vendredi 24 octobre 2008

Boileau & Narcejac

Oui, parce qu'en fait, ils sont deux (vous ne vous étiez jamais dit que Boileau c'était un peu bizarre comme prénom...?), par Thom

1947 : Pierre Boileau est un écrivain de polar en devenir, plutôt doué mais peu connu. Un jour qu'il flâne dans une librairie, il tombe sur l'essai d'un certain Thomas Narcejac, qui prétend dépoussiérer le roman policier. Sa première réflexion est : "De quoi se mèle t'il celui-là ?". Mais au terme de l'essai, il ne peut s'ôter de l'idée que ledit Narcejac s'apprête peut-être bien, en effet, à changer la face de la littérature policère. Il faut dire que Narcejac cite en exemple un auteur nommé... Boileau !

C'est donc Boileau qui contactera le premier Narcejac. Mais c'est Narcejac qui aura l'idée géniale d'écrire un roman à quatre mains. On pourrait écrire des pages et des pages sur le sujet tant leur art est exceptionnel, mais je vais essayer de condenser un peu : en gros, Boileau trouvera les idées de départ et écrira le roman ; Narcejac pour sa part s'occupera de la structure du texte et de la création des personnages (c'est forcément moins schématique que ça, mais c'est à peu près l'idée)
Car l'idée fumeuse de Narcejac, qu'il développe d'ailleurs dans son formidable essai "La Machine A Lire" (à découvrir absolument, vous ne lirez plus jamais un polar de la même manière), c'est de supprimer le schéma habituel : crime / enquête / découverte du coupable... eh ouais, ç'a l'air tout bête comme ça, mais le fait est qu'avant Narcejac personne n'y avait pensé ! Les deux associés bouleversent donc le cannevas habituel composé jusqu'alors :

- d'une victime
- d'un enquêteur
- de suspects
- de témoins
- d'un (ou plusieurs) coupables

...et décident que le personnage principal (et narrateur dans 90 % de leurs textes) pourrait être justement le coupable ou un de ses proches. Vous l'avez compris : sans le savoir, les deux compères se sont éloignés du roman policier traditionnel pour inventer un genre nouveau : le thriller.


Boileau, Narcejac et Michel Galabru

Il faudra tout de même quatre ans pour que leur mécanique soit parfaitement huilée, et encore : pas du tout satisfaits de leur roman "L'Ombre & La Proie", ils le jettent dans un carton (où il restera pendant presque dix ans). En 1952, le second connaitra un destin nettement plus heureux, puisqu'il s'agit d'un classique d'entre les classiques, "Celle qui n'était plus" (plus connu sous le titre du film qui en sera tiré : "Les Diaboliques"). Leur succès est tel que quasiment TOUS les romans qu'ils publieront dans les années 50 seront presque aussitôt adaptés au cinéma. Le revers de la médaille, c'est que de nos jours les films tirés de leurs œuvres sont nettement plus connus que les œuvres elles-mêmes - l'exemple le plus flagrant est celui de "D'entre les mort" alias "Vertigo / Sueurs froides" de Hitchcok mais on peut également évoquer "Maldonne" par Sergio Gobbi (inspiré de leur meilleur roman). On pourrait en citer encore bien d'autres, comme "A coeur perdu", "Les eaux dormantes", "Mr Hyde"...

A partir des années 60, B&N vont se mettre directement à écrire pour le cinéma, pour Molinaro ("Un témoin dans la ville") ou Oury ("Le crime ne paie pas"), ainsi que pour la télévision ("Le train bleu s'arrête 13 fois", rigolote petite série policière avec Jean-Louis Trintignant, qui repasse régulièrement sur le satellite).
Mais l'histoire n'étant qu'un éternel recommencement, ceux qui voulaient bousculer le polar traditionnel vont eux-mêmes devenir une institution et être bousculés à leur tour. A partir des années 70/80, les auteurs de "roman noir", inspirés par la littérature harboiled américaine, vont venir leur filer un coup de vieux. Boileau-Narcejac vont être passés de mode après presque trente années de règne sans partage sur la littérature policière française.

Boileau décèdera en 1989, et Narcejac aura la mauvaise idée de continuer sous le double nom. Leur dernier vrai roman commun est donc "Le soleil dans la main" sorti en 1990. De toute façon ce n'est pas un drame, car la plupart de leurs derniers bouquins sont ratés .
Quant à Narcejac il décèdera à son tour en 1998... dans une indifférence quasi générale, comme tous les grands écrivains !!!

NB : à découvrir également, "Six crimes sans assassin", une petite merveille publiée par le seul Boileau en 1939.

...

7 commentaires:

  1. Waha ! Excellent, Galabru ! :-D

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  2. Rassure toi, je pensais que Boileau-Narcejac était un nom composé. Pour le prénom, il n'est pas toujours mis sur les couvertures, et je n'ai jamais cherché à aller plus loin.

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  3. Zaph >>> il y a quelque chose, hein ? ;-)

    Lilly >>> oh en fait je ne pensais pas spécialement à toi. C'est une confusion faite très, très souvent, par un tas de gens :-)

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  4. Je lui trouve aussi un p'tit air de famille avec Bertrand Blier ... les cheveux sans doute...

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  5. Ah oui... bien vu, Lhisbei !

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