mardi 12 mai 2009

"Seul dans le noir" - Paul Auster

Seul dans le noir d'un scriptorium avec Paul Auster qui me fait la lecture..., par Thom

A lire la presse, difficile de savoir si le dernier Paul Auster est génial ou nullissime - on lira tout et son contraire selon les titres. Vous me direz Thomas, grand fou ! Quelle idée de lire de la presse ? ... quelle idée en effet, mais que voulez-vous : on a tous nos petites faiblesses. Or quand on s'est emmerdé comme un rat crevé au fin fond du scriptorium du précédent Auster, on est en droit de nourrir quelques appréhensions avant de se lancer dans "Man in the Dark", de chercher à savoir ce que les autres en pensent... et de noter une cassure vraiment marquée dans les commentaires. Cassure bien connue d'ailleurs, Auster divisant depuis longtemps le monde des lettres en deux camps d'égale importance : ceux le considérant comme un génie et ceux le voyant comme une outre vide faisant piailler les intellos neurasthéniques. Mais cassure qui jamais n'a semblé si prononcée - et pour cause : "Man in the Dark" est probablement le plus austérien (et le plus austère, aussi) de tous les livres de son auteur... et là, je ne vous cacherai pas que j'ai un peu l'impression d'écrire cette phrase à chaque fois qu'Auster publie un livre.

Il est pourtant assez rapidement évident que "Man in the Dark" est bien plus que ce que certains veulent en dire, bien plus qu'une uchronie basée sur le concept de Et si le 11 Septembre n'avait jamais eu lieu ? Notons d'ailleurs que s'il n'était que ça, il partirait déjà d'un postulat particulièrement excitant, l'idée de voir Auster chasser sur les terres du Philip K. Dick de "Man in the High Castle" étant plutôt prometteuse tant leurs œuvres sinueuses ont toujours paru liées. Or il n'est pas que cela : l'uchronie est réelle, projette le lecteur dans un étonnant monde parallèle où New York est ravagé par une guerre d'indépendance... mais cette uchronie, c'est là toute la spécificité de ce nouveau roman, est une fiction assumée comme telle : le fruit des divagations d'un vieil homme seul et paralysé, s'imaginant un univers (et une vie) parallèle pour tromper sa solitude et son ennui. Ici réside à la fois la force et la faiblesse de "Man in the Dark" : sa force, c'est une fois encore chez Auster une plongée vertigineuse dans les méandres de la création, une capacité unique à faire se confondre réalité et fiction, à emporter le lecteur dans une galaxie littéraire dont seul l'auteur de "Music of Chance" semble connaître le chemin ; sa faiblesse, c'est que comme l'uchronie n'est qu'un prétexte, elle semblera par moment un brin faiblarde à l'amateur du genre, poursuivant une trame foncièrement invraisemblable (je parle évidemment non pas de la non-existence du 11 Septembre mais de la Guerre de Sécession ravageant New York) et mettant en relief des caractères et des comportements finalement assez banals.

Qu'en penser alors...? "Man in the Dark" est assurément un ouvrage singulier, mais ça c'est le minimum syndical pour du Paul Auster. L'explosion des balises fictionnelles est épatante de maîtrise, mais aucune véritable gloire là-dedans - Auster ne sait pas faire autrement (et ne fait pas autrement du reste depuis son tout premier livre). A vrai dire dans "Man in the Dark", roman aussi ambitieux qu'inabouti, on a en fait la sensation désagréable que d'une part Auster se répète et excelle dans ce qu'il ressasse, et que d'autre part il se renouvelle mais ne convainc pas vraiment dans sa mue. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'on le retrouve dans ce genre de situation périlleuse : chez Auster, le génie semble souvent cyclique. Après un premier Âge d'Or qui l'avait révélé au monde, le candidat permanent au titre de plus grand écrivain vivant avait quelque peu peiné dans les côtes à la fin des années quatre-vingt-dix... avant de renaître et d'entrer dans un second Âge d'Or au début des années 2000 (avec successivement "The Book of Illusions", "Oracle Night" et "The Brooklyn Follies"). Depuis "Travels in the Scriptorium" il semble à nouveau entré dans une phase de transition... autant dire que si son retour à l'excellence est du niveau de "The Book of lllusions", on est prêt à s'envoyer autant de "Man in the Dark" qu'il le voudra.

7 commentaires:

  1. Je ne crois pas que cette œuvre soit inaboutie. Justement le premier récit s'interrompt avant la fin de livre, laissant le lecteur sur sa faim, mais c'est pour mieux rebondir sur une autre histoire, bien plus réelle et plus personnelle.
    Auster a su m'étonner car selon moi la facilité aurait été de s'arrêter au premier récit.

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  2. Je ne parle d'inaboutissement en terme d'intrigue ou d'histoire, mais en termes d'intentions et de démarche. On ne comprend pas vraiment où Auster veut en venir, si même il veut en venir quelque part... il empile les bonnes idées, les trouvailles, c'est plaisant (je ne dis pas le contraire), mais ça va où ? Pas sûr que lui-même le sache...

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  3. J'ai essayé de l'expliquer sur mon blog, là :
    http://leiloona.canalblog.com/archives/2009/01/28/12260068.html
    En quelques mots : la deuxième récit d'Auster montre que la réalité (du moins ce qui dans cette fiction représente la réalité)n'est pas moins forte que la fiction du premier récit.
    Un retour aux valeurs, un roman de la maturité où Auster nous dit que finalement la réalité n'a rien à envier à la fiction. (Un thème qui revient tout de même souvent chez lui.)
    Après c'est ma lecture de ce livre, elle peut varier en fonction des lecteurs ...

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  4. Lire ou ne pas lire le dernier Auster... Aprés avoir lu la presse et les blogs, je ne sais toujours pas, mais une chose est sûre, cet opus me semble pour l'instant dispensable vu que je ne me suis pas encore plongée dans son "âge d'or" des années 2000...

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  5. Leiloona >>> non mais j'avais bien compris l'idée (et ton interprétation me parait très juste). Je parlais de "direction" au sens de la démarche esthétique. Car ce qu'Auster démontre dans ce roman, il l'a déjà démontré dans les trois quarts de ses autres romans. C'est ce que je voulais dire par tourner en rond.

    Emma >>> The Book of Illusion (que j'ai aussi chroniqué chez les Chats) est autrement plus indispensable, c'est sûr et certain.

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  6. Pour ma part, je suis entièrement d'accord avec toi, je ne pourrais pas mieux dire, vraiment... Je voulais faire un post sur "seul dans le noir" justement, je mettrai donc ce lien pour compléter mon court § (mes § sont toujours courts, à cause des journées de seulement 24 heures, un vrai scandale...)

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  7. Eh bien tu m'en vois honnoré :-)

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