The one minute book, par Zaph
C'est tout de même bizarre : l'économie américaine est réputée sans pitié, tu marches ou tu crèves, tu bouffes ou tu te fais bouffer. Les travailleurs et employés ne sont qu'une autre ressource, à côté du capital et des machines. Quand ils ont assez servi, qu'ils deviennent moins performants ou trop coûteux, on s'en sépare sans autre forme de sentimentalisme.
On imagine que le management américain est fait du même moule : dur, inhumain, préoccupé uniquement de compétitivité et de rentabilité. C'est d'ailleurs quelque chose qui fait peur, par exemple, lors d'une fusion ou d'un rachat d'entreprises : que le management à la française soit remplacé par un management à l'américaine.
Et pourtant, c'est également des USA que nous vient toute une littérature sur le management qui replace l'humain en position centrale. On se souvient finalement que les fameuses "ressources humaines" sont composées d'êtres humains avec des désirs, de l'amour propre, des problèmes, et des motivations intrinsèques qui en fin de compte n'ont rien à voir avec les mécanismes économiques qui président au fonctionnement de l'entreprise.
Une personne motivée, qui aime son travail et qui s'y sent reconnue et valorisée sera forcément bien plus productive qu'une personne traitée comme un simple outil.
Ah, la productivité ! Nous y revoilà, fallait pas rêver, quand même ! Les entreprises ne travaillent pas au bonheur des gens.
Mais alors, faut-il s'en féliciter, ou résister, ne pas se laisser abuser par ces manipulations, ces belles paroles ?
Autre paradoxe à mon avis typiquement américain (mais que nous nous empressons d'importer en Europe) : la simplification à outrance.
La psychologie humaine est certainement un des domaines les plus complexes et les plus subtils qui soient (et on peut considérer le management comme une sous-branche de la psychologie). Pourtant, nulle part ailleurs on ne trouve telle quantité de bouquins qui vous promettent le succès à condition d'appliquer une poignée de recettes toutes simples et préformatées.
Il semble que pour qu'un livre de psychologie appliquée ou de management puisse remporter un certain succès, il doive impérativement se limiter à un nombre maximum de sept règles de base à appliquer au quotidien.
Le "one minute manager", lui, est champion de sa catégorie, puisqu'il réussit à condenser toute une théorie du management en trois pratiques très simples (présentées évidemment comme des "secrets", c'est plus vendeur). Comme il se doit, il faut moins d'une minute pour expliquer les bases de chacun de ces secrets.
En trois minutes, vous voici donc devenu un manager expert et chevronné.
On peut se demander pourquoi la même formule n'a jamais été appliquée à d'autres domaines tout aussi complexes.
J'imagine déjà le succès de titres comme "Devenez médecin en étudiant une minute par jour", ou encore "Trois idées simples pour éliminer la guerre dans le monde".
Mais non, curieusement, le management semble être le seul domaine où les gens sont disposés à accueillir favorablement ce genre d'affirmation. Mon exemplaire du "One minute manager" arbore d'ailleurs fièrement sur sa couverture la mention "The million copy bestseller". Au total, ça fait beaucoup de minutes de lecture... et je suppose, beaucoup d'excellents managers.
Alors bon, est-ce que ce bouquin m'a réellement appris quelque-chose ?
Sur le marketing oui, parce que réussir à vendre un million d'exemplaires de ce truc, non mais, faut être vachement fortiche en marketing !
Sur le management, euh, pas vraiment. Il n'y a rien de nouveau dans ce livre. Il faut donner des objectifs clairs, et puis du feedback sur leur réalisation. Si ça se sont les secrets du management, autant dire que le secret de la vie éternelle est de ne pas mourir.
Ce livre pourrait même être néfaste si on le prend à la lettre, et si on croit qu'appliquer trois techniques basiques suffit à faire un bon manager. Mais je ne dirais pas non plus qu'il est complètement nul. D'abord, il est vite lu, et assez plaisant à lire ; ensuite, il n'est jamais mauvais de rappeler quelques principes de base. On croit toujours les maîtriser, les principes de base ; pourtant, on serait étonné du nombre de fois où on oublie de les appliquer.