Moi, Roddy Doyle, femme battue, par Ingannmic.
Paula Spencer n’est pas surprise lorsqu’un guard vient lui annoncer la mort de Charlo, son époux dont elle était séparée depuis un an, qui vient d’être abattu par la police à la suite d’un vol qui a mal tourné.
Ce décès provoque en elle le besoin de revenir sur leurs 17 années de vie commune, de tenter d’analyser avec lucidité le quotidien qu’elle vécut à ses côtés, ponctué de raclées, de dents cassées, de cheveux arrachés, d’humiliations…
Face à la situation des femmes battues, les questions que l’on se pose communément ne manquent pas : comment peuvent-elles rester avec ce monstre ? Pourquoi ne s’enfuient-elles pas ? Et surtout, surtout… comment peuvent-elles encore aimer cette ordure ? On sent presque poindre, derrière ces questions, un certain jugement, non ? (« Moi, à leur place, ça fait longtemps que j’aurais pris mes cliques et mes claques »)…
Oui, mais voilà : nous ne sommes pas à leur place, et tout semble tellement plus facile, vu depuis une vie conjugale « normale », quand on a un travail qui pourrait nous permettre, le cas échéant, de vivre seule, quand on n’est pas devenue alcoolique, vulnérable, méprisée…
Avec l’histoire de Paula –et grâce à l’immense talent de Roddy Doyle qui, rappelons-le tout de même, EST UN HOMME-, j’ai eu l’impression de mieux appréhender les raisons et le mécanisme qui peuvent amener une femme à subir ces violences sans se révolter. Notre héroïne n’a pas une image d’elle en tant que femme, ni même simplement en tant que personne, très valorisante. Echec scolaire, milieu social où les filles, dès l’âge de 13 ans, n’ont le choix qu’entre « être une salope ou un cul serré »… si bien que lorsque le beau Charlo Spencer, qui dans le quartier est une célébrité, jette son dévolu sur elle, elle a l’impression de bénéficier d’un statut particulier, source de respectabilité et de reconnaissance. Ensuite, tout s’enchaîne : le mariage, la première grossesse, la première fois qu’il porte la main sur elle… et les premières excuses qu’elle lui trouve, la main de plus en plus lourde sur les bouteilles, les autres grossesses, les boulots minables et mal payés.
On a l’impression que la suite n’est qu’un tourbillon, qui ne lui permet à aucun moment de prendre du recul. Certes, elle ne veut pas voir l’évidence, mais qui l’aide à ouvrir les yeux ? Lorsqu’elle se rend à l’hôpital, les médecins voient ses blessures mais évitent son regard. Son haleine d’alcoolique rend les choses tellement plus faciles : elle est tombée, elle s’est cognée…
Sans doute parce qu’elle a finalement réussi à chasser cet homme de sa vie, elle parvient petit à petit, avec le recul, à admettre ce qui nous paraît à nous si évident : elle n’est pas coupable, et rien ne peut justifier qu’un homme traite sa femme de cette façon.
Plus qu’un portrait, « La femme qui se cognait dans les portes » est une plongée dans l’enfer de la maltraitance conjugale, mais aussi de la misère sociale. Le lecteur « écoute » Paula (c’est elle la narratrice) sans se souvenir un instant que l’auteur est un homme.
Une lecture certes parfois difficile, mais un grand coup de cœur tout de même !