jeudi 16 octobre 2008

"Crash" - JG Ballard

Une idée géniale ne fait pas forcément un livre génial (mais ça peut aider), par Zaph


Pour écrire "Crash", Ballard part d'une constatation presque évidente, à la portée de tout le monde: le sexe, la mort et l'automobile sont liés de manière intime et complexe dans l'imaginaire de l'homme moderne.
Que le sexe et la mort soient indissociables, les psys depuis Freud l'ont amplement montré. Mais on pourrait se demander en quoi l'automobile, création technologique assez récente vient s'immiscer comme un lien corrompu dans l'éternel binôme du sexe et de la mort. Pourtant, y a-t'il un instrument de mort plus redoutable et plus unanimement célébré que la voiture? Et il suffit de regarder la moindre publicité pour une marque automobile pour se rendre compte que les publicitaires, qui connaissent les ressorts de notre inconscient, misent sur la charge sexuelle véhiculée (sans jeu de mot) par l'automobile. Ou bien encore, regardez l'agressivité de la plupart des conducteurs mâles une fois installés aux commandes de leur puissant engin. N'est-ce pas un déplacement de l'agressivité sexuelle à travers une prothèse technologique qui les rassure par sa puissance toujours disponible? Enfin, je suis sûr qu'on a écrit des tonnes de thèses sur le sujet.

Mais l'idée géniale, c'est de prendre les trois termes de l'équation, de les réunir chez des personnages névrosés qui les vivent au premier degré, et d'en faire un roman.

Dans le monde décrit par "Crash", aucune trace de nature n'est visible, pas la moindre plante ni le moindre animal. Le paysage est entièrement constitué d'immeubles, parkings, échangeurs autoroutiers. Dans la ville vue depuis la fenêtre élevée d'un appartement, il semble que les seuls signes de vie soient la circulation (sanguine/sanguinaire) des voitures sur les avenues ou le décollage (érection) des avions sur les pistes de l'aéroport proche.
Dans cette vision cohérente de l'apocalypse contemporaine, tout ce qui était "naturel" semble remplacé par un medium technologique, jusque dans l'intimité des relations sexuelles.

Mais une fois la situation posée, Ballard va-t'il pouvoir la mener assez loin pour faire d'une idée géniale un grand roman?
Justement, là est le problème. Vers le milieu du livre, l'histoire semble tourner en rond, comme les personnages à bord de leurs bolides sur le périphérique de Londres.
Ce qu'il fait, c'est pousser son idée jusqu'au comble de la perversion et de l'horreur, en bon écrivain de SF apocalyptique qu'il est.
Mais c'est cette outrance même qui fait qu'on garde une certaine distance, comme on le fait face à une caricature.
Dommage. Si au lieu de nous "crasher" au visage, Ballard avait usé d'un peu de subtilité et de retenue, il aurait pu faire un roman vraiment dérangeant, un grand roman.
...

5 commentaires:

  1. Au moins, on peut dire que le titre est dans l'air du temps ;-)

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  2. C'est marrant Ballard ça m'a jamais branché, alors qu'il a tout pour me plaire...

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  3. Zaph : u as lu Millenium people de Ballard ?

    Thom : je n'imaginais pas que "sexe, voitures et mort" c'était ton trip .. ;-)

    j'ai un a priori sur Ballard (parce qu'il crache sur la SF alors qu'il en écrit...)

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  4. Lhisbei : non, pas lu celui-là, mais il me tente assez.

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  5. En fait je l'ai lu à l'époque du film, et mon a priori c'était surtout "sexe, mort et Deborah Unger" :-)

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