (comme un écho ?)…une telle équation garantissait en soi un climat terriblement lourd, parfois à la limite du supportable.

Ian McEwan a réussi à faire encore mieux : il a bâti un roman totalement poisseux, effrayant – de loin son plus noir. Et est parvenu à démontrer avec presque rien (dix évènements et 300 pages) à quel point l'univers environnant, qu'il soit social, politique ou culturel, détient une influence déterminante sur notre sphère intime.

Après une lecture si brillante et si secouante, il est probable que plus personne n'ose nier ce que beaucoup pensent depuis déjà longtemps : Ian McEwan est sans aucun doute le plus grand écrivain anglais vivant.



Après ça, vous aimerez les Lundi, par Zaph

J'avoue que j'étais bien parti pour le descendre, ce bouquin.
A la moitié du livre, j'avais déjà une bonne idée de comment j'allais débuter mon billet, quelque chose dans ce genre :
Pendant cinquante pages, McEwan installe l'ambiance en nous décrivant dans les moindres détails faits, gestes et pensées de son personnage principal. L'action va pouvoir commencer... Après cent pages, cependant, il ne s'est toujours rien passé, mais on se dit que là, c'est pour bientôt. Mais après deux-cent pages, toujours rien, on en vient à se demander s'il va réellement se passer un truc dans ce bouquin. Après trois cent pages, le roman s'achève, et on a la réponse : il ne s'est strictement rien passé.

Sauf que zut, à un certain moment, mais bien après le milieu du livre quand-même, il se passe quelque chose. Oh rien de démentiel, mais quand même un évènement qui m'a fait raturer tout ce que j'avais déjà écrit (en pensée) et recommencer depuis le début.

Recommençons donc.

J'ai commencé ce livre en avion. Et franchement, c'est pas trop recommandé, parce que le héros voit passer un avion en feu dans le ciel de Londres, puis se lance dans une réflexion très juste sur le fait que les passagers ont toujours l'air confiant et détendu, mais qu'en réalité, aucun ne peut supporter l'idée de n'être séparé de milliers de mètres de vide que par une mince cloison de plastique et de métal. Tout le monde se berce de l'illusion que le transport aérien est sûr, et chaque passager se dit qu'il ne va pas se mettre à paniquer alors que tous les autres sont plongés calmement dans leur journal, mais justement, le problème est bien que chacun se dit ça. A ce moment, j'ai trouvé que le train d'atterrissage faisait un drôle de bruit en remontant, et que d'ailleurs, l'angle de l'avion était inhabituel, et j'ai bien failli paniquer. Par la faute de Ian McEwan. Après tout, il mériterait bien que je déchire son bouquin.

Sauf que, après un début très lent donc, j'ai quand-même été capturé -si pas captivé, par l'histoire. En fait, j'ai l'impression que McEwan possède son King sur le bout des doigts. Oh, il n'y a rien de fantastique dans ce livre, mais un rythme lent, l'installation d'une ambiance par accumulation d'informations avec ça et là un détails inquiétant ; il sait s'y prendre pour nous enfermer dans l'histoire et faire monter la tension peu à peu.

En plus, le héros est un personnage désespérément banal, un peu comme vous (peut-être) et moi (certainement). Il s'intéresse surtout à son métier, à sa partie de squash dominicale, aux préparatifs de la guerre en Irak, à la réussite de ses enfants ; il aime sa femme et est content de sa voiture.
Bref, un personnage auquel on a un peu honte de s'identifier, mais avec lequel on est bien obligé quand-même de reconnaître un nombre effrayant de points communs.

Maintenant, la question est de savoir si ce réalisme, ce souci du détail et de la documentation, cette vraisemblance parfaite qui fait qu'on y croit à fond, suffisent à faire une oeuvre géniale. Et là j'ai comme un doute.
Je dirais que l'histoire racontée par McEwan est extrêmement "présente" au lecteur. Mais si on compare à de grands écrivains qui eux aussi racontent des choses quotidiennes, en apparence banales, je trouve qu'on cherche en vain cette force et cette poésie, ce quelque chose de plus que la réalité, justement.

Chez McEwan, on frissonne en pensant que le même samedi pourrait nous arriver. Chez Bukowski (par exemple), on frissonne parce qu'il nous fait voir quelque chose du réel que nous n'avions jamais perçu.
Voilà qui est très subjectif, assurément, et si je n'ai pas été complètement emballé, je ne peux pas nier que McEwan écrit très bien (même lu en traduction française). Je m'en vais donc lire un autre livre de cet auteur.

2 commentaires:

  1. Zaph, je viens de rédiger le brouillon de ma critique de "L'enfant volé", et j'ai le sentiment que ce cher Ian nous fait exactement le même effet..

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  2. Hmmm, livre différent, même sentiment...
    je vais en lire un autre, on va bien voir :)

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