Etonnant voyageur, par Zaph
Pour moi, Henri Michaux est un des plus grands écrivains.
Il a un style vraiment personnel, avec des phrases qui prennent soudain un détour inattendu, ou qui s'interrompent brutalement, ou qui continuent alors qu'elles ne devraient pas.
Il a surtout un regard extrêmement personnel. Il voit les choses comme personne ne les voit. Un évènement ou une idée observés, analysés, et décrits par Michaux ne ressembleront à rien de ce que vous auriez pu imaginer.
Son regard est acéré, plonge en profondeur, et trouve des angles d'interprétation insoupçonnés.
Il allie pour moi à la perfection ces facultés d'observation et d'imagination dont je parlais à propos de Siri Hustvedt.
Et puis, ah, j'adore son humour, noir, absurde, surréaliste, acide. C'est rare, un grand écrivain qui manie l'humour avec une telle férocité.
S'il manque quelque chose à Michaux, c'est peut-être l'émotion. C'est important, me direz-vous. Oui, mais bon, il faut quand-même bien en laisser un peu aux autres, non ? Et puis, il est trop profond, trop acéré, trop clairvoyant, trop ironique ; l'émotion est un peu comme Plume : elle ne parvient pas à se faire une place.
Et encore, entendons-nous : quand je dis "émotion", je fais référence à celle qu'on peut ressentir par empathie pour les personnages d'un roman. Par contre, ce qui se passe dans l'esprit du lecteur, c'est bien une explosion de sentiments les plus divers qui passent par l'amusement, la curiosité, la perplexité, l'inquiétude, voire le dégoût. Plume n'est jamais émouvant, mais c'est un catalyseur d'émotion pour le lecteur.
"Plume ne peut pas dire qu'on ait excessivement d'égards pour lui en voyage. Les uns lui passent dessus sans crier gare, les autres s'essuient tranquillement les mains à son veston. Il a fini par s'habituer. Il aime mieux voyager avec modestie."
Plume est un personnage central dans l'oeuvre de Michaux, même s'il n'apparaît que brièvement. C'est en effet un des rares cas où l'auteur cristallise sur un personnage externe, alors que souvent, il est lui-même observateur en plus d'être son propre sujet d'observation ("Lointain intérieur" est un titre révélateur à ce sujet).
Plume est forcément paradoxal : il voyage, il ne fait même que ça, alors que tout dans son caractère timoré le prédispose à une sédentarité tranquille. Il va prendre mille précautions compliquées pour rester discret, ne causer aucune perturbation, aucun tracas à personne, et de ce fait, il se place immanquablement en position suspecte, attire des regards méchants, et provoque des réactions hostiles. Et plus il essaie d'y remédier, de s'excuser, plus la situation s'aggrave.
La logique de Plume, qui en soi est valide, s'oppose à la logique du monde extérieur, tout aussi valide, mais bien sûr, les deux ne sont pas conciliables. C'est ce qui en fait un personnage dérangeant.
Et pourtant, envers et contre tout, Plume continue à voyager, imperturbablement.
Autre obsession récurrente chez Michaux : les animaux.
Je ne comprends pas exactement toute la symbolique qu'ils recouvrent, mais je sais qu'ils le hantent.
Et ils sont plutôt diaboliques, empreints de mauvaises intentions. Ils guettent, dans l'ombre, prêts à surgir à la moindre faiblesse, à se transformer, s'il le faut, pour mieux prendre la forme de vos angoisses. Ils s'imposent à vous.
Les délires de Michaux, qu'ils soient causés par la maladie, ou par quelque substance hallucinogène, sont donc peuplés d'animaux.
Il y a les animaux simplement fantastiques. Ils existent dans la réalité, plus ou moins, mais se révèlent soudain tels qu'ils sont vraiment, dans toute leur abjection.
"Dans le monde des animaux, tout est transformation. Pour dire la chose d'un mot, ils ne songent qu'à cela. Dites-moi, qu'y a-t-il de plus protéiforme que le cheval ? Tantôt phoque, il vient prendre l'air entre deux cassures de la banquise, tantôt farouche et malheureux, il écrase tout comme l'éléphant en rut. Vous jetez par terre une bille, c'est un cheval. Deux billes, deux chevaux, dix billes, sept à huit chevaux au moins... quand c'est l'époque."
Et puis il y a les animaux complètement imaginaires, comme la darelette, la parpue, les catafalques, l'énanglom, décrits avec force détail dans des "notes de zoologie" ("Mes propriétés", c'est un autre bouquin, en fait). Ici, on nage dans le pur délire, et j'adore ça.
Un autre thème capital chez Michaux, c'est bien sûr le voyage.
Voyage réel, de préférence dans des contrées imaginaires, ou voyage intérieur.
Michaux ne s'étonne jamais des spectacles, comportements, animaux, peuplades, plus étonnants les uns que les autres, qu'il découvre au cours de ses voyages.
Il rapporte des faits, des observations, fait ses propres interprétations. Parfois, il essaie de comprendre, mais la découverte est plus importante pour lui que la compréhension (d'ailleurs, est-elle jamais possible ?).
Michaux est allé très loin (jusqu'en Grande Garabagne), mais le loin fait partie de l'intérieur. Dedans et dehors se confondent, et l'imaginaire a plus de portée que n'importe quel vaisseau.
Pourtant, toujours la compréhension fait défaut, le but se déplace, la quête est infinie.
Alors, Michaux fait comme Plume : il voyage, il voyage imperturbablement.
"Nous n'avons ici, dit-elle, qu'un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours à l'avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n'arrive qu'à son heure. Ensuite, on a un monde de choses à faire, tant qu'il y a de la clarté, si bien qu'on a à peine le temps de se regarder un peu. La contrariété pour nous dans la nuit, c'est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement."
Il a un style vraiment personnel, avec des phrases qui prennent soudain un détour inattendu, ou qui s'interrompent brutalement, ou qui continuent alors qu'elles ne devraient pas.
Il a surtout un regard extrêmement personnel. Il voit les choses comme personne ne les voit. Un évènement ou une idée observés, analysés, et décrits par Michaux ne ressembleront à rien de ce que vous auriez pu imaginer.
Son regard est acéré, plonge en profondeur, et trouve des angles d'interprétation insoupçonnés.
Il allie pour moi à la perfection ces facultés d'observation et d'imagination dont je parlais à propos de Siri Hustvedt.
Et puis, ah, j'adore son humour, noir, absurde, surréaliste, acide. C'est rare, un grand écrivain qui manie l'humour avec une telle férocité.
S'il manque quelque chose à Michaux, c'est peut-être l'émotion. C'est important, me direz-vous. Oui, mais bon, il faut quand-même bien en laisser un peu aux autres, non ? Et puis, il est trop profond, trop acéré, trop clairvoyant, trop ironique ; l'émotion est un peu comme Plume : elle ne parvient pas à se faire une place.
Et encore, entendons-nous : quand je dis "émotion", je fais référence à celle qu'on peut ressentir par empathie pour les personnages d'un roman. Par contre, ce qui se passe dans l'esprit du lecteur, c'est bien une explosion de sentiments les plus divers qui passent par l'amusement, la curiosité, la perplexité, l'inquiétude, voire le dégoût. Plume n'est jamais émouvant, mais c'est un catalyseur d'émotion pour le lecteur.
"Plume ne peut pas dire qu'on ait excessivement d'égards pour lui en voyage. Les uns lui passent dessus sans crier gare, les autres s'essuient tranquillement les mains à son veston. Il a fini par s'habituer. Il aime mieux voyager avec modestie."
Plume est un personnage central dans l'oeuvre de Michaux, même s'il n'apparaît que brièvement. C'est en effet un des rares cas où l'auteur cristallise sur un personnage externe, alors que souvent, il est lui-même observateur en plus d'être son propre sujet d'observation ("Lointain intérieur" est un titre révélateur à ce sujet).
Plume est forcément paradoxal : il voyage, il ne fait même que ça, alors que tout dans son caractère timoré le prédispose à une sédentarité tranquille. Il va prendre mille précautions compliquées pour rester discret, ne causer aucune perturbation, aucun tracas à personne, et de ce fait, il se place immanquablement en position suspecte, attire des regards méchants, et provoque des réactions hostiles. Et plus il essaie d'y remédier, de s'excuser, plus la situation s'aggrave.
La logique de Plume, qui en soi est valide, s'oppose à la logique du monde extérieur, tout aussi valide, mais bien sûr, les deux ne sont pas conciliables. C'est ce qui en fait un personnage dérangeant.
Et pourtant, envers et contre tout, Plume continue à voyager, imperturbablement.
Autre obsession récurrente chez Michaux : les animaux.
Je ne comprends pas exactement toute la symbolique qu'ils recouvrent, mais je sais qu'ils le hantent.
Et ils sont plutôt diaboliques, empreints de mauvaises intentions. Ils guettent, dans l'ombre, prêts à surgir à la moindre faiblesse, à se transformer, s'il le faut, pour mieux prendre la forme de vos angoisses. Ils s'imposent à vous.
Les délires de Michaux, qu'ils soient causés par la maladie, ou par quelque substance hallucinogène, sont donc peuplés d'animaux.
Il y a les animaux simplement fantastiques. Ils existent dans la réalité, plus ou moins, mais se révèlent soudain tels qu'ils sont vraiment, dans toute leur abjection.
"Dans le monde des animaux, tout est transformation. Pour dire la chose d'un mot, ils ne songent qu'à cela. Dites-moi, qu'y a-t-il de plus protéiforme que le cheval ? Tantôt phoque, il vient prendre l'air entre deux cassures de la banquise, tantôt farouche et malheureux, il écrase tout comme l'éléphant en rut. Vous jetez par terre une bille, c'est un cheval. Deux billes, deux chevaux, dix billes, sept à huit chevaux au moins... quand c'est l'époque."
Et puis il y a les animaux complètement imaginaires, comme la darelette, la parpue, les catafalques, l'énanglom, décrits avec force détail dans des "notes de zoologie" ("Mes propriétés", c'est un autre bouquin, en fait). Ici, on nage dans le pur délire, et j'adore ça.
Un autre thème capital chez Michaux, c'est bien sûr le voyage.
Voyage réel, de préférence dans des contrées imaginaires, ou voyage intérieur.
Michaux ne s'étonne jamais des spectacles, comportements, animaux, peuplades, plus étonnants les uns que les autres, qu'il découvre au cours de ses voyages.
Il rapporte des faits, des observations, fait ses propres interprétations. Parfois, il essaie de comprendre, mais la découverte est plus importante pour lui que la compréhension (d'ailleurs, est-elle jamais possible ?).
Michaux est allé très loin (jusqu'en Grande Garabagne), mais le loin fait partie de l'intérieur. Dedans et dehors se confondent, et l'imaginaire a plus de portée que n'importe quel vaisseau.
Pourtant, toujours la compréhension fait défaut, le but se déplace, la quête est infinie.
Alors, Michaux fait comme Plume : il voyage, il voyage imperturbablement.
"Nous n'avons ici, dit-elle, qu'un soleil par mois, et pour peu de temps. On se frotte les yeux des jours à l'avance. Mais en vain. Temps inexorable. Soleil n'arrive qu'à son heure. Ensuite, on a un monde de choses à faire, tant qu'il y a de la clarté, si bien qu'on a à peine le temps de se regarder un peu. La contrariété pour nous dans la nuit, c'est quand il faut travailler, et il le faut : il naît des nains continuellement."
Je ne connais pas du tout cet auteur ! Il faudrait peut-être que je rémédie à ça ! :-)
RépondreSupprimerLe "peut-être" est de trop ! ;-)
RépondreSupprimerPour découvrir Michaux, je conseille "L'espace du dedans".
Oui, Zaph a décidé de stériliser, voire trucider toute personne qui refuserait de lire du Michaux.
RépondreSupprimerLes deux, Ing, les deux !
RépondreSupprimerC'est dire l'urgence de lire Michaux ! ;-)
Entre Thom, qui ne trouve rien de mieux que de nous conseiller des trilogies, et tes menaces de mort, qui font que je vais être OBLIGEE de rajouter Michaux à ma PAL, je ne m'en sors plus !!
RépondreSupprimerBon, je m'en vais de ce pas alléger cette fichue PAL de ses Dickens, pour faire de la place...
Excellente initiative. Dickens, ça alourdit inutilement une PAL ! ;-)
RépondreSupprimerLe livre "Plume" a-t-il énormément plu au public après sa sortie ?
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