vendredi 3 octobre 2008

"Les enchanteurs" - Romain Gary

La magie du faux-semblant, pour survivre à la réalité, par MbuTséTséFly


Depuis longtemps, je lorgnais du côté de ce livre à la couverture neutre des éditions Gallimard. Rien dans la couverture qui puisse attirer mon attention, en dehors du fait que tâchée, vieille, elle présente ce petit côté vieux livre usé dont je rêve d’en posséder un jour une bibliothèque entière. Mais il n’y avait pas besoin de couverture tape à l’œil pour ce livre là. Le titre suffisait à faire rêver : les enchanteurs. Voilà un titre plein de promesses, qui laisse à l’imagination carte blanche et du coup, j’attendais beaucoup de ce roman.

C’est peut-être là la raison pour laquelle j’ai attendu si longtemps pour le lire : avec un titre pareil, l’attente devenait si vaste que le roman ne pouvait que décevoir. Et comble de frustration, pas de 4ème de couverture pour venir limiter un peu les fantasmes que le titre engendre. Je me suis donc contentée, pendant plusieurs années, de lorgner sans toucher, de toucher sans ouvrir puis d’ouvrir sans lire. Et puis, en panne de lecture dans mon Extrême Orient aux frustrantes librairies géantes mais pauvre en littérature étrangère, j’ai pensé à me le faire envoyer, mais n’ai commencé à le lire que quelques romans après son arrivée. Décidément, j’en avais presque peur.

Du coup, on peut dire que j’étais mal partie pour l’apprécier. Et je dois dire qu’au début, j’ai trouvé l’écriture belle, certes, mais le temps de faire le deuil de mes attentes les plus folles (je rêve de tomber sur un nouveau Maître et Marguerite), je n’ai pas complètement accroché. Pourtant, dès le départ, on pénètre dans la forêt imaginaire d’un enfant, et cette forêt étant russe, pays des isbas, de la Baba Yaga et des maisons qui marchent avec des pattes de poule, des arbres qui parlent ou font la gueule, c’était déjà bien parti pour me plaire. Surtout que comme d’habitude, Romain Gary use d’une écriture poétique délicieuse.

Puis, rapidement, apparaît une figure plus délicieuse encore : celle de Teresina. Et là, j’ai accroché. La fraîcheur, la naïveté et la délicatesse de ce personnage, vue par les yeux d’un enfant en train de devenir un homme, qui au beau milieu d’une Russie au bord de la révolution quitte le monde magique des forêts pour explorer l’univers tout aussi magique d’une adolescente fantasque, fée à la crinière rouge, est un régal.

Le narrateur est donc un vieil enchanteur, descendant d’une longue lignée de saltimbanques et artistes de la Comedia dell’Arte, qui se souvient de cette période d’avant la révolution, sous Catherine II, quand sa famille, émigrée en Russie, dont les seuls membres vivants sont des hommes, voient leurs vies éclairées par une femme-enfant belle mais incapable d’aimer, leurs destins dépendre des constipations de l’impératrice, leur art les sauver de la cruauté Cosaques… Un récit riche, émouvant, drôle, tragique et philosophique.

« Pougatchev hésita, puis son visage s’éclaira, prit un air malin, ses poings se desserrèrent et, rejetant la tête en arrière, les deux mains sur les hanches, il éclata d’un de ses ha-ha-ha-ha célèbres dont la force de contagion était telle qu’il roula de Cosaque en Cosaque, de droujina en droujina, à travers toute la steppe, de peuple en peuple, et quelque part, aux confins de la Sibérie et de la Chine un paysan éclata soudain de rire et jusqu’en octobre 1917, ne sut pourquoi il riait. » (p. 311)

1 commentaire:

  1. Haha, je connais bien ce feeling : des livres qui font peur, et on ne sait pas bien pourquoi ! :-)

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