mardi 15 septembre 2009

"As I lay dying" - William Faulkner

De l'inconvénient d'être mort, par Zaph

Ça impressionne toujours un peu de se lancer dans un Faulkner, mais avec celui-ci, j'ai été agréablement surpris : après à peine une douzaine de pages, je suis complètement entré dans l'univers du livre, et je me suis familiarisé avec les petites particularités de narration habituelles.

Durant les 45 premières pages du roman, on assiste à l'agonie de Addie Bundren.
Enfin pas vraiment. On suit plutôt tous les personnages qui bourdonnent comme un essaim autour de la maison, de la chambre, du lit de la mourante, centre qui se dessine petit à petit sans qu'on s'en approche vraiment, ou alors, seulement quand la mort survient.
Faulkner a compris (il était malin) que si le centre est peut-être le point le plus important d'un cercle, il n'existe que pour et par la circonférence.

On ressent une certaine gêne, presque du mépris, à voir cette famille continuer son train-train habituel, à se préoccuper d'un gain de trois dollars, d'une récolte, d'une réparation, à montrer si peu de sentiments pour ce qui est en train de se dérouler dans la chambre. Peut-être est-ce tout simplement par peur, par ignorance, pour se raccrocher à la vie ? Ou alors par indifférence, égoïsme, méchanceté ?

C'est vrai qu'on pourrait penser que le style de Faulkner est "expérimental".
C'est vrai que si on lit "the sound and the fury", on peut se dire qu'il prend plaisir à embobiner et à embrouiller le lecteur.
Allons, c'est possible qu'il soit un peu sadique sur les bords et que ça le fasse un peu rire, mais je ne crois pas que ce soit son premier but. En fait, je crois que si on raconte un histoire de manière totalement linéaire, en respectant scrupuleusement la chronologie, et en adoptant un unique point de vue, il est impossible de rendre compte de toute la richesse des évènements.
Il y a toujours plusieurs points de vue, il y a toujours une évolution des perceptions en fonction du temps, bref, il y a toujours plusieurs réalités qui recouvrent un même évènement.
Ce que Faulkner cherche à faire, c'est à capturer un peu de toutes ces réalités, à nous donner une vision aussi riche et aussi vraie que possible de son histoire. Alors ah, bien sûr, c'est moins confortable, ça demande plus d'efforts au lecteur, ça laisse plus de zones d'ombres, ou plutôt, ça révèle des zones d'ombres qu'on n'aurait même pas soupçonnées autrement, mais c'est tellement plus passionnant.

Dans "as I lay dying", la "technique spéciale" utilisée est la multiplicité des points de vue. Et voilà que du choc de ces esprits apparemment simples, émane une complexité de relations dont on sent bien qu'on ne pourra jamais qu'en soupçonner l'ampleur. Ca donne un peu le vertige, mais c'est ça, un grand bouquin : ça nous fait pénétrer plus près de la vérité, et donc plus près de notre ignorance.

Je suis quand-même très impressionné par le sens de l'ellipse de Faulkner.
Ce livre ressemble à une série de photos, ou plutôt, de petites séquences vidéo filmées par chaque personnage. Et derrière chaque image, on perçoit l'abîme qui se dissimule.

Et puis ce sujet ! Quelle allégorie, tout de même.
C'est sa propre mort que chacun traîne avec lui sur les chemins cahoteux de la vie.

"My father said that the reason for living is getting ready to stay dead." dit Addie (car oui, la défunte a aussi son mot à dire dans l'histoire).

En parlant de mots, les personnages en prononcent finalement assez peu. Le discours reste à un niveau factuel. L'important n'est pas dit, pourtant il est perçu par chacun. C'est comme si les limites du langage ne permettaient pas aux personnages de percer leur bulle d'isolement et d'incompréhension, pour réellement rencontrer les autres.
C'est finalement une grande impression de solitude qui traverse ce livre. Bien que la famille soit soudée autour du deuil, chacun est seul face à la mort.

"He had a word, too. Love, he called it. But I had been used to words for a long time. I knew that that word was like the others : just a shape to fill a lack."

4 commentaires:

  1. Et t'as préféré lequel, au fait ?

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  2. Ah, écoute, j'ai adoré "Light in August", "Sanctuary" et celui-ci. A ce niveau de "génialitude", je suis incapable de dire celui que j'ai préféré. Ce qu'il réussit à partir du thème de "As I lay dying", c'est renversant !
    J'ai été un peu moins touché par "The sound and the fury", le travail d'"architecture littéraire" y prend un peu trop de place à mon goût.

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  3. Bonjour

    je n'ai jamais lu cet auteur

    par quel livre dos-je commencer? celui-là?

    merci

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  4. Oui, pourquoi pas celui-ci.
    Si tu aimes, tu aimeras aussi les autres.

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