jeudi 7 mai 2009

"Le grand cahier", "La preuve", "Le troisième mensonge" - Agota Kristof

Trilogie de la relativité, par Ingannmic.

Afin de ne pas dévoiler les surprises de cette trilogie, je ne résumerai que le début de son 1er volet. En effet, impossible d’évoquer le 2ème tome sans révéler la fin du 1er, ni de parler du 3ème sans… vous m’avez comprise !
Dans un pays en guerre, la mère de jumeaux nommés Claus et Lucas les confie à la garde de leur grand-mère, une femme méchante, avare et malpropre, surnommée « la sorcière » par le reste du village. Les deux garçons, âgés de 5 ans à leur arrivée chez cette mégère, font preuve d’une intelligence et de ressources hors du commun. Dispensés d’école, ils pourvoient eux-mêmes à leur instruction, qui va de l’étude de la bible à l’observation des comportements humains les plus abjects. Comme exercice, ils s’astreignent à écrire, dans « Le grand cahier », des rédactions devant relater de la façon la plus objective leurs expériences diverses. Le roman est la compilation de ces rédactions.
Il en résulte un style froid, dénué de tout apport émotionnel, mais néanmoins glaçant, car les scènes décrites sont souvent empreintes de violence, et le fait de s’imaginer qu’elles le sont par de jeunes enfants ajoute à leur noirceur.
Tout au long de la trilogie, l’auteure gardera cette distance vis-à-vis des sentiments : ses personnages, qui ont décidé de ne plus rien ressentir dans le but de pouvoir faire face à un monde injuste et cruel, subissent ensuite comme un handicap cette carence émotionnelle, porteuse dans les 2ème et 3ème volumes d’une immense mélancolie.
La relation ambiguë qu’entretiennent Claus et Lucas au bien et au mal est troublante pour le lecteur, qui est de plus déstabilisé par les rebondissements de l’histoire, que l’on pourrait qualifier d’histoire « à tiroirs ». En effet, A.Kristof nous plonge dans une réalité qui se dérobe pour en révéler une autre, elle-même enrichie d’un nouvel éclairage qui rend caduc le récit qui précède... et finalement, n’est-ce pas une seule réalité abordée sous divers points de vue plus ou moins fantasmagoriques, mais tous recevables ? Sur quoi est-il vraiment nécessaire et intéressant de s’attarder : sur ce qui est, ou sur ce que la souffrance, les désirs, nos mécanismes d’autoprotection, nous poussent à imaginer ?
De même, l’action se déroule dans un lieu et un temps qui ne sont jamais vraiment précisés : il est question du « village », de « la ville », de « la guerre » et de « la révolution », le quotidien est celui d’un pays totalitaire, où sévit la censure… là aussi, on a l’impression d’être à la fois dans un monde imaginaire mais inspiré de la réalité, appréhendé à partir de diverses perspectives, selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre de la frontière.

Un style extrêmement simple qui sert un récit à la structure complexe, et une lecture qui ne laisse pas indifférent… à tel point que "Le grand cahier" a souffert de la censure : il a été interdit dans certaines bibliothèques (notamment au Québec) et l'enseignant de français d'un collège d'Abbeville a été soumis à une garde-à-vue et à une perquisition à son domicile pour avoir fait travailler une classe de troisième sur ce roman (les parents des élèves ont porté plainte en raison des scènes de zoophilie et de pédophilie qui y sont décrites).





Lucas, Claus et Klaus sont sur un bateau… par Sandrine


La première fois que j’ai entendu parler d’Agota Kristof, sur un site de lecture, j’ai cru à une parodie, naïvement je l’avoue. C’est dommage que personne ne m’ai contredite mais heureusement je n’en ai jamais parlé à quiconque jusqu’à ce je trouve un exemplaire d’un de ses livres à la F°°°°. En lisant le résumé, j’ai compris mon erreur : ce n’étais clairement pas une parodie, ce n’étais vraisemblablement pas gai…
Plus tard, toujours influencée (pour mon grand bonheur) par les lectures bloguesques, je me lançait dans la trilogie des jumeaux, résumé facile constitué des trois livres suivants « Le grand cahier », « La preuve » et « Le troisième mensonge ».
Chacun de ces livres nous fait nous interroger, de manières différentes, sur le monde de l’enfance. Le premier n’est qu’une succession de petites saynètes, deux pages en moyenne sur la vie d’enfants envoyés pendant la guerre chez leur grand-mère. La grand-mère est dure, les enfants sont pires… Ils grandissent, s’endurcissent par plusieurs exercices, font des rencontres avec les être étranges gravitant autour d’eux. Ils savent tuer, ils savent regarder en face la souffrance. Ils sont ce que tout enfant ayant pas mal souffert dans sa vie voudrait réussir à être : un être sans émotions. Leur séparation sera leur ultime endurcissement. Dans « La preuve », nous suivons le destin de Lucas, celui qui est resté, sa vie, ses compagnons divers. Le système narratif n’est plus du tout le même, l’écriture a grandi avec les enfants, mais le rythme est toujours soutenu tout comme dans «Le troisième mensonge ».
Ce dernier s’attache à la vie de Claus et nous révèle (ou nous cache) la vérité contenue dans ces trois tomes. Une vérité qui s’attache à dire les silences entourant l’enfance et ses méfaits. Qui nous prouve que cette fuite dans l’écriture est le sujet central de ces livres.
J’ai aimé cette trilogie mais elle n’est pas à lire un jour de déprime, car elle reste noire du début à la fin, malgré la pointe d’espoir qui au final n’aura pas servi à grand-chose…

2 commentaires:

  1. Avais-tu remarqué, Sandrine, que Claus est l'anagramme de Lucas (et vice versa) ?

    RépondreSupprimer
  2. Oui oui c'est un des détails exquis de ces livres :)

    RépondreSupprimer