Un grand cadeau, par Zaph
Je passe l'autre jour devant la bouquinerie Oxfam, et mon regard est attiré par un nom en vitrine : Annie Ernaux.
Or, quelqu'un que je ne citerai pas parce qu'il n'aime pas être cité à tout bout de champ a un jour commencé un article sur la dame en disant : "C'est une lapalissade que de dire qu'Annie Ernaux compte parmi les plus grands écrivains vivants, tous genres et nationalités confondues. Chacun de ses livres est un événement doublé d'un succès et critique et public".
Ah ! Lapalissade ou pas, après un début comme ça, j'avais vraiment trop honte d'avouer que non seulement je n'avais jamais lu Annie Ernaux, mais qu'en plus son nom ne me disait absolument rien, malgré son soi-disant succès public.
Donc, j'entre dans le magasin. La vendeuse est contente : elle vient de placer le livre en vitrine il y a cinq minutes et ça lui fait plaisir qu'il soit déjà vendu. Elle se dit qu'elle a fait un choix judicieux.
Elle me demande "Vous connaissez Annie Ernaux ???", et on entend vraiment les trois points d'interrogation à la fin de sa question, ce qui d'une certaine manière, me rassure, car au moins, je ne suis probablement pas le seul inculte total à ne pas connaître cette grande artiste.
Je réponds "Euh, oui, enfin, j'en ai entendu parler".
- C'est à cause du film ?
- Quel film ?
- Oui, il paraît qu'ils (elle ne précise pas qui sont "ils") sont en train de tourner un film sur sa vie, en partie basé sur ce livre.
- Ah ? Non, je ne savais pas. Quelqu'un que je connais (je ne précise pas qui, car il n'aime pas être cité trop souvent) en a dit beaucoup de bien, alors, je suis curieux de voir...
J'ai vu. Et je ne sais pas trop quoi dire de ce petit livre tout fin et très particulier.
Annie Ernaux y raconte son père.
"Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance venue à l'adolescence entre lui et moi. Une distance de classe, mais particulière, qui n'a pas de nom. Comme de l'amour séparé."
A peine plus de cent pages pour raconter une vie ! Est-ce que c'est si peu de chose, une vie ? Oui et non. Je viens de comprendre ce que c'est de raconter "en creux". On dessine quelques traits, et on laisse deviner tout ce qu'il y a entre eux. Ca demande une grande qualité d'écriture, évidemment. C'est peut-être bien ce qu'il y a de plus difficile à faire.
Mais cette écriture est en parfaite symbiose avec le sujet, parce que l'incommunicabilité est au centre de la relation entre Annie et son père. Il y a de l'amour, mais énormément de non-dit. En fait, presque tout est non-dit.
C'est peut-être ça qu'Annie essaie de rattraper. C'est un grand cadeau qu'elle fait à la mémoire de son père, qu'elle se fait à elle-même, et qu'elle nous fait aussi, parce que nous sommes sans doute très nombreux à avoir vécu des choses parallèles. Mais rares sont ceux qui ont la force d'écriture de l'auteure, pour arriver à leur donner corps, à laisser une trace de l'indicible.
"Bientôt, je n'aurai plus rien à écrire. Je voudrais retarder les dernières pages, qu'elles soient toujours devant moi."
Moi aussi, je quitte le livre comme à regret.
J'ai lu ce livre le mois dernier. C'est un parfait cadeaux pour un père, c'est sûr! En plus le livre est très bien écrit et la lecture est agréable. Néanmoins l'histoire en soi je ne la trouve pas très intéressante, pas très spéciale, mais sur le plan historique il est assez fascinant je crois pour des lecteurs qui ne connaissent pas l'époque et la classe sociale dans lequelles les parents de Annie Ernaux ont vecus et dont le livre nous donne une très bonne image.
RépondreSupprimerJ'ai vraiment eu un sentiment très poignant en lisant ce livre. Comme le sit revejeanne, l'histoire est assez banale, mais l'une des forces d'Annie Ernaux est de rendre ce moment singulier universel.
RépondreSupprimerRavi de voir que le monsieur-qui-n'aime-pas-etre-cité-trop-souvent ait contribué à faire un nouvel adepte !
Oui, cette distance qui s'installe malgré tout entre deux êtres qui pourtant se voudraient proches, je crois que ça a quelque chose d'universel, même au delà du contexte social (qui d'ailleurs, c'est vrai, est fascinant).
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