mercredi 30 décembre 2009

"La conjuration des imbéciles" - John Kennedy Toole

Légèrement indigeste, par Ingannmic.

D'emblée, John Kennedy Toole nous immerge dans un univers que l'on pourrait qualifier d'"intermédaire", dans la mesure où il donne l'impression d'être situé juste sur la frontière séparant le réel de l'imaginaire. En effet, le monde décrit est bien le nôtre (l'action se déroule en l'occurrence dans divers quartiers, plus ou moins bien famés, d'une ville de La Nouvelle-Orléans) seulement, les personnages qui y évoluent ressemblent à des caricatures : leurs traits de caractères sont exacerbés, leur langage est exagérément pittoresque, les conséquences de leurs actes amplifiées au point de donner au récit des allures de comédie burlesque. Et celui qui rassemble toutes ces caractéristiques de façon évidente est le personnage principal de ce roman : Ignatius J.Reilly. Agé d'une trentaine d'années, il vit toujours chez sa mère, dans l'oisiveté la plus totale. Obèse, caractériel, paranoïaque, il rejette en bloc toutes les institutions et les valeurs de la société au sein de laquelle il évolue : l'Eglise, le travail, la télévision ; il ne supporte pas plus les homosexuels que les hétérosexuels mais est capable d'imaginer que l'infiltration par ces premiers aux postes clé de l'armée peut être une solution pour ramener la paix dans le monde... Il admire à la fois les penseurs romains, ceux de début du Moyen-Age, et Batman (!) parce que dernier fait preuve d'une morale rigide.
En conclusion, Ignatius est un individu totalement décalé, pétri de contradictions, qui ne trouve pas sa place dans une société de consommation dont il méprise de plus les valeurs matérielles.
Malheureusement, suite à un accident de voiture occasionné par sa mère, la voici devenu obligé de rechercher un emploi pour rembourser les dégâts occasionnés. Et c'est le début d'une série de catastrophes...

J'ai dans un premier temps trouvé ce roman plaisant et d'un second degré réjouissant. Et puis, après une centaine de pages, je n'avais plus vraiment hâte de retrouver mon livre en fin de journée, et ça, c'est mauvais signe ! Je ressentais un peu le même sentiment qu'en lisant "Le monde selon Garp" : je m'ennuyais, en dépit d'une action plutôt rythmée. Je ne me souviens plus de la cause de l'ennui qui m'a pris lors de la lecture du roman de John Irving, mais ce qui m'a lassé ici, c'est la récurrence des répliques échangées entre les personnages, l'impression que c'était les mêmes dialogues qui revenaient en boucle, et que l'auteur avait à certains moments manqué de concision et de subtilité.

Dommage... la recette utilisée était bonne, mais à force de me la servir, John Kennedy Toole m'a un peu écoeurée...

jeudi 24 décembre 2009

« Mrs Dalloway » - Virginia Woolf

Faut-il avoir peur de Virginia Woolf ?, par Ingannmic.

Avant d’entamer la lecture de « Mrs Dalloway » (le 1er roman que je lis de cette auteure), j’imaginais que Virginia Woolf était une femme à l’écriture complexe, torturée, laborieuse. Je n’imaginais pas si mal… du moins en ce qui concerne la complexité, et par conséquent, la nécessité à certains moments de faire preuve d’une certaine concentration pour suivre le cheminement de son récit (donc, oui, c’était parfois un peu laborieux aussi !)
Peut-on d’ailleurs véritablement parler de récit, concernant « Mrs Dalloway » ? L’action s’y déroule sur une seule journée, et culmine avec la description des quelques menus préparatifs auxquels s’attèle Clarissa Dalloway en vue de la réception qu’elle donnera en soirée.
Et pourtant, en lisant , j’ai souvent éprouvé au cours de ma lecture une sensation de mouvement incessant, presque de frénésie, qui tient au procédé de narration utilisé par l’auteure : tout le roman est la restitution des pensées, souvenirs, des divers personnages, qui se succèdent souvent sans transition.
Ces personnages parfois se croisent, parfois se connaissent. Virginia Woolf s’attarde davantage sur certains d’entre eux, et notamment sur cette fameuse Mrs Dalloway. Arrivée à la cinquantaine, mariée à un célèbre député dont elle a eu une fille, celle-ci fait preuve d’un état d’esprit qui peut sembler confus car émaillé de réflexions contradictoires. En effet, elle s’émerveille de bonheurs simples, fait preuve d’une humeur égale et sereine, puis manifeste soudain des regrets quant à la femme qu’elle est devenue, qui agit sous l’influence du regard d’autrui, va jusqu’à penser qu’elle aurait aimé être quelqu’un d’autre… Et surtout, elle laisse transparaître, sous-jacente, une angoisse, voire une terreur de la mort, qui à certains moments sera même clairement exprimée..
Les considérations de Peter Walsh, l’amour de jeunesse de Clarissa, confirme la dualité évoquée plus haut : s’appliquant à plaire à la classe dominante pour entretenir les relations mondaines de son époux, elle a acquis une rigidité préjudiciable à son sens critique et à sa vivacité d’esprit. Et pourtant, il lui reconnaît toujours un « sens du comique exquis », un caractère agréable et facile.
Quant à lui, son retour après 5 années passées aux Indes (alors colonie anglaise) fournit un prétexte à l’auteure pour souligner les changements intervenus après la première guerre mondiale (le roman se passe en 1923) en Angleterre, la fin du conflit insufflant un vent de liberté qui se traduit par une évolution des comportements : Peter constate ainsi que les anglais se montrent moins pudibonds qu’auparavant, la censure morale semble être moins pesante. Un personnage d’ailleurs plutôt sympathique que ce Peter, qui se soucie peu du « qu’en dira-t-on », se contentant de suivre ses envies, ses impulsions, affichant une forme d’épicurisme débonnaire et aussi quelque peu enfantin. Lui-même se décrit comme étant « à la fois gai et bougon », sa bonne humeur alternant parfois avec des accès de mélancolie provoqués par une certaine nostalgie de la jeunesse.
Plus tragiques et beaucoup plus sombres sont les pensées de Septimus, un autre des protagonistes qui occupe une place importante dans le roman. Se promenant dans les rues de Londres au bras de Rezia, son épouse italienne, ce rescapé de la guerre, atteint d’une profonde dépression, sombre dans la folie…
Par la transcription des pensées, des états d’âme de ses personnages, Virginia Woolf a su donner à son récit une réelle consistance, l’enveloppant d’un réseau complexe de sentiments et de réflexions plus ou moins conscientes. Il s’en dégage au final une vague impression de mal-être existentiel, une difficulté pour les individus à accéder au véritable bonheur, à jouir de la maturité et de la sérénité que pourrait leur conférer l’âge.
S’agit-il de l’écho des angoisses et de l’instabilité mentale de l’auteure ?
On notera à plusieurs reprises l’évocation du suicide ou de la délivrance que peut apporter la mort, considérée aussi à certain moment comme un « enlacement »…

mercredi 23 décembre 2009

"Willard et ses trophées de bowling" - Richard Brautigan

Critique express, par Ingannmic.

Quel est le point commun entre un jeune couple qu'un papillome verruqueux a réduit à pratiquer des jeux sexuels sado-masochistes, trois frères aux allures de Daltons qui attendent, dans une chambre d'hôtel, un coup de téléphone d'une extrême importance, et un autre jeune couple sorti assister à une rétrospective Greta Garbo au ciné-club ?
Ben, les trophées de bowling, bien sûr !

Ne cherchez pas à comprendre. Tout ce que vous avez à faire, c'est d'attraper ce roman de Brautigan, vous installer dans votre fauteuil préféré, et vous laisser aller. Avec l'assurance que vous allez bien vous marrer !
De situations loufoques en absurdités hilarantes, c'est un vrai moment de plaisir que nous offre l'auteur avec ce récit quijamais ne se prend au sérieux... mais bon sang, quel dommage qu'il soit si court !!

Pour la peine, ma critique s'arrête là. Na!

mardi 22 décembre 2009

"La Reine Morte"- Henry de Montherlant

Démodé et encore très moderne par Anne


Je n'aurais pas choisi un livre de Montherlant si on n'avait pas décidé de nous amuser avec des auteurs suicidés. C'est ce qui fait intéressant de suivre un thème tout les deux mois - on fait souvent de jolies découvertes! "La Reine Morte" est une histoire assez banale : Le roi du Portugal, Ferrante, exige que son fils Pedro marie L'Infante de Navarra, mais Pedro est amoureux d'Inès, et il ne veut pas la quitter. Marier l'Infante et prendre Inès comme sa maîtresse comme lui propose son père n'est pas possible non plus. Il ne peut et ne veut pas. Pedro et Inès se sont déjà mariés en secret et Inès est enceinte. Pour le Roi est-ce qu'il y a autre solution que de faire assassiner Inès?

Une histoire très simple, n'est-ce pas ? Pourtant Henry de Montherlant a réussi à en faire une pièce de théatre assez fascinante. On suit le roi qui avec des arguments souvent contradictoires arrive enfin à prendre une décision sur le sort d'Inès. Le vieux roi fatigué nous montre que les motives de nos actes ne sont pas toujours claires. On change facilement d'opinion ou de principes surtout quand on a marre d'une personne ou d'une situation. Il nous arrive de faire des choses seulement parce qu'on a le pouvoir de les faire.
C'est une pièce pleine de réflexions intéressantes, c'est très bien écrit et elle me donne envie de découvrir les autres textes de Montherlant.

jeudi 17 décembre 2009

"Timequake" - Kurt Vonnegut


Time again to read Vonnegut, par Zaph

J'aime pô les préfaces, en général.
Sauf quand c'est Kurt Vonnegut qui les écrit. Même que des fois, je me demande si la meilleure partie de ses livres n'est pas dans la préface.
C'est pas comme les autres écrivains, qui se sentent obligés de nous avertir de ce qu'ils vont raconter (comme si on n'était pas capable de nous en rendre compte par nous-mêmes), ou de nous expliquer comment et pourquoi ils ont eu cette brillante idée (sans blague, on s'en fiche un peu, de leur égo). Puis des fois, ils nous collent en plus une postface pour nous expliquer ce qu'on vient de lire (des fois qu'on serait trop con pour comprendre). Ça m'énerve, toutes ces pages inutiles ; ça détruit la chlorosphère.
Non, chez Kurt, c'est différent. La préface est un pont, un passage en douceur entre le monde réel et la fiction. La préface est déjà un peu le roman, et le premier chapitre est encore un peu la préface.

Cette fois, Kurt franchit un pas de plus, car j'ai l'impression que ce roman n'est qu'une longue préface en 63 chapitres et un épilogue (et une pré-préface).
C'est un joyeux bordel, en tout cas. Un mélange bizarre de fiction, de souvenirs (dont certains sont peut-être réels), et de considérations loufoques.

Va bien falloir que j'explique un peu ce qu'est le timequake...
C'est bien simple : le 13 Févier 2001, l'univers a décidé pour on ne sait quelle raison d'opérer un saut temporel de dix ans en arrière, si bien que tout le monde se retrouve à vivre une seconde fois la même période de dix ans, en en étant pleinement conscient, mais sans pouvoir rien y changer. Tout le monde reproduit ("rerun") les mêmes actions et prononce les mêmes paroles une seconde fois.
Idée complètement barge, mais littérairement géniale.

A la fin de la carrière et de la vie de Vonnegut, le personnage de Kilgore Trout reçoit enfin la place d'honneur qu'il méritait.
C'était jusqu'ici un double discret, un fantôme énigmatique qui faisait quelques apparitions dans plusieurs romans de Kurt. Et là, Kurt a fait ce fantastique cadeau à Kilgore : il l'a tout simplement rendu RÉEL.

Timequake est un roman circulaire. Ce n'est pas étonnant, puisqu'on parle de boucle temporelle. J'ai déjà eu l'occasion de le dire ; chez Vonnegut, il y a toujours une recherche formelle, qui est probablement pour une bonne part dans le fait que les thèmes de ses romans fonctionnent si bien (franchement, construire un roman qui tient debout sur les prémisses de "Timequake", c'est pas donné à tout le monde).
Dans son livre, Kurt nous parle d'un roman, "Timequake one", dont celui-ci serait une ré-écriture. Il nous raconte aussi différents romans de Trout. Un roman qui raconte des romans, c'est très récursif, comme de juste. En plus, "Timequake" a été publié en 1997, soit en pleine période de "rerun", selon Kurt... et tous les écrivains actifs à cette période ont bien sûr été forcés de ré-écrire une seconde fois les mêmes oeuvres.

Je me suis évertué pendant longtemps à chercher le plus grand écrivain de Science Fiction, jusqu'à ce que je rencontre enfin Vonnegut.
C'est en effet un des rares écrivains qui vous proposent quelque chose de vraiment différent. Est-ce que ce n'est pas justement ce qu'on devrait attendre d'un grand écrivain de SF ? Quoique, Vonnegut ne fait pas tout à fait de la SF. Peut-être qu'il ne fait pas non plus tout à fait de la littérature. Mais il ne faut pas trois phrases pour reconnaître qu'on est dans un roman de Vonnegut. Et dans ce cas précis, il s'agit en plus d'un grand roman de Vonnegut. S'il y avait un timequake là maintenant, je le relirais une seconde fois avec plaisir.

"Then again, I am a monopolar depressive descended from monopolar depressives. That's how come I write so good."

mardi 15 décembre 2009

"De chair et de cendres" - Ehud Havazelet

Oubliable, par Ingannmic.


"De chair et de cendres" est un roman sur des êtres égarés, des individus qui à un moment de leur vie ont connu un drame ou subi un manque qui les ont laissés à jamais infirmes -au sens affectif du terme-, incapables de communiquer avec autrui, de maîtriser leur colère, ou encore de trouver tout simplement un sens à leur existence.
Il y a Sol, le père juif, originaire de Russie, qui a connu l'enfer des camps, où il a perdu toute sa famille.
Il y a son fils Nathan, médecin, qui entretient des relations parfois perverses avec les femmes, et qui a coupé tout lien avec Daniel, ce frère qu'il a pourtant tant admiré.
C'est justement suite au décès de Daniel dans des circonstances obscures que Sol et Nathan ont fait le voyage à San Francisco.

Le récit progresse par bribes, alternant les souvenirs des divers protagonistes, insistant sur les regrets des uns, les rancoeurs des autres, tous affichant comme point commun un immense mal-être.
En tant que seul survivant de sa famille, Sol parvient difficilement à s'autoriser un quelconque bonheur. Taciturne, dur avec ses enfants, il est comme un étranger qui n'aurait pas appris le langage de l'affectif, du relationnel. Les souvenirs de son enfance, qui le hantent, mais qu'il n'a jamais voulu évoquer devant ses fils, creusent entre ces derniers et leur père une incompréhension mutuelle devenue insurmontable. L'auteur pose ainsi la question d'une certaine forme d'héritage que peut transmettre un rescapé de la Shoah. Il ne s'agit pas ici de la transmission d'un témoignage, mais de celle, moins tangible, de la conséquence des déréglements psychiques et sentimentaux qui affectent, pour toujours, l'individu. Sol a légué à ses fils, de façon inconsciente, par son mutisme et sa froideur, un malaise profond et indéfini, d'autant plus difficile à combattre qu'ils ne peuvent en identifier l'origine.

En dépit de la problématique posée, qui peut effectivement sembler intéressante, j'ai refermé ce livre avec le sentiment que je n'en conserverai pas un souvenir inoubliable... Ehud Havazelet y évoque des destins fort, mais le problème, c'est qu'il ne fait que les évoquer, justement, lançant des pistes qu'il n'explore jamais vraiment à fond. Cela tient sans doute au fait qu'il passe rapidement d'un personnage et d'un fragment de souvenir à l'autre, pour finalement ne s'attarder sur aucun, ce qui laisse au lecteur l'impression d'avoir croisé ses héros sans avoir jamais fait leur connaissance.

samedi 12 décembre 2009

« En attendant l’orage » - Graham Joyce

Encore un bon cru !, par Ingannmic.

Voilà une lecture qui rallonge encore la liste des auteurs/romans que je découvre en allant fureter dans la cave de Thom. Il faut dire qu’étant rarement déçue (si, si c’est tout de même déjà arrivé), ladite cave est devenue une source d’inspiration régulière.
Encore une fois, il s’agit là d’une chouette découverte !

James, Sabine et leurs filles Beth et Jessie passent leurs vacances d’été en Dordogne, dans une vaste ferme rénovée entourée de champs de maïs. Ils sont accompagnés de trois amis : un couple et l’ex-secrétaire de James.
Le poids des secrets que dissimulent les uns et les autres se fait rapidement sentir, instaurant des tensions, ressuscitant les rancunes et les jalousies, entretenant un climat de suspicion.
La principale force d’ « En attendant l’orage » réside dans la subtilité avec laquelle l’auteur installe cette atmosphère lourde, chargée de conflits latents, qu’il met en parallèle avec les conditions météorologiques, comme si les perturbations du ciel se faisaient l’écho des déséquilibres humains. A moins que ce ne soit l’inverse ? Car tout est question de point de vue : selon l’angle d’approche qu’adopte le lecteur, l’interprétation des événements qui se déroulent dans le roman peut être sujette à variations. Certains y décèleront un parfum de fantastique, d’autres préfèreront y voir un drame psychologique… le mieux restant sans doute de ne pas réduire ce roman à un genre particulier, mais de se laisser embarquer par le talent de Graham Joyce, l’observer faire doucement émerger les démons de chacun, qu’ils soient réels ou imaginaires, inspirés par l’angoisse (de vieillir, de grandir, de passer à côté de sa vie…) ou par la folie.

jeudi 10 décembre 2009

"Le seigneur des porcheries" - Tristan Egolf

La revanche des "moins-que-rien", par Ingannmic.


Ne vous laissez pas décourager par l’interminable et obscure 1ère phrase qui ouvre « Le seigneur des porcheries ». Les mystérieux termes qui y sont employés –« trolls, Village des nains, Hessiens des Coupe-gorge et autres citrons »-, vous seront expliqués en temps voulu, tout comme les événements qui ont mené à l’effroyable « crise » dont il y est question vous seront minutieusement exposés.
Mais d’abord, nous allons faire la connaissance de John Kaltenbrunner, héros anti-conventionnel qui, pour son malheur, est né à Baker, l’archétype du patelin de bouseux, où la médisance, la bigoterie, l’intolérance, l’hypocrisie et la bêtise règnent en maîtres depuis toujours. Enfant unique de la veuve d’un cadre des exploitations minières de la ville, John affiche dès son plus jeune âge sa différence : ainsi, à 8 ans, alors que ses professeurs le considèrent comme un attardé, il a remis à flot la ferme familiale délaissée par sa mère, et mis sur pied un élevage florissant de volailles. Investi corps et âme dans les projets d’extension dudit élevage, il aurait pu s’accommoder de sa solitude, du rejet subi de la part des autres enfants, mais une succession de malheurs, survenue alors qu’il n’est encore qu’adolescent, va irrémédiablement changer le cours de sa vie…

« Le seigneur des porcheries » est un roman dense, foisonnant, difficile aussi, en raison de son intense dimension tragique.
Deux phases principales se distinguent dans l’histoire de John. Dans un premier temps, il cumule une poisse de tous les diables et de telles vicissitudes que l’on se demande où il trouve la force de ne pas sombrer dans la folie, voire tout simplement de survivre… La deuxième partie sera celle de la revanche, celle où John mettra le nez des péquenots de Baker dans leur merde, au sens propre comme au figuré…
Et à ce moment-là, Tristan Eglof est si bien parvenu à nous gagner à la cause de son anti-héros, que l’on applaudit des deux mains ! On se réjouit de voir les plus miséreux, les plus méprisés, avoir pour une fois l’avantage sur ceux qui habituellement les conspuent. Le sous-titre du roman est d’ailleurs éloquent : « Le temps venu de tuer le veau gras et d’armer les justes ».
L’auteur semble avoir exprimé dans ce roman tout son dégoût pour une société profondément injuste, toute son amertume envers un système où les plus faibles sont anéantis, toute sa haine pour ceux qui, se croyant détenteurs d’une morale infaillible, font preuve d’étroitesse d’esprit et de méchanceté.
Rien n’échappe à sa plume acérée, et surtout pas les instances censées représenter les fondements de la communauté de Baker : l’école est « un reliquat pétrifié du principe de Satan le malin géré par des créationnistes irréductibles, des paranoïaques de la guerre froide », la justice condamne les innocents et laisse courir les coupables, et tout est à l’avenant, Tristan Eglof usant d'un ton à la fois désespéré et grinçant, et nous livrant une véritable orgie de métaphores irrésistibles.

C'est à la fois à rire et à pleurer !

mardi 8 décembre 2009

"Leaving Las Vegas" - John O'Brien

Love story, par Zaph



Pendant environ cinquante pages, nous suivons les pas de Sera. Sera est prostituée à Las Vegas. Cette ville est un élément capital de l'histoire, en est le mauvais génie. Ville bidon par excellence, artificielle, ville en trompe-l'oeil, des décors clinquants masquant l'horreur ou le néant. Les américains ont tenté de reléguer dans une île au milieu du désert le jeu, l'alcool, le sexe. Un Jurassic Park du vice. Île à l'intérieur de cette île : Sera.
Elle est la résignation personnifiée. Elle est pute comme on a les yeux bleus. C'est comme ça. On a envie de lui crier "Non !". Mais il n'y a pas d'horizon ; au delà des limites de la ville, derrière le dernier hôtel, il n'y a rien, le désert. Elle accepte, même les clients tordus, même un proxénète salaud, même les coups. De toute façon, on ne peut pas fuir plus loin que Vegas. Vegas est le terminus de l'humanité.

Deuxième partie. Nous laissons Sera pour suivre Ben.
C'est peu dire que Ben est un alcoolique. Ben passe ses jours et ses nuits à boire. Même qu'il ne pense qu'à ça. Il s'est bien sûr fait virer de son boulot. Donc, il n'a plus qu'une seule et unique activité (je parie que vous avez deviné laquelle).
Un seul petit souci : que faire si on se réveille à trois heures du matin avec une grande soif, et tous les magasins d'alcool fermés ?
Une solution : déménager à Las Vegas, là où l'alcool coule à toute heure.
Forcément, Ben et Sera vont se rencontrer, attirés comme les deux pôles d'un aimant. Sera ayant comme seule préoccupation de continuer à vivre, et Ben ayant comme seule perspective de mettre un terme à sa vie.

"He will feel her heart beat and sit in joyous wonder of her, someone who takes the trouble to work so hard just to live so hard: a neat trick."

Je ne vais pas vous raconter la fin. Mais n'espérez pas trop un happy end quand-même.
Le film m'avait bouleversifié, et le livre, bah, c'est la même chose.

Je me demande si c'est pas tout simplement l'ultime histoire d'amour que ce bouquin raconte. Enfin, d'habitude, l'amour, ça rime avec espoir, avec rêve, avec bonheur (ça doit être pour ça que les poètes parlent souvent d'amour, c'est facile pour les rimes). Même quand ça se termine mal ; même dans "Roméo et Juliette", les amants sont réunis dans la mort (pour toujours quoi ! si c'est pas mignon !). Mais si on retire tous ces attributs, qu'est-ce qui reste ? On pourrait dire qu'il reste l'huile essentielle de l'amour.
C'est quand on n'attend rien, qu'on sait que tout va mal, et va aller plus mal encore, qu'on est même finalement incapable d'aimer, mais qu'on ne peut quand-même résister à l'amour. L'amour est plus fort que tout, mais il ne triomphe de rien, voilà le constat de John O'Brien.

C'est pas tous les jours qu'un bouquin rentre directement dans mon top 10, mais c'est le cas ici (je dois avouer qu'il y a probablement bien plus que dix livres dans mon top dix, mais ça n'enlève rien au mérite de celui-ci).

vendredi 4 décembre 2009

« Dieu reconnaîtra les siens » - Elmore Leonard

L'habit ne fait pas le moine, par Ingannmic.


Je m’attendais à un roman grave et sérieux…
A ma décharge, je ne connaissais pas Elmore Leonard, et sans doute ai-je été induite en erreur par cette sombre couverture.
Et d’ailleurs, le début de l’histoire a d’abord conforté cette impression : nous sommes au Rwanda, juste après le génocide des Tutsis par les Hutus. Terry Dunn, missionnaire américain en charge de la paroisse d’Arisimbi, ne confesse plus les fidèles dans l’enceinte de son église depuis que les corps des 47 personnes qui ont été assassinées sous ses yeux y pourrissent.
Suite au décès de sa mère, il rentre aux Etats-Unis.

Bien vite, nous découvrons que le Père Dunn est un drôle de prêtre, qui se contente de dire la messe à Pâques et pour Noël, et qui entretient avec sa gouvernante Rwandaise des relations que l’on peut difficilement qualifier de chastes ! Et le reste du récit est à l’avenant, peuplé de personnages hauts en couleur, qui contournent avec allégresse les règles de la morale, de la légalité et de la bienséance.
Sous le couvert d’une intrigue aux ingrédients somme toute banals (meurtres et arnaques…), Elmore Leonard envoie valser avec insolence les pseudos valeurs sûres censées consolider de leur ciment l’équilibre de nos sociétés dites « civilisées » -la justice et la religion, notamment- et nous rappelle que « l’habit ne fait pas le moine » (c’est le cas de le dire !), l’humanité se dissimulant parfois sous des apparences trompeuses.
Et là où il fait fort, c’est qu’en même temps qu’il fait preuve d’un sens de la dérision parfois hilarant, cela ne l’empêche pas de traiter par ailleurs avec beaucoup de justesse le thème du génocide rwandais.

jeudi 3 décembre 2009

"Histoire de Lisey" - Stephen King

THE King, par Ingannmic.


Cela fait deux ans que Scott Landon, écrivain célèbre, est mort. Sa veuve, Lisey, se décide enfin à mettre de l'ordre dans le bureau de son défunt mari.
Se doute-t-elle qu'en s'attelant à cette tâche, elle s'engage dans une épreuve extrêmement douloureuse et dangereuse, et qu'elle va devoir exhumer de sa mémoire des souvenirs qu'elle a jusqu'à présent préféré garder enfouis au plus profond d'elle-même ?

C'est sur le chemin de ces souvenirs que nous accompagnons Lisey. Le couple qu'elle formait avec Scott pouvait par bien des aspects être qualifié d'"idéal" : ils éprouvaient l'un pour l'autre un amour et une confiance indéfectibles, et parlaient même un langage qui leur était propre, auquel l'écrivain avait initié sa femme, composé de jeux de mots, de termes inventés, qui souvent la faisaient rire. Mais elle savait aussi que la volubilité -orale et littéraire- de son mari camouflait une part ô combien obscure de lui-même, Lisey et l'écriture représentant quant à elles la part de lumière de son existence.

C'est à une incursion sur la frontière qui sépare la raison de la folie que nous invite Stephen King, explorant à la fois les mécanismes qui font basculer dans la démence et ceux que l'esprit met en oeuvre pour résister à ses démons, en les maintenant dans le déni, ou en les exorcisant par l'écriture, par exemple. Tout cela en jouant avec nos nerfs, ainsi qu'il sait si bien le faire, en instillant en nous le sourd pressentiment que le pire est toujours à deux doigts de se produire, et en nous interpellant sur nos propres frayeurs, celles, irraisonnées mais incontrôlables, qui sont issues de l'enfance (la peur du noir, ou des monstres...). Et ce qui fait véritablement froid dans le dos, et que l'on retrouve dans nombre de ses romans, c'est que l'auteur parvient -presque ?- à nous persuader que l'horreur est autant à l'intérieur de nous, que le fait d'une cause extérieure. Oui, car bien que Stephen King, dans "Histoire de Lisey", rende visible la face obscure de l'esprit, en la matérialisant sous la forme d'un monde et de créatures imaginaires, je n'ai pu m'empêcher de penser qu'il s'agissait là d'une parabole lui permettant de décrire le puits insondables des dérèglements de l'inconscient. Un puits qui, s'il est le réservoir de notre monstruosité, peut aussi se révéler être celui de notre créativité et de l'expression de nos plus chers désirs.

Il y a bien longtemps que je n'avais pas lu de roman du "maître de l'horreur", et il m'a époustoufflée. Il déploie dans ce récit une inventivité incroyable et une très grande maîtrise de l'intensité dramatique. Je me suis attachée à la courageuse Lisey et à son malheureux mari d'autant plus facilement qu'en dépit de l'aspect tragique de leur histoire, ils font preuve d'une générosité et d'une affection l'un envers l'autre très émouvantes.

Nard ! Fin !

Lire les avis de Thom, Ananke et Laiezza.

mercredi 2 décembre 2009

"Le livre des illusions" - Paul Auster

Discussion de comptoir, par Ingannmic et Zaph


- Tiens, salut Zaph, ça va ? Que lis-tu, en ce moment ?

- Ing, tu sais très bien ce que je lis, puisqu'on a décidé de le lire ensemble. Je lis "The book of illusions" de Paul Auster (sauf que moi, je le lis en VO, nananère). C'est pas parce que tu l'as terminé depuis une semaine qu'il faut en profiter pour rappeler une fois de plus que je suis un gros lambin !

- C'est vrai, où avais-je la tête (loin de moi l'idée de me moquer de toi, pour qui me prends-tu) ?
Et qu'en as-tu pensé ? En ce qui me concerne j'ai beaucoup aimé, surtout le procédé qu'utilise Paul Auster pour imbriquer les histoires les unes dans les autres...

- Moi aussi, j'ai beaucoup aimé. C'est vrai, je suis d'accord sur le procédé. Mais ce qui est remarquable, c'est qu'il ne semble pas du tout lourd. Pourtant, j'ai eu peur un moment, parce que raconter un film pendant des pages et des pages, c'est périlleux ! Mais Auster réussit à le faire très bien passer.
Et puis, ce qui est stimulant, c'est que non seulement les histoires sont imbriquées, mais elles se répondent de manière très subtile. Je ne suis pas sûr d'avoir détecté toutes les correspondances.

- Moi non plus.
Ce qui est fort, quand même, c'est qu'il parvient à nous absorber dans un espace-temps à part. Je m'explique : quand il nous raconte en détail les films d'Hector Mann, on oublie qu'on est en train de lire un roman qui lui-même parle d'un livre qui traite de ces films... pour être entièrement plongé dans ledit film ! Je crois que c'est dù au style très simple et descriptif de l'auteur : il s'oublie pour laisser la place à l'histoire et aux faits. Du coup, ça laisse la part belle à l'imagination du lecteur.

- Pour parler du thème (d'un des thèmes), il y a un rapport clair entre la destruction d'une oeuvre et la mort de son auteur, non ? On dit que les oeuvres d'art sont éternelles, ou confèrent une sorte d'immortalité à leur auteur. Est-ce que pour vraiment tuer un artiste, il faut aussi détruire son oeuvre ? Finalement, il n'y a que Chateaubriand qui s'en sort bien, dans l'histoire...

- Oui, si l'on considère que l'artiste recherche l'immortalité et la reconnaissance. Dans le cas d'Hector Mann, il m'a semblé que l'art était plus un but en soi qu'un moyen, puisqu'il n'a pas l'occasion de partager ses créations avec un public. En même temps, il semble le regretter puisqu'il considère cette non-diffusion de ses oeuvres comme une punition... mais il ne peut s'empêcher malgré tout de créer, et ce, sans les contraintes et les influences que peuvent habituellement subir les artistes, lorsqu'ils doivent rendre des comptes, se plier aux exigences commerciales du marché. Et il en résulte des oeuvres véritablement originales, novatrices. Serait-ce cela, l'art véritable ? Celui qui se suffit à lui-même, et dont la seule conception serait pour l"artiste un aboutissement ?
A vrai dire, Paul Auster m'a donné l'impression de poser ces questions sans donner de réponse, parce qu'il n'y a sans doute pas de réponse, tout simplement. Il explore, et nous fait explorer en même temps, les mécanismes qui poussent l'homme à réaliser des oeuvres d'art, et ceux qui poussent d'autres hommes à ressentir ces oeuvres, à être fascinés par elles... avec l'exemple de Zimmer, le personnage écrivain, qui lui, se plonge dans l'étude des films d'Hector Mann par instinct de survie, comme une bouée à laquelle il se raccroche pour ne pas sombrer après la mort de sa famille. Ainsi qu'il le dit lui-même, "(...) c'était alors pour moi la seule façon de vivre sans m'écrouler en morceaux".

- Oui, d'ailleurs, je ne parlais pas tellement de la diffusion de l'oeuvre, mais de sa simple existence. Mais c'est vrai que les interprétations sont multiples, et c'est ce qui est chouette.
Un autre aspect qui m'a marqué, c'est que malgré l'histoire à couches, les personnages sont bien dessinée. Même Hector Mann qui n'est présenté que de manière indirecte, est un personnage qui acquiert finalement une certaine richesse. Même les personnages secondaires sont habilement brossés, tu ne trouves pas ?

- C'est vrai. J'ai lu deux ou trois autres livres depuis, et pourtant, je me souviens très bien de tous ces personnages, y compris de ceux qui n'apparaissent qu'un court laps de temps, et aussi de ceux qui apparaissent dans les films d'Hector ! Je crois que c'est parce que comme je le disais plus haut, le style d'Auster exhorte le lecteur à l'imagination, et du coup, on s'investit complètement dans la lecture : on "voit" les personnages, et c'est vrai qu'en cela son style descriptif nous aide beaucoup. En fait, son livre est comme un film écrit...

- C'est sûr, il a le truc pour créer des personnages.
Je me souviens aussi des personnages de "Brooklyn follies" que j'ai lu il y a un bout de temps. En fait, je crois que je préfère encore celui-là. Mais c'est marrant, il parle aussi des thèmes de l'écriture et de la mort. Et toi, tu as lu d'autres livres d'Auster ? Quel est ton préféré ?

- Ma connaissance de cet auteur est très limitée : avant "Le livre des illusions", je n'avais lu que "Cité de verre" et "Revenants", qui sont les deux premiers volumes de ce qu'il a appelé sa "trilogie New-Yorkaise". J'avais bien aimé ces singuliers petits ouvrages (surtout le premier), que j'ai trouvés originaux. Mais j'ai tout de même préféré celui-là, et nul doute que j'en lirai d'autres (pourquoi pas "Brooklin Follies", justement ?).

- Ah, celui-là, je te le conseille. Je suis sûr que tu aimeras !
Lire aussi l'avis de Thom

mardi 1 décembre 2009

"Vingt-quatre heures de la vie d'une femme" - Stefan Zweig

C'est un complot, par Zaph


J'avais pas spécialement l'intention de lire "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme", de Stefan Zweig. Même pas du tout.
Non, moi je voulais lire "Le joueur d'échecs", du même auteur. Comme j'avais déjà lu "Le maître de go", de Kawabata, je me disais que ça faisait un beau programme : les deux plus beaux jeux d'esprit évoqués par deux auteurs suicidés. J'aurais pu ainsi m'adonner à la littérature comparée (le troisième plus beau jeu d'esprit).
Mais on croirait que les lecteurs de ma bibliothèque sont à l'origine d'un grand complot pour m'empêcher de suivre peinard mon programme de lecture. Tous les exemplaires du "joueur d'échecs" étaient empruntés jusqu'à la fin du monde. Alors, voilà, je me retrouve avec "Vingt-quatre heures de la vie d'une femme".
Bon, ce livre n'est pas si mauvais. Surtout après un certain retournement de situation (quoique un peu attendu quand-même) que je ne vais pas révéler pour préserver l'intérêt de ceux qui n'ont pas encore lu le livre. L'histoire est bien construite, et le style, malgré un caractère un peu désuet, n'est pas désagréable.
Mais quelque chose m'ennuie. C'est que le ressort de l'histoire repose principalement sur une rigidité morale et des conventions qui ne sont plus guère de mise aujourd'hui. Au fond, cette femme (qui par ailleurs est veuve) ne fait que s'offrir une petite partie de jambes en l'air pour son plus grand bien et celui de son amant. Est-ce qu'il y a là de quoi la plonger dans des abîmes de culpabilité et de honte pour le reste de sa vie ? Non, vraiment, ce genre de romantisme là ne me branche pas.