mardi 31 mars 2009

Bilan Daphné Du Maurier

Voici venu le temps, pour notre aristochatte cornouaillaise, de faire place à son successeur...
Mais avant cela, laissons la parole à ceux qui ont (re)découvert la belle Daphné, et qui nous livrent ici le bilan de leur(s) lecture(s) :


Zaph :
J'ai eu beaucoup de plaisir à relire "La maison sur le rivage", un très ancien coup de cœur qui me fait toujours autant d'effet de nombreuses années après. J'ai bien aimé aussi Rebecca, que j'ai toutefois trouvé un peu plus conventionnel. Et vous m'avez donné envie de lire son recueil de nouvelles !

Thom :
Je trouvais, avant ce cycle, que Daphné Du Maurier était une grande auteure. Aussi incroyable que ça puisse paraitre, je le pense toujours.
J'ai découvert une écrivaine un peu désuète mais quasiment toujours prenante et je compte relire Le Général du Roi après vos critiques élogieuses!

Sandrounette :
Une excellente découverte pour cette première femme Aristochat. Son style est poétique et arrive à toucher le lecteur jusqu'aux tripes. Rebecca est encore dans ma PAL faute de temps mais je mettrai un point d'honneur à le dévorer!

Ingannmic :
J'avais lu plusieurs romans de cette auteure il y a bien longtemps, et c'est avec plaisir que je me suis replongée dans ses ambiances particulières, que j'ai redécouvert son talent pour dépeindre ses personnages. C'est vrai que, comme Sandrine, j'ai trouvé que certains de ses récits avaient pris quelques rides, mais d'autres restent au contraire tellement actuels et puis, tout simplement, elle écrit si bien, qu'au final, je ressors de cette session "aristochat" avec une impression plus que positive!

lundi 30 mars 2009

"Le Livre des Jours" - Michael Cunningham

Et tel le reflux des marées..., par Thom


... l'histoire n'est qu'un éternel recommencement.

Tel est l'axiome, finalement simple, que ce roman très complexe s'attèle à démontrer par le biais d'une construction plutôt intéressante du point de vue conceptuel : trois époques, passé - présent - avenir ; trois histoires ; trois sociétés. Les unes répondant bien sûr en permanence aux autres. Points communs entre ces trois parties ? Un lieu (Manhattan). Des personnages similaires (enfant, jeune femme et vieillard) aux patronymes identiques, une violence sociale omniprésente et surtout, surtout, les vers de Whitman (poète libertaire incontournable doublé d'un théoricien habile, véritable statue du commandeur dans son pays - le Victor Hugo américain si vous voulez...).

Le projet est donc des plus imposants... osera t'on ajouter : un peu trop pour les frêles épaules de Cunningham, auteur intéressant mais par trop inconstant ? On ose ! On pourrait même dire que ce triple roman est à sa manière une métaphore habile de l'œuvre entière de Cunningham... c'est à dire : en dents de scie, parcouru par autant d'incroyables fulgurances que de lourdeurs caractéristiques de l'auteur « The Hours ».

Concrètement (comme dirait David Pujadas) cela se traduit par une première partie (In The Machine) captivante, une plongée en plein « Gangs Of New York » nageant aux confins du surnaturel. Personnages attachants et atmosphère troublante, à vrai dire on aurait bien envie d'en recommander une louche à l'auteur - cette fois-ci sur un roman entier. Les choses se gâtent hélas juste après, lorsque l'auteur nous ramène à l'époque contemporaine. Visiblement intimidé à l'idée d'évoquer le traumatisme post-11 septembre avec trop peu de recul, Cunningham pose des questions plutôt intéressantes sur le rapport à l'image et à la violence mais ne prend pas le temps d'approfondir et expédie le tout en quelques pages - sans doute était-il pressé de rédiger une partie plus ludique se déroulant cent-cinquante ans plus tard. Mal lui en a pris : Like the Beauty, ultime volet de son triptyque, laisse pantois tant il enfonce les portes ouvertes et accumule les lieux communs SF. Jugement sans doute un peu sévère, mais on est en droit d'attendre d'un auteur non spécialisé dans le genre qu'il lui apporte quelque chose - en l'occurrence qu'il s'approprie l'essence de la SF plutôt que ses gimmicks. Cette dernière partie est si mauvaise et contrariante (car jusqu'alors le livre tenait la route en dépit de ses imperfections) qu'on est presque tenté de relire le début, histoire d'être sûr qu'il s'agit bien du même ouvrage du même auteur...

Que dire pour conclure ? Difficile de dégager un seul avis - on aurait presque préféré que Cunningham publie trois livres distincts, une trilogie inégale qui aurait eu le mérite paradoxal de clairement décliner en qualité, plutôt que ce roman unique qui démarre tambour battant pour mieux plonger le lecteur dans la plus profonde perplexité. Sans doute pas un mauvais livre ; plutôt un édifice aussi ambitieux que bancal qui finit par interroger quant à l'identité littéraire d'un auteur qui, le cas échéant, chasse successivement sur les terres de Dickens, de Roth et d'Asimov, sans jamais hélas parvenir à se rappeler où il habite. Dommage...

L'avis d'Ingannmic.

dimanche 29 mars 2009

"Mad" - Daphné du Maurier

Surprenante et clairvoyante Daphné, par Ingannmic.


Emma est la petite-fille de Mad (diminutif de «Madame»), une presqu’octogénaire qui a connu son heure de gloire en tant qu’actrice. A la fin de sa carrière, elle s’est retirée dans sa Cornouailles natale avec les six garçons qu’elle a adoptés (âgés de 6 à 18 ans), Dottie, sa fidèle costumière reconvertie en cuisinière, et Emma.
Cette dernière est une jeune fille un peu naïve, facilement choquée par les excentricités de sa grand-mère et sa trop grande permissivité envers ses enfants adoptifs.
De plus, les événements inattendus qui viennent bouleverser l’existence de cette famille atypique vont la plonger dans un certain désarroi…

« Mad » est le dernier roman de Daphné Du Maurier (elle n’écrira plus ensuite qu’un recueil de nouvelles et un livre sur la Cornouailles). Publié en 1972, son action se situe en l’an 2000. C’est donc au roman d’anticipation que l’auteure s’essaye ici, ce qui m’a un peu surprise au départ (je n’avais pas lu la 4ème de couverture… )
A l’aube de ce XIXème siècle, le Royaume-Uni vient de rompre avec l’Europe en quittant le marché commun, et a conclu, sans consultation préalable de la population, une alliance avec les Etats-Unis, concrétisée par la fondation de l’ «Euru». Ce rapprochement forcé n’est pas vraiment du goût de Mad et des habitants de son village, qui vont organiser un mouvement de résistance contre cet occupant américain censé être un allié, mais qu’ils jugent un peu trop envahissant. En effet, afin de prévenir toute contestation d’éventuels réfractaires à cet accord entre les deux nations, des troupes armées se sont installées dans la région.

Daphné Du Maurier se sort avec les honneurs de cet exercice assez inhabituel. Le ton est divertissant, notamment grâce au personnage très théâtral de Mad et aux facéties de ses garçons, ainsi qu’à sa façon d’opposer le bon sens des gens simples aux manœuvres intéressées et hypocrites de ceux qui les gouvernent, qui sont trop facilement enclins à considérer ces premiers comme des imbéciles. L’attitude de Mad en est d’ailleurs très représentative : elle joue sans cesse à se faire passer pour plus stupide qu’elle ne l’est afin assener à ses interlocuteurs d’évidentes vérités qu’ils n’aiment pas vraiment entendre…
L’auteure parvient, sous couvert de cet humour, à porter sans en avoir l’air un regard lucide et critique sur le contexte politique de son époque, et à faire preuve de clairvoyance concernant celui du futur.
En effet, l’avenir qu’elle imagine voit le chômage augmenter et le fossé entre les riches et les pauvres se creuser, les premiers voyageant en jet pour régler d’opaques transactions financières, pendant que les seconds, rêvant de contrées plus généreuses, ne pensent qu’à émigrer... Très juste aussi, sa vision des médias (journaux, radios et télévision), qui en accord avec le pouvoir, plébiscitent uniformément la nouvelle alliance formée avec les Etats-Unis. Et ce qui m’a le plus étonnée est sa virulence envers le comportement de ces américains, présentés ici comme des envahisseurs convaincus de leur supériorité (j’ai même cru relever une cinglante allusion à la guerre du Vietnam…), et incapables de saisir la subtilité des particularités régionales qui font la richesse, eh bien… des Cornouaillais, par exemple !
Il fallait oser s’attaquer ainsi à ceux habituellement considérés comme les alliés de toujours !

Et du coup, vu le ton de l'ensemble du récit, je ne peux m'empêcher de penser que le titre choisi par D. Du Maurier est sujet à une double interprétation...

samedi 28 mars 2009

"Le Brasier de l'Ange" - James Lee Burke

Small Sur, par Thom

James Lee Burke est un sacré auteur. Ca ne vient pas de sortir, et la plupart des amateurs de roman noir le savent depuis trente voire quarante ans. On lui doit au moins un chef d'œuvre (« The Lost Get Back Boogie »), une demi-douzaine de très grands livres (citons entre autres « Black Cherry Blues » et « Cadillac Jukebox »), mais même dans un ouvrage mineur comme « Burning Angel » il distille avec malice une petite musique (jazzy - forcément jazzy) à laquelle il est bien difficile de résister.

En apparence il s'agit d'une histoire d'expropriation comme les affectionne tout héritier de Jim Thompson qui se respecte : le nouveau propriétaire veut expulser les métayers de la famille depuis plusieurs générations, mais pourquoi donc, mais comment ça, mais vont-ils réussir à s'en sortir et nom d'une pipe : quel secret recèle cette terre pour ainsi déchaîner les passions ? Rien de nouveau sous le soleil : rien ne ressemble plus à une fiction terroir de France 3 qu'une intrigue de James Lee Burke. On ne se refait pas, et comme de juste l'intérêt est ailleurs. Dans l'étude de mœurs, dans la dissection de cette petite communauté de Louisiane, dans le caractère énigmatique du héros - l'inénarrable Dave Robicheaux (bien connu des lecteurs de l'auteur).


Lisant cela, certains habitués de ces pages retiennent leur souffle : oui, chers amis, « Burning Angel » se déroule bel et bien dans un petit patelin. Joie ! Bonheur ! Burke est un des tous meilleurs dans cet exercice de déconstruction, parmi les rares sans doute qui puissent rivaliser avec Faulkner - avec lequel il partage par ailleurs nombre d'obsessions. Clés de l'avenir planquées dans le passé, racisme sudiste patent, désespoir des couches les plus populaires face à un monde en plein bouleversement... difficile (sinon impossible) de ne pas penser à « The Mansion » - le plus dur (et le plus méconnu) de tous les romans de l'Autre Grand William.

Avec en prime tout ce qui fait la marque de Burke, ambiance New Orleans, whisky à gogo (ceci n'est pas un jeu de mots), écriture fluide et humour vache - comme tous les grands désespérés cet auteur est un immense blagueur. Si vous aimez le roman noir, vous seriez bien bêtes d'hésiter...

...

vendredi 27 mars 2009

« Ma cousine Rachel » – Du Maurier

Chère cousine… par Sandrine

Ambroise, homme sans désir de femme ni d’enfant décide d’adopter un de ses petits cousins, Philip, le modèle à son image, lui destine ses terres et lui apprends les joies de l’homme célibataire qu’accueille chaque soir sa bibliothèque, son verre et ses chiens. Tout est parfait jusqu’au jour ou il se parjure en tombant amoureux d’une de ses cousines rencontrée en voyage de santé, loin de Philip. Tenu au courant par lettres lointaines et peu fréquentes, il apprendra le mariage de son protecteur et de Rachel, puis doucement l’angoisse d’Ambroise face à une cousine Rachel qui semble montrer d’elle une face cachée. Et quand il se décidera à aller en Italie voir son cousin, il arrivera trop tard, Ambroise est mort, peut-être d’une maladie héréditaire…

Mais voilà, le jeune homme n’a jamais rencontré Rachel, et elle vient en Angleterre apporter les effets de son défunt mari. Ils se voient, Philip se rend compte qu’elle n’est pas la vieille harpie qu’il avait imaginé, elle se rend compte de la ressemblance troublante du jeune homme avec son aîné. Mais est –elle cette femme manipulatrice et avide d’argent qu’Ambroise, éreinté par la maladie, a décrit dans une de ses dernières lettres ou est-elle victime d’une mauvaise appréciation induite par la paranoïa de l’homme dans ses derniers moments ?

J’ai adoré ce livre, les personnages ont une vraie personnalité, Philip est à baffer, il n’a aucune considération des gens l’entourant, d’une arrogance et d’un égoïsme impressionnant, ce « héros » de Du Maurier n’est pas le gendre idéal, bien au contraire. Le moment où il s’installe, content de lui, dans la bibliothèque après la mort de son protecteur donne envie que l’auteur s’acharne de toutes ses forces sur lui…ce qu’elle fera et c’est cela que j’ai apprécié, que l’auteur préfère visiblement son personnage plus ambigu, Rachel, à ce petit prétentieux… Mais morale sauve évidemment, malgré quelques sursauts de l’auteur.

Voir aussi la critique de Gaël

jeudi 26 mars 2009

"Les magiciennes" - Boileau & Narcejac

Les illusionnistes du crime, par Thom


La première page du roman raconte un début de matinée : un mois plus tôt la police a retrouvé le cadavre d’une jeune femme, une magicienne. L’affaire a été rapidement classée, et voici qu’un inconnu vient interroger le commissaire sur ce qu’est devenue l'autre. Quelle autre ? La sœur de la victime. Dont on n’a pas retrouvé la moindre trace, ni morte ni vive.

La dernière page du roman raconte la fin de cette journée, l’incroyable dénouement de cette histoire.

Entre les deux, Boileau et Narcejac proposent au lecteur une plongée dans l’univers du cirque, des illusionnistes… un monde étrange, parallèle au nôtre et obéissant à ses propres codes. Un monde dont l’antihéros de cette aventure, Doutre, fait partie tout en en étant systématiquement violemment rejeté.

Alors Doutre se réfugie dans un troisième monde, obscur et torturé : celui de son âme, que les deux auteurs radioscopient avec la virtuosité qu’on leur connaît dans leurs plus brillants ouvrages.

A sa manière d’ailleurs « Les magiciennes » peut être considéré comme le plus boileaunarcejacien de tous les livres de Boileau & Narcejac : sa construction me semble une définition parfaite de leur œuvre. C’eut pu être une simple nouvelle : la première et la dernière pages se suffisent en elles-mêmes. Ne pas lire ce qu’il y a au milieu ne poserait aucun problème de compréhension de l’intrigue… mais tuerait tout l’intérêt du roman. Car cet intérêt réside entre les deux et n’est pas à strictement parler l’intrigue – comme vous l’aurez compris. Comme dans tous leurs meilleurs romans, Boileau & Narcejac se contrefichent du Qui ? et du Comment ?... seul leur importe le Pourquoi ?, question fondamentale du roman policier d’aujourd’hui dont se préoccupaient bien peu les auteurs de polars de leur temps. A la limite on se fout, même, de savoir ce qu’est devenue la seconde magicienne. Quelle importance puisqu’on fait sa connaissance dès la page deux et qu’elle se révèle au fil du récit suffisamment fascinante pour déchaîner les violentes passions amenant au dénouement ? Lequel est finalement expédié en trois paragaphes, parce que très franchement, tout a été dit avant.

mercredi 25 mars 2009

"Jazz" - Toni Morrison

Envoûtement rythmique, par Ingannmic.

1926, un quartier noir d'une ville des Etats-Unis... Joe Trace assassine Dorcas, sa jeune maîtresse dont Violette, l'épouse trompée et furieuse, taillade le visage au couteau lors de ses obsèques. Perturbés par ces événements, les Trace continuent néanmoins à vivre ensemble, malgré les silences de Violette et le chagrin de Joe, car ils sont liés par un amour indéfectible et de longue date.
D'allers-retours entre passé et présent en évocations de souvenirs, de témoignages sur la condition des noirs de l'époque en portraits de "la Ville", personnage à part entière du roman, l'écriture de T.Morrison est cadencée, voire hypnotique. J'ai vraiment eu du mal à me plonger dans ce livre, dont la lecture me paraissait par moments laborieuse, les métaphores utilisées trop énigmatiques. Je devais même relire certains passages pour comprendre de quoi il y était question..
Malgré tout, au fur et à mesure de cette lecture, j'ai fini par trouver "Jazz" envoûtant, et par me passionner pour l'histoire de ses personnages au passé bancal, généreux et durs à la tâche en dépit des discriminations dont ils sont victimes... et l'amour que se portent Joe et Violette m'a extrêmement touchée.
Il reste un dernier mystère : je ne sais toujours pas qui est la narratrice qui prend la parole tout au long du roman. Est-ce une personnification de la ville ?, de la musique ? Alors, avis aux amateurs d'énigmes... si quelqu'un lit ou a lu Jazz, peut-il (elle) me dire ce qu'il (elle) en pense ?!

mardi 24 mars 2009

"Les Oiseaux et autres nouvelles" - Daphne du Maurier


Nouvelles à picorer par Sandrine


Recueil de nouvelles ni trop longues ni trop courtes pour la plupart, sujets bien construit, qui font monter doucement la tension : bilan positif pour moi !


« Les Oiseaux », histoire mondialement connue de par l’adaptation d’un certain Alfred H. me plaît bien plus que le film, pour cette angoisse diffuse, pour la fin ouverte, pour les caractères des personnages.
« Le Pommier », intéressant. Est-ce une culpabilité très enfouie qui fait que ce veuf croit voir dans un vieux pommier la représentation de sa défunte femme ? Ou l’angoisse de je jamais la voir sortir de sa vie ?
« Encore un baiser » aurait mérité plus d’approfondissement ou d’inspiration...
« Le Vieux », la nouvelle la plus courte du recueil, celle qui m’a eue par sa fin inattendue !
« Mobile inconnu » raconte l’enquête d’un détective pour comprendre ce qui a poussé une jeune femme ayant tout pour être heureuse au suicide. De fil en aiguille se tisse autour de cette femme une terrible histoire, quelque peu tirée par les cheveux mais prenante.
« Le petit photographe » ou comment passer le temps quand on est très belle, très riche et relativement idiote…
« Une seconde d’éternité », un peu trop longue et prévisible mais qui ne peut que ravir les fanatiques de cette bonne vieille série « La quatrième dimension » !!!

Voir aussi la critique d'Ingannmic

lundi 23 mars 2009

"American darling" - Russell Banks

Une page d'histoire en noir et blanc, par Ingannmic.


Il y a 11 ans, Hannah Musgrave, une blanche américaine, a quitté précipitamment le Libéria, où elle vivait mariée à Woodrow, un membre du gouvernement. C’est l’assassinat de son époux et le déclenchement d’une terrible guerre civile qui a motivé ce départ. Elle a laissé sur place ses trois fils, dont elle n’a plus eu de nouvelles.
De retour aux Etats-Unis, elle a racheté une ferme dans les Adirondacks, où elle pratique l’élevage biologique. Voici un an qu’elle a soudainement ressenti le besoin de repartir en Afrique afin de tenter de découvrir ce qu’il est advenu de ses garçons.
Revenue de cette quête, Hannah nous raconte ce qu’elle a découvert, et en remontant encore beaucoup plus loin dans ses souvenirs, elle évoque les événements et les raisons qui l’ont menée en Afrique, puis ceux qui l’ont poussée à la fuir.

Ce roman m’a passionné ! En suivant le parcours hors du commun d’Hannah, des Etats-Unis à l’Afrique, des années 60 à l’aube du XXIème siècle, le lecteur découvre une page de l’histoire américaine vue sous l’éclairage des aspirations et de l’état d’esprit d’une jeunesse issue d’un milieu intellectuellement et matériellement favorisé. En période de guerre froide, ces jeunes ont puisé dans des événements tels que la guerre du Viet-Nam ou la crise de Cuba, les motivations de leur engagement politique et philosophique, qui les mène parfois jusqu’à un activisme terroriste. C’est notamment le cas d’Hannah, qui considère que seul le radicalisme et le refus de toute concession peuvent servir son idéalisme, et qui devient dans son pays une criminelle recherchée.
Paradoxalement, elle porte sur son engagement et celui des autres un regard assez critique, s’interrogeant sur ses motivations profondes : est-ce par sentiment de culpabilité, parce qu’elle se sent injustement privilégiée ? Ou éprouve-t-elle le besoin d’être reconnue pour ce qu’elle est capable d’accomplir, seule, et loin d’un cercle familial où elle n’a jamais véritablement trouvé sa place ? D’autres s’accommodent avec moins de scrupule de leur opportunisme, tel son camarade Zack, qui passe de l’humanitaire au trafic d’œuvres d’art africaines, dès lors que les facilités financières accordées par papa et maman prennent fin.
Toujours est-il que c’est par l’entremise de ce même Zack qu’Hannah échoue en Afrique, où elle se dissimule sous une fausse identité, et qui est de plus le lieu rêvé pour vivre en adéquation avec ses théories sur l’égalité raciale. Là aussi, l’ironie de la situation finit par la rattraper : c’est elle qui finit par souffrir de ségrégation. Entre l’Afrique et les Etats-unis, les différences sont trop grandes, le fossé entre les deux cultures immense, et épouser un libérien n’y change rien… elle est toujours d’abord considérée en tant que blanche américaine.

Russell Banks entremêle Histoire et fiction de façon complètement crédible, et fait d’Hannah un personnage très marquant. Curieusement, je l’ai trouvée attachante : c’est vrai qu’elle fait preuve d’un détachement et d’un froid pragmatisme qui confinent à l’insensibilité, et d’ailleurs elle le reconnaît elle-même, car à aucun moment en revanche on ne peut l’accuser d’être auto-complaisante. Elle avoue ne se sentir aucun instinct maternel, avoir l’impression d’éprouver davantage d’affection pour les chimpanzés dont elle s’occupe que pour ses propres enfants… Et pourtant, le fait qu’elle se pose souvent des questions sur son absence d’émotions, comme si elle tentait de découvrir celle qu’elle est vraiment, derrière cette femme forte et entière, la rend touchante, je trouve.

Tout m’a plu dans « American Darling » : l’histoire (l’Histoire, aussi !), les personnages, l’écriture. Un roman très riche et très enrichissant…



Lire aussi l'avis de Céline.

dimanche 22 mars 2009

"Parfum de glace" - Yôko Ogawa

Le chant envoûtant du paon par Sandrounette

Que faire lorsque son compagnon se suicide? Voici le point de départ de ce roman plus qu'étrange... Ryoko est une jeune japonaise d'une trentaine d'année confrontée un beau jour à un coup de téléphone fatidique qui lui annonce le suicide de Hiroyuki, créateur de parfum. Je ne dévoile rien du suspens puisqu'il s'agit de l'incipit du roman. La grande question est pourquoi. Pourquoi un homme qui, à priori, n'a rien d'un dépressif met fin à ses jours?

Ryoko va essayer de reconstituer les pièces du puzzle de l'enfance de son amant. Prétexte de l'auteur pour s'attaquer à un sujet beaucoup plus profond: moi et autrui. Tout autour de soi n'est qu'illusion et faux-semblant. Alors qu'elle vivait avec cet homme depuis un an, elle ne le découvre qu'après sa mort. En refoulant le chemin de son enfance, Ryoko apprend les différentes facettes de son défunt compagnon: tour à tour nez, mathématicien de génie, aide pour les enfants aveugles et patineur artistique de haut vol, il apparaît en filigrane, aussi léger et évanescent que "Source de mémoire", fragrance créee pour Ryoko.

Plusieurs sentiments se mêlent à la lecture de ce Parfum de glace. Tout d'abord le lecteur est dérouté. Il est comme enveloppé dans un nuage d'encens qui trouble la perception de la réalité. Ryoko est en train de faire son deuil en partant en pélerinage sur les traces de son amour perdu et tout se brouille sans pour autant laisser le lecteur de côté. Car, finalement, le plus important n'est pas de savoir pourquoi Hiroyuki s'est suicidé (d'ailleurs on ne connaît toujours pas la raison lorsque l'on referme le roman) mais de (res) sentir. A pas feutrés, Yôko Ogawa nous accompagne dans le domaine de l'intime et de l'impalpable, là où seule la magie poétique peut fonctionner.


samedi 21 mars 2009

"La Théorie du Panda" - Pascal Garnier

Le bonheur n’arrive jamais deux fois, par Livrovore

Gabriel arrive dans une petite ville de Bretagne. Il ne connaît personne. On ne sait pas qui il est ni pourquoi il est là. Petit à petit, il se lie avec plusieurs personnes : la réceptionniste de son hôtel, une jeune fille qui s’ennuie. José le patron du Faro (la brasserie du coin) qui se retrouve seul pendant l’hospitalisation de sa femme. Et un couple de junkies paumés amoureux. Gabriel ne fait qu’être là, les écouter, leur faire à manger ou les accompagner. Mais il semble leur apporter un peu de bonheur.

Le récit se déroule doucement, petit à petit. On ne sait rien de Gabriel mais on devine qu’il porte en lui des blessures. Il semble prendre la vie comme elle vient, sans rien ressentir. De temps en temps, quelques paragraphes en italique font ressurgir des moments de son passé, et insensiblement on avance jusqu’à ce qui fait mal. On suit au début avec insouciance ce personnage troublant, et puis on avance dans l’histoire en souriant tout en sentant que se cache derrière un fantôme, que tout ça n’est pas si simple et peut-être beaucoup plus sombre. La structure du roman est particulièrement bien montée.

L’auteur est cynique, l'humour est noir. On rit beaucoup à la lecture du roman. Il mêle bonheur et malheur si bien qu’on dirait la vraie vie. La question que nous pose Pascal Garnier avec « la Théorie du Panda » est de savoir si le bonheur peut arriver plus d’une fois dans une vie. Quand on a été heureux, doit-on forcément souffrir après ? Ne devrait-on pas arrêter sa vie à l’apogée du bonheur pour ne pas le perdre ?

Le Panda en peluche que Gabriel a gagné dans une fête foraine, lui, trône pendant tout ce temps, assis sur le comptoir du Faro, toujours souriant. Insensible et béat quoi qu’il arrive.

vendredi 20 mars 2009

"Mister Pip" - Lloyd Jones

Trésor à conserver, par Anne.


Si vous avez lu "Great Expectations" vous connaissez Mister Pip. Dans ce livre de Charles Dickens, Mister Pip est le personnage principal, c’est le garçon "who was to be brought up as a gentleman - in a word as a young fellow of great expectations".
Dans le livre de Lloyd Jones aussi, Pip est l'un des personnages principaux. Il commence son rôle quand sur une île du Pacifique éclate une guerre civile. Ceux qui le peuvent s’enfuient de l’île et puis plus rien ni personne n’y entre ou n'en sort. Il ne reste qu’un seul blanc, Pop Eye. Pop Eye - Mr. Watts - est marié avec Grace, une femme de l’île. C’est un homme que l'on trouve un peu bizarre, un couple assez mystérieux. Mais c’est ce même Mr. Watts qui, puisqu’il n’y a plus de professeur, décide de rouvrir l’école et d'assurer lui-même les cours, sans livres ni cahiers. Il admet qu’il n’a pas beaucoup à donner, mais qu’il fera de son mieux et qu’il va leur faire connaître Mr Dickens.
Chaque jour il lit un chapitre du livre "Great Expectations" et ainsi il commence à meubler les têtes des enfants.
Mr. Watts invite aussi les parents à partager leurs expériences de la vie. Un par un ils transmettent leur savoir : l’un sur la couleur bleu, l’autre sur les poissons, encore un autre sur le diable. Ensemble ils créent ainsi pour les enfants l’encyclopédie de l’île.
Le livre de Dickens est très prenant : Mr. Pip devient un ami, le livre un endroit où se cacher, l’histoire une vie que l'on s'invente. Pip devient même tellement réel que les guerriers vont demander à ce que leur soit livré ce monsieur si important qu’on leur cache.
En ces temps difficiles de conflit, où les atrocités des deux parties, les rebelles et les Peaux-rouges, approchent de plus en plus le petit village, les leçons et les histoires de Mr. Watts aident les habitants à continuer leur existence. Une existence qui par moments semble sans avenir.
J’ai dû fermer le livre de temps en temps pour respirer un peu ; parfois pour regoûter encore quelques beaux passages, parfois parce que les événements décrits étaient trop durs, trop violents à digérer. Mister Pip est une histoire très émouvante et surtout très, très belle. C’est un livre qui ne vous lâche plus. Quand je l’ai fini, c’est avec regret que je l’ai mis sur la pile des livres à remporter à la bibliothèque. C’est un petit trésor. Je veux le garder chez moi. Je vais l’acheter.

jeudi 19 mars 2009

"La solitude des nombres premiers" - Paolo Giordano

Quand l'analyse tue l'émotion, par Ingannmic.

Suite à un accident de ski, Alice est devenue boiteuse, et à l’âge de l’adolescence, cette infirmité couplée à des relations difficiles avec son père la pousse vers l’anorexie.
Mattia ressent lui aussi le besoin d’infliger des blessures à son corps depuis la disparition, alors qu’il était chargé de la surveiller, de sa sœur jumelle. Solitaire à l’extrême, il a développé pour les mathématiques des aptitudes hors normes.
Rongés par leur mal-être, les deux adolescents vont se reconnaître et se rapprocher.

« La solitude des nombres premiers » se lit très facilement. On entre rapidement dans l’histoire de ces jeunes à la vie bancale, que leurs différences marginalisent, qui pour se protéger du monde extérieur, et parce qu’ils ne se sentent pas dignes d’être heureux et aimés, se retranchent derrière l’indifférence… Cependant, je ne crois pas que je garderai un souvenir impérissable de cette lecture, en raison sans doute de la façon dont l’auteur dépeint ses personnages. J’ai trouvé en effet son approche très « scientifique », ce qui m’a parfois donné l’impression que lesdits personnages étaient comme désincarnés, sans véritable substance. Paolo Giordano décrit les symptômes du mal-être (l’anorexie, l’auto mutilation), énumère des faits, et puis… c’est tout. Est-ce que cela suffit ? Les événements décrits sont certes assez terribles pour que le lecteur en retire une certaine émotion, mais cette émotion s’apparente pour moi à celle que l’on peut ressentir en lisant un fait divers dans le journal. Et ce n’est pas ce que je recherche dans un roman.
Alors, bien que je reconnaisse des qualités à "La solitude des nombres premiers" (une histoire prenante, un style agréable), il m'a manqué un petit quelque chose pour m'attacher vraiment à ses protagonistes.

mercredi 18 mars 2009

"La maison sur le rivage" - Daphne du Maurier

Un grand "classique", par Zaph.

Vous ne pouvez pas comprendre !
Si vous n'avez jamais passé des vacances à la côte belge (ce que je vous souhaite du fond du cœur), vous ne pouvez pas avoir idée de mon calvaire.
D'abord, à la côte belge, il ne fait pas bon. Il pleut, le vent est froid. C'est la Belgique, quoi, pas de surprise. Et si par hasard arrive un jour vraiment chaud, la plage est couverte de monde et ne vous offre pas le moindre coin d'ombre pour vous abriter.
Puis la côte belge, c'est laid. A l'exception de quelques privilégiés, pas question ici de "maison sur le rivage", non, les gens s'entassent dans des cages à poules, sur une ligne de buildings affreux qui parcourt tout le littoral le long d'une digue de béton.
Puis, c'est pas vraiment la côte belge, c'est la côte flamande. Les gens parlent une langue bizarre et vous lancent des regards méprisants si vous parlez pas comme eux.
Alors, imaginez-vous, adolescent, alors que vous n'avez rien demandé, devoir quitter votre chez-vous confortable, vos disques de Pink Floyd et vos copains pour aller passer des vacances à la côte belge avec vos parents !
Bien sûr, au début, j'ai râlé, mais ça ne servait à rien, j'ai bien du me résigner.
Heureusement, j'avais trouvé une librairie qui vendait des bouquins d'occase en français. Chaque matin, j'allais m'acheter un livre et je restais enfermé à lire toute la journée dans la cage à poules.
Je ne me souviens d'aucun de ces livres sauf d'un ; mais celui-là fut extrêmement important pour moi.
Croyez-le ou non, "La maison sur le rivage" est en effet le livre qui m'a fait découvrir la musique "classique", dans une famille où on n'en écoutait pas.
J'ai le souvenir très fort d'un héros qui trouvait du réconfort ou du ressourcement en écoutant « la Mer » de Debussy. Et l'auteur décrivait tellement bien l'ambiance créée par la musique et son effet sur le personnage qu'il m'avait fallu trouver ce disque d'urgence.
A cette époque, si je n'avais pas lu le bouquin en question, je crois que l'ado que j'étais serait resté totalement indifférent à ce genre de musique, mais en l'occurrence, ce fut un coup de foudre, et encore aujourd'hui, la Mer reste un de mes morceaux fétiches.

Du moins, ça, c'est l'impression que j'en gardais de nombreuses années après.
Ce que j'ai retrouvé dans le livre, avec beaucoup de plaisir, c'est l'histoire de Dick Young, qui accepte d'expérimenter sur lui-même une drogue mise au point par son ami le biochimiste Magnus Lane. L'effet de ce puissant hallucinogène est de plonger Dick dans les Cornouailles du XIV siècle, avec un réalisme sidérant... à moins qu'il ne s'agisse pas vraiment d'hallucinations, mais de quelque chose de plus réel.

Le thème de la fuite dans un monde parallèle est magnifique, et comme à son habitude, du Maurier nous gratifie d'une superbe caractérisation des personnages, aussi bien ceux de notre époque que ceux surgis du passé.
D'ailleurs, à mon avis, les caractères crédibles, c'est bien souvent un des éléments centraux qui font qu'un récit extraordinaire passe ou pas.
Le récit suit une progression et un enchaînement rigoureux, sans aucune longueur, et la tension croissante est parfaitement gérée dans les deux histoires parallèles. Remarquable, donc !

Cependant, à ma grande surprise, alors que -selon mes souvenirs, je croyais retrouver la musique de Debussy imprégnant toutes ces pages, je n'y ai noté que quelques allusions. Trois phrases, tout au plus, concentrées sur la même page.

"... ce ne furent pas les accords mesurés de Bach que perçurent mes oreilles tandis que je m'étendais sur le canapé devant le feu de bois, mais l'insidieux et troublant murmure de 'la Mer' de Debussy.
... A moins que son incursion dans l'inconnu n'eut éveillé en lui le désir d'entendre cette harmonie mystique, cette magique incantation de la mer sur le rivage ?
... Tandis que le flux et le reflux de 'La Mer' persistaient dans ma tête, je traversai le hall et gagnai la bibliothèque pour regarder celle qu'on voyait par la large baie."

C'est peu, à moins que je n'aie fait moi aussi un voyage parallèle en lisant ce livre. En même temps, c'est beaucoup, car d'une manière imagée, c'est bien l'expérience de notre héros, qui quitte le monde "bien tempéré" de Bach pour s'immerger dans le monde plein de mystère de Debussy. Cette musique, qui c'est vrai, persiste en vous, comme les visions de Dick Young au retour de ses "voyages dans le temps".

Ce livre reste un coup de cœur, mais pour sa qualité littéraire, pas seulement pour ses influences musicales.
Toutefois, je vous conseille cette expérience, que j'ai faite, bien sûr, de relire ce livre en écoutant 'La Mer', ce chef d'œuvre absolu de la musique, qui ne se laisse jamais totalement cerner. C'est un tout autre voyage.
Lire aussi l'avis de Sandrounette.

mardi 17 mars 2009

"A Boy Of Good Breedin" - Miriam Toews

Ni plus, ni moins, par Anne

Hosea est le maire d'Algren. Algren est la ville la plus petite du Canada. Ça c'est très important pour Hosea : il faut 1500 habitants pour être appelé une ville. Une personne de moins et on est un village, une de plus et on est juste une autre ville. Le premier ministre du Canada rendra visite à la ville la plus petite et Hosea veut absolument que cela soit sa ville à lui. Mais que faire quand Mme Epp va avoir des triplés et qu'il n'y a que le vieux M. Hamm qui va mourir "à temps". Que dire à Lorna, la femme de ses rêves, quand elle veut venir vivre avec lui à Algren? Comment arriver à nouveau à ce nombre magique de 1500?

A travers ce dilemme on fait connaissance avec les autres habitants de cette petite ville. Knute, qui vient d'arriver. Elle est venue aider sa mère à prendre soin de son père Tom qui vient d'avoir une crise cardiaque. Tom est le meilleur ami de Hosea. Knute a une fille, Summer Feeling, qu'elle élève seule. Il y a Combine Jo, devenue alcoolique après la mort de son mari. Il y a Max, le père de S.F. qui revient à Algren. Il y a Johnny le pompier et Bill Quinn le chien venu de nulle part. Algren c'est le monde en miniature. La mort, l'amour, le mal de vivre, la passion, la folie, on les y rencontre tous.

Miriam Toews a écrit une histoire touchante et pleine d'humour. "A boy of good breeding" n'est pas un livre où tout est bien qui finit bien, mais c'est certainement un livre qui fait chaud au coeur. Une auteure à découvrir absolument!

lundi 16 mars 2009

"Jours de Juin" - Julia Glass

Saga familiale, par Livrovore



« Collies », pour laquelle l’auteure a remporté la médaille de la meilleure nouvelle de la Pirate’s Alley Faulkner Society, est la première partie de ce roman. Elle nous parle de Paul, qui participe à un voyage organisé en Grèce. Une façon de se changer les idées suite au décès de sa femme. Tout en douceur et retenue, c’est une introduction alléchante.

Puis l’on suit l’histoire au fil des générations de la famille écossaise McLeod. Paul avait eu trois fils, chacun avec son caractère et son histoire. L’un deux est mis ensuite plus en lumière, Fenno, celui qui s’est exilé aux Etats-Unis, le fils homosexuel qui se sent différent, à l’écart et pourtant finalement proche de sa famille. Il s’attache à Malachy Burns, un critique de métier atteint du sida et l’aide au quotidien.

Tout au long des événements familiaux, naissances, enterrements, voyages, secrets, différends et réconciliations, on s’attache aux personnages avec émotion. Chacun a sa fragilité et sa personnalité, et malgré l’apparence banale de l’histoire on ne s’ennuie pas une seconde en lisant ce roman. C’est une réflexion sur la vie, ses coïncidences et ses imprévus.

L’auteure est douée pour nous attacher aux personnages et creuser leurs sentiments, et j’ai adhéré sans réticence au voyage sur le fil de leurs existences que nous offre ce roman. Sans conteste, Julia Glass a un grand talent dans l’écriture. C’est son premier roman et il a été récompensé en 2002 par le National Book Award.

dimanche 15 mars 2009

"Rebecca" - Daphné du Maurier


Brr... on s'croirait dans Rebecca
, par Thom


A quoi reconnait-on une bonne héroïne de thriller ?

Oui là-bas dans le fond ?

A sa blondeur ? Oui, bien sûr.

A sa jeunesse ? Ca oui - forcément.

A sa naïveté ? Je veux bien mais admettez que ça va un peu de pair avec la jeunesse (non non non... vous ne me ferez pas dire que ça va avec sa blondeur)

Hein ? Oui... vous dites, monsieur ?

A son manque total de bon sens ? C'est votre dernier mot ?...

Mais oui ! Evidemment : on reconnait avant tout une bonne héroïne de thriller à son manque total de bon sens (ma mie en ferait d'ailleurs une excellente). Une héroïne de thriller ça se fout toujours le sourire aux lèvres dans des situations pas possibles - soit... mais ça se fout surtout dans des situations que n'importe quelle personne susceptible de réfléchir cinq minutes saurait éviter sans problème - ou du moins sans que la moitié des personnes qui l'entourent ne soient victimes d'horribles drames pour ce faire. Tenez par exemple : épouser un veuf encore mortifié par la perte de sa première épouse. Pas la peine de se creuser les méninges pendant cent-sept ans pour sentir le mauvais plan, non ? Si une de vos amies s'embarquait dans une histoire pareil, à coup sûr vous lui diriez fais gaffe chérie - tu vas te retrouver dans Rebecca. Soit : à la décharge de notre héroïne elle ne peut pas avoir lu l'histoire de Rebecca, puisqu'elle est en train de nous la raconter.

Telle est d'ailleurs le grand coup de poker de Daphné Du Maurier dans ce qui demeure aujourd'hui encore son chef-d'œuvre : parvenir à nous happer totalement avec une histoire extrêmement simple, presque banale, et bâtir son intrigue uniquement avec des climats étouffants (car le fin mot de l'histoire, somme toute, est sans grand intérêt). Avec elle, toujours la même rengaine : un postulat des plus basiques dans lequel la réalité subitement déraille (le mythe du Prince et du Pauvre dans The Scapegoat, les oiseaux qui se dérèglent dans The Birds...), et c'est parti pour quatre-cents pages anxiogènes à souhaites, paranoïaques, toutes de silences pensants et de grisaille menaçante. La formule a beau être immuable... on a beau connaitre l'histoire de Rebecca par cœur... on a beau avoir vu le film cent fois... ça marche pourtant à tous les coup, tant Du Maurier possède un art consommé tant du suspens que du portrait. On pourrait en faire des pages et des pages, mais à la limite pas besoin d'aller jusque-là : chronologiquement parlant, Rebecca est le tout premier thriller de l'histoire de la littérature... c'est aussi, accessoirement, l'un des plus envoutants.



Les femmes de Manderley par Sandrine

Rebecca est la nouvelle Dame de Manderley. Jeune et sans assurance, elle entre dans un monde qui n’est pas le sien et qui la rejette et la terrorise, incarné en particulier par la femme de chambre de l’ancienne Dame de Manderley, promue gouvernante à la mort de sa maîtresse. Les comparaisons entre l’ancienne et la nouvelle pleuvent, Rebecca se sent inférieure à cette femme si parfaite (encore plus de par sa mort) et les regrets qu’elle croit déceler chez son mari adoré, Maxim de Winter.

Essayant de calquer sa vie sur celle de ce fantôme si vivant, elle dépérit doucement, vit dans une angoisse constante de ne pas faire bien les choses, de provoquer chez son mari une de ses sautes d’humeur qui deviennent de plus en plus fréquentes. Le bal déguisé sera l’ultime tension, tout ne peut que s’expliquer par la suite...
Il ne se passe pas grand-chose dans "Rebecca", mais tout au long du récit, il y a une tension qui montera jusqu’à l’aveu de Maxim et ses explications. Le dernier quart, après cet aveu est long, un peu trop mais la dernière "image" vaut le coup d’attendre.
Héroïne un peu mièvre dans une histoire un peu trop longue, un peu trop prévisible également.



Du conte de fées "fleur bleue" à "Barbe bleue", par Mbu.

Rebecca doit être le seul livre dont je puisse citer le début par cœur. Cette superbe ouverture sur un rêve nous plonge directement dans le mystère. Du coup, impossible de lâcher ce roman aux rebondissements multiples et extraordinaires.

Une jeune dame de compagnie s’ennuie auprès d’une exubérante et snob américaine jusqu’au jour où elle croise le riche et taciturne Maximilian de Winter, qui apprécie assez sa compagnie pour la demander en mariage. Et voilà la naïve femme de compagnie, orpheline et pauvre, projetée dans un monde à l’opposé de tout ce qu’elle a connu : elle devient Mrs de Winter, maîtresse du manoir de Manderley, superbe domaine perché sur les falaises dominant la mer. Mais le conte de fées tourne court : la jeune maîtresse est mal à l’aise dans ce monde où elle n’a pas sa place, ce que la gouvernante lui fait ressentir sans le moindre mal. Elle doit de plus lutter contre le pire des ennemis : le formidable fantôme de la superbe et parfaite Rebecca, première Mrs de Winter, qui imprègne complètement les lieux, et l’imagination de la jeune femme.

Voilà un roman tellement connu que résumer son histoire tient de la banalité. Adapté deux fois à l’écran, ceux qui ne l’ont pas lu l’ont certainement vu au moins une fois, mais c’est bien dommage de se limiter à son adaptation, en effet, elle ne reprend que l’histoire.

Or l’histoire est certes très « fleur bleue » si ce n’était le talent que possède Daphné du Maurier pour entrer dans la psychologie des personnages, et surtout, de la narratrice, puisque le roman est écrit à la première personne, raconté par Mrs de Winter. De la très jeune fille timide et naïve, complètement godiche, qui commet bourdes sur bourdes et se demande ce qu’elle fait là à la femme qui se défend et s’affirme, on explore complètement le personnage qui, je dois l’avouer, m’a parfois donner envie de le secouer un peu. On la comprend et en même temps elle peut être très agaçante, mais elle reste tellement juste.

Là dessus, on croit lire un roman d’amour qui, malgré la finesse du personnage serait tout de même bien banal, s’il ne tournait tout à coup au polar, nous entraînant dans les mystères de la fantomatique Rebecca, jusqu’au bout, jusqu’au dernier coup de théâtre. Car voilà une autre spécialité de Dame Daphné : la mise en scène. Pas d’ennui, il y a tout juste la quantité qu’il faut d’amour, de psychologie et de rebondissements pour terminer en boucle sur le rêve hameçon qui nous a bien appâté.



TP n°7: une bonne grosse histoire romantique, par Zaph

- Oui, Daphné, qu'y a-t'il?

- Je ne comprends pas pourquoi je n'ai eu que 17.

- Mais c'est un excellent résultat, 17 ! Ton travail était très bon.

- Oui, mais Emily et Charlotte ont eu 18 !
Je ne vois pas ce que j'ai fait de mal, j'ai respecté toutes les consignes.

- C'est vrai, voyons, il fallait:

  • une héroïne jeune et naïve: elle y est ;
  • un héros sombre, ténébreux, et mystérieux: il y est ;
  • une différence de classe sociale qui rende la relation difficile, si ce n'est impossible entre les deux personnages, elle y est ;
  • une critique de la société guindée de l'époque ;
  • un secret qu'on pressent terrible et qu'on se gardera bien de révéler trop rapidement au lecteur ;
  • un lieu, envoûtant, qui ne fera que renforcer l'impression de mystère ;
rien à dire, tout cela est bien présent dans votre travail.

- Mais alors, qu'est-ce qui ne va pas ?

- Vous avez fait les choses à l'envers : on doit deviner un amour brûlant, mais il ne doit pas s'exprimer dans la première moitié du livre, à cause des conventions sociales. Ce n'est qu'après bien des déboires qui mènent l'héroïne au bord du désespoir que cet amour pourra enfin se concrétiser. C'est cela qui fait rêver les jeunes lectrices, c'est cela qu'elles attendent et qu'il faut leur donner.
Et puis, pourquoi transformer votre belle histoire romantique en polar, presque en thriller à la fin ? Quelle confusion de genres !

- Mais monsieur, c'est ça qui est intéressant, non ? Pervertir un peu les genres et les mélanger. Se placer délibérément dans un carcan conventionnel puis le faire éclater.


Eh bien moi, je suis d'accord avec Daphné. J'ai d'abord cru me trouver dans une histoire romantique conventionnelle et -il faut bien le dire, un peu assoupissante, mais plus le récit avançait, plus il m'intéressait, et je l'ai terminé complètement scotché. Bravo donc à Daphné !

samedi 14 mars 2009

"Le fait du prince" - Amélie Nothomb


Et si l’on changeait de vie, par Livrovore

Oui je sais, pas mal de gens n’aiment pas Amélie Nothomb. Notamment des Chats de Bibliothèque. Et moi j’essaie un temps soit peu de remplir l’index des Chats de quelques titres quand même, sait-on jamais. Elle n’a pas besoin de moi pour faire sa pub, c’est sûr. Mais vraiment ses petits bouquins qui se lisent en quelques heures, moi, je les savoure comme une bonne tasse de café avec un petit chocolat sur la soucoupe.

J’avais lu dernièrement « Journal d’Hirondelle », qui m’avait un peu déçue. Je pensais qu’il ne serait pas marquant, et pour cause, j’ai dû relire ma critique pour me rappeler de quoi il parlait… Comme un café de machine automatique avec une touillette en plastique ?

« Le fait du prince », par contre, est un vrai expresso accompagné d’un carré de chocolat noir délicieux. (Rassurez-vous, j’arrête enfin ma comparaison caféinesque).

L’introduction burlesque m’a épatée, je l’ai relue deux fois dès le début. Un dialogue de quatre pages sur le thème « que feriez-vous si l’un de vos invités venait à mourir chez vous ? », drôle et sordide comme j’aime.

Dès le lendemain, la mésaventure arrive justement comme-par-hasard au personnage principal. Et il ne suit bien sûr pas les conseils que son interlocuteur de la veille avait énoncés. Non, lui, il décide de quitter définitivement sa petite vie tranquille et d’emprunter celle du défunt, qui bien évidemment vivait dans le luxe et le champagne avec une femme sublime.

Totalement absurde, l’histoire m’a happée et je n’ai pu lâcher le roman avant le point final. A la fois drôle et intrigant, c’est tout à fait le genre de récit dans lequel Nothomb excelle. Les personnages sont complètement irréels et l’histoire démente, et pourtant il y a beaucoup d’humanité dans tout cela. Qui n’a jamais rêvé un instant de changer de vie ? Que feriez-vous si l’on vous en donnait l’opportunité ? Le personnage se retrouve dans une villa magnifique avec champagne à volonté, accompagné d’une jolie créature qui ne demande qu’à être accompagnée. Alors il se laisse voguer dans son mensonge, porter par les événements. Et moi par le récit, sans en perdre une goutte.

vendredi 13 mars 2009

"Le pays des ténèbres" - Stewart O'Nan

Happy Halloween, par Ingannmic.

De Stewart O’Nan, j’avais déjà lu deux romans très différents : « Un mal qui répand la terreur », récit sombre et halluciné de l’immersion dans la folie d’un embaumeur de la fin du XIXème siècle qui doit faire face, suite à une grave épidémie, à l’omniprésence de la mort, et « Des anges dans la neige », chronique douce-amère qui s’attarde sur les déboires des laissés-pour-compte de l’euphorie du début des années 70, sur fond de crime passionnel.
Avec « Le pays des ténèbres », c’est encore un autre registre qu’il aborde, registre difficile à définir, mêlant fantastique, pseudo épouvante et intimisme.
C’est Marco qui s’adresse au lecteur. Il le fait d’outre-tombe : un an auparavant, il a péri avec deux de ses amis, Toe et Danielle, dans un accident de la route. C’était le jour d’Halloween, et à l’issue d’une course poursuite engagée avec Brooks, un policier, ils ont percuté un arbre. Ont survécu Tim, petit ami de Danielle, et Kyle, qui en a gardé de lourdes séquelles physiques et psychologiques. D’emblée, ce narrateur fantôme nous dévoile l’issue du récit : dans 24 heures, c’est Halloween, et Tim et Brooks ont, en cette date anniversaire, rendez-vous avec la mort.
S’enclenche alors un sinistre compte à rebours, durant lequel nous nous trouvons tour à tour avec Tim, la mère de Kyle, ou Brooks. Le récit est ainsi composé de courts paragraphes, au gré des visites que rendent les esprits des jeunes défunts à ceux qui successivement pensent à eux, et sur lesquels ils portent leur regard cynique d’éternels adolescents, faisant ainsi preuve d’un humour parfois très noir !
Et on en vient presque à les envier, ces revenants, car les vivants qu’ils observent ne respirent pas vraiment la joie de vivre, justement : pétris de culpabilité, chacun pour des motifs différents (d’avoir survécu, d’avoir provoqué l’accident…), ils traînent un immense mal-être. D’ailleurs, l’existence de Toe et ses amis était-elle plus enviable ? Ils donnent surtout l’impression d’avoir connu l’ennui et le désœuvrement, de s’être sentis un peu à l’étroit dans leur petite ville de province sans âme, où les principales distractions se concentrent sur les fast-foods et les supermarchés. Parce qu’avec ce récit saccadé, où l’auteur semble « zapper » d’une scène à l’autre, et dépeint superficiellement ses personnages-fantômes, c’est bien de cela aussi qu’il est question : cette frénésie de vitesse, ce besoin de passer sans cesse à autre chose, qui font qu’au final, la plupart des plaisirs et des sensations sont édulcorés, futiles sans véritable satisfaction. Même l’épouvante, traitée ici avec ironie et détachement, paraît complètement affadie, à l’image de cette fête d’Halloween consensuelle et commerciale, et ayant perdu son sens originel.

Stewart O’Nan m’a séduite une fois de plus, et je pense n’en n’avoir pas encore terminé avec cet homme-là !

jeudi 12 mars 2009

"La femme en vert" - Arnaldur Indridason

Bienvenue en Islande par Sandrounette

A Reykjavik, lors d'une fête d'anniversaire, un bébé s'amuse à sucer un morceau d'os... humain! Pendant la construction d'un immeuble lors de l'extension de la banlieue de la capitale, un squelette est découvert.
S'engage alors une course poursuite contre l'Histoire. Erlendur et ses deux collègues Sigurdur Oli et Elinborg, vont enquêter sur ce mystérieux squelette pour l'authentifier.

Le lecteur est plongé dans l'enchevêtrement de plusieurs histoires qui finissent évidemment par se rejoindre. J'aime beaucoup ce genre de roman où les points de vue se confrontent et j'ai été servie! Je suis désolée mais, une fois de plus, il est question de violences conjugales dans ce roman, violences insoutenables par la force de leurs descriptions. On ne peut que souffrir avec cette femme et pester à voix haute des injures plus ou moins fortes contre son mari.
J'ai également été surprise par les méthodes d'investigation islandaise même si ce roman se passe dans les années 90 : à chaque nouvel indice découvert, ils se précipitent chez les familles des suspects pour leur annoncer des soupçons qui sont totalement infondés! Pourquoi cette précipitation? Je dois certainement trop regarder "Les Experts" et autres "Cold Case" m'enfin...

Ce détail mis de côté, j'ai vraiment beaucoup aimé ce polar islandais. Les noms sont rigolos et en totale inadéquation avec le fond noir et triste de l'histoire. Ce paradoxe n'enlève rien au charme de l'écriture d'Arnaldur Indridason! On halète à la fin lorsqu'on croise cette fameuse "femme en vert". Même si son identité ne fait plus aucun doute quelques chapitres avant le dénouement.

J'avais lu beaucoup d'éloges sur cet auteur venant du froid et je confirme qu'il est vraiment à découvrir!

mercredi 11 mars 2009

"Les âmes grises" - Philippe Claudel

En demi teinte, par Ingannmic.


Un village de France pendant la 1ère guerre mondiale…
Un sordide fait divers : l’assassinat de « Belle de jour », la fillette du restaurateur de la commune.
Le narrateur revient sur les circonstances de cette affaire, et sur les dessous d’une enquête qui révèlent les bassesses et la cruauté de certains hommes.

« Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… T’es une âme grise, joliment grise, comme nous tous… ».

Et l’auteur de nous décrire les nuances de ce gris de l’âme, qui vire tout de même plus souvent vers le noir que vers le blanc, et qui semble foncer proportionnellement à l’importance de la position qu’occupe dans la société le détenteur de l’âme ! A gens ordinaires, bassesses ordinaires : le soulagement qu’éprouvent les « planqués » à ne pas se trouver à la place des gueules cassées et des estropiés qui arrivent parfois du front, les rumeurs infondées colportées par les commères du village, jalouses des plus belles ou des plus jeunes… Mais ce sont les notables qui atteignent le summum de l’abjection, abusant de leur pouvoir sur les plus faibles, et s’en servant pour assouvir leurs instincts sadiques. Quasiment personne n’échappe au regard sans complaisance de ce narrateur que nous n’identifions que peu à peu, et qui d’ailleurs ne se place pas au-dessus du lot, car il finira par avouer ses plus sombres secrets.
Un récit, donc, qui m’a semblé plutôt noir, impression accentuée par la tristesse et l’amertume se dégageant dudit narrateur qui, dégoûté de la vie, est au bord du suicide. « Les âmes grises » se lisent néanmoins très facilement, notamment grâce à un style très imagé et parfois presque populaire, qui colle parfaitement au théâtre des événements et à l’idée que l’on se fait de l’atmosphère d’une petite ville de province à cette époque.
D’une façon très habile, Philippe Claudel se sert de l’enquête menée pour retrouver l’assassin de Belle de jour comme d’un prétexte : ce n’est pas la résolution de cette enquête qui importe, mais l’impact qu’elle a sur les différents protagonistes ainsi que les choix qu’elle les amène à faire, situés entre le bien et le mal (ou le noir et le blanc), et déclinés sur la vaste palette des sentiments humains.

mardi 10 mars 2009

"Partouz" - Yann Moix

Sur la Terre comme au Ciel, par Thom

Ecrivant moi-même, je prendrai comme la pire des insultes le fait qu'on se force à terminer un de mes textes. Pourtant, je me suis bel et bien contraint à arriver au bout de ce roman de Moix, "Partouz" - je suppose donc qu'il faille considérer que je l'ai insulté (ou du moins que je lui ai beaucoup manqué de respect) ; c'est surtout parce que pour avoir lu tous les autres je savais qu'il pouvait parfois un peu peiner à l'allumage.

"Partouz", donc, ou comment Mohammed Atta est devenu le terroriste qu'on connait suite à une deception amoureuse... Moix, on le sait, est un genre littéraire à lui tout seul ; il écrit de la littérature psychotique comme d'autres font du polar ou de la SF. Sa plume est alerte, son sens comique certain... sa mégalomanie avérée. Or, pour la première fois depuis ses débuts en 1996, il se montre plus fou et mégalo que ses personnages, ce qui ne lui réussi guère : Momo va dans les clubs échangistes, Momo monte au ciel, Momo devient pote avec Mitterrand... etc.

Incapable de choisir entre premier, second et cent-cinquantième degré, Moix laisse sa prose stagner durant une bonne centaine de pages, se contentant de nous resservir ses renvois en bas de pages et autres notes pseudos historiques... bref, tout ce qui fait sa marque de fabrique depuis le succès colossal du précédent livre, "Podium". Mais là où celui-ci allait chercher la subversion nichée au coeur de la folie, "PARTOUZ" se contente d'effleurer la subversion - comme si l'à propos de ce bouquin pouvait choquer qui que ce soit ! Et empile accessoirement une impressionnante masse de clichés en tout genre, tant sur l'islam que sur les illustres personnages qu'il fait intervenir (seuls moments vraiment agréables du roman d'ailleurs, car comme tout etre obsessionnel qui se respecte l'auteur est parvenu à ce que les dialogues de Mitterrand, par exemple, sonnent vraiment comme du Mitterrand)... du coup, on se sent floué. Un peu comme si Yann Moix se cachait derrière ses indices biographiques et ses citations incessantes... car c'est bien de manque d'inspiration dont il s'agit, dans la mesure où ce roman est totalement statique. Et ne ressemble plus qu'à un assemblage de pensées griffonnées à la va vite - très bien griffonnées certes.

lundi 9 mars 2009

"Un safari arctique" - Jorn Riel

Qui a dit que les groenlandais ne savaient pas rigoler ? par Sandrounette


Voici ma deuxième rencontre avec les aventuriers groenlandais de Jorn Riel. J'avais lu le dernier opus pour une séance du Blogoclub consacré à cet auteur, Les ballades de Halldur et autres racontars, que j'avais beaucoup aimé.
Nous voilà donc reparti vers ces contrées inconnues où vivent toujours les mêmes trappeurs à savoir Valfred, Mad Madsen, le Lieutenant... entre autres. Ces six petites nouvelles sont bien rafraîchissantes et toujours aussi agréables à lire.

Celle que j'ai préférée est la dernière, intitulée "le rat". Un rat débarque sur l'indlansis en même temps que le ravitaillement et cause un tracas de tous les diables à Valfred. Savoir que ce dernier traque des ours ou autres boeufs musqués sans éprouver beaucoup de crainte et hurle de terreur à la vue d'un vulgaire petit rat! Hilarant! J'ai adoré la fin qui montre à quel point les trappeurs sont railleurs!
J'ai lu deux tomes sur les huit que comptent les racontars arctiques ça fait toujours aussi plaisir de retrouver tous ces hurluberlus et leur mode de vie... arctique!

dimanche 8 mars 2009

"Les oiseaux" - Daphné Du Maurier

Des salles obscures à la bibliothèque, par Ingannmic.


Si vous évoquez « Les oiseaux », nombre de vos interlocuteurs penseront au célèbre film d’Hitchcock, sans savoir qu’il s’agit de l’adaptation d’une nouvelle de D. Du Maurier (si, si, je vous assure, j’ai fait le test !), comprise dans un recueil qui en compte 6 autres :

- « Le pommier » : le veuf de Midge, femme plaintive et geignarde, prend en grippe l’un des pommiers de son jardin, dont l’allure décharnée lui rappelle sa défunte épouse.
- « Encore un baiser » : le narrateur, jeune employé dans un garage, s’amourache d’une ouvreuse de cinéma, qu’il va jusqu’à suivre une fois la nuit venue.
- « Le vieux » : s’adressant à un interlocuteur inconnu, un homme relate les étranges événements dont il a été témoin en observant la vie au bord d’un lac du « vieux » et de sa famille.
- « Mobile inconnu » : la femme de Sir John se suicide alors qu’elle est enceinte de 5 mois. Il charge un détective de mener l’enquête afin de découvrir les raisons de ce geste a priori inexplicable.
- « Le petit photographe » : une marquise en vacances à l’hôtel avec ses deux petites filles se languit et s’interroge sur le sens de sa vie morne et ennuyeuse.
- « Une seconde d’éternité » : Mme Ellis vit seule la plupart du temps. En effet, elle est veuve et sa fille unique est en pensionnat. Un jour qu’elle rentre d’une promenade, sa maison est occupée par de louches individus.

Et enfin « Les oiseaux », nouvelle qui ouvre le recueil… ou comment de simples volatiles peuvent devenir, en l’espace de quelques heures, une source de terreur.

Au départ de ces histoires, soit les personnages sont placés dans des situations qui mettent en avant ce que la nature humaine peut avoir de sordide, voire de glauque, soit ils subissent un événement qui fait basculer un quotidien banal dans l’horreur, de façon tantôt réaliste, et tantôt fantastique.
Leur point commun, c’est que l’auteure ne les conclut pas de manière définitive : leur fin est sujette à plusieurs interprétations possibles, ou invite le lecteur à imaginer une suite.
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ces nouvelles. Contrairement au style de certains de ses romans, qui peut parfois sembler un peu vieillot, j’ai trouvé celui des « Oiseaux », par sa simplicité, très actuel. Hormis quelques indices qui permettent de situer les récits dans une époque, rien n’indique qu’ils ont été écrits au début des années 50. J’ai aimé aussi l’introduction d’éléments totalement irréalistes dans des histoires qui commencent comme des faits divers, et toujours, ce talent de D. Du Maurier pour nous plonger dans des atmosphères oppressantes, et mettre le lecteur sous tension avec des détails subtils.
A ceux, donc, qui ne connaissent des « Oiseaux » que son adaptation cinématographique, j’en recommande vivement la lecture…

samedi 7 mars 2009

"Le Royaume des devins" - Clive Barker

Un pavot dans le marc, par Thom

AVANT-PROPOS : Je sais, le titre est débile... mais je l'ai lu en anglais, sous le titre de "Weave World"... vous imaginez bien qu'un bouquin appelé "Le Royaume des devins", ça me viendrait pas à l'idée de lire !!!

Intéressons-nous aujourd’hui au cas de Monsieur Clive Barker, que d’aucuns s’accordent à considerer comme le Stephen King anglais (quoiqu’il soit généralement plus proche de n’importe quel Stephen que d’un roi quelconque – ok elle était facile mais faire du Barker aussi). Notre individu en effet n’est pas que le cinéaste auteur du supranigaud « Hellraiser ». Non : en tant qu’écrivain Barker a publié quelques livres plaisants, notamment l’attachant (enfin : façon de parler !) « Damnation Game » - qui fit mon bonheur lorsque j’étais adolescent. Il a même été encensé par des tas de gens dont l’intégrité n’est pas à remettre en cause, notamment Un Certain Monsieur Ballard en personne. A sa décharge ce dernier n’a pas écrit que des chefs d’œuvres, ce qui tombe plutôt bien puisque Monsieur Barker pour sa part n’en a pas écrit du tout.

Néanmoins c’est plein d’espoir que votre serviteur s’est lancé dans la lecture de « Weave World », avide de se divertir et fort heureux de bouquiner un truc fantasico-horrifique (ce qui ne lui était plus arrivé depuis l’époque où il parlait de lui à la première personne…hum, d’ailleurs je vais reprendre un ton normal au cas où certains ne comprendraient pas que je plaisante). Donc j’ouvre « Weave World » en me disant que comme c’est le second roman de l’auteur, ça va être bien. A priori en 1987 Barker n’était pas encore devenu une machine à pognon mystico-goth avide de publier des bouquins aux faux airs de N’importe quoi. J'aurais pourtant dû savoir que c'est très mal d'avoir des a prioris...Parce que bien entendu je me suis trompé. Mais alors...trompé...! Car chers lecteurs, « Weave World », sinistre histoire de devins, mediums et autres archanges, c’est totalement n’importe quoi. Ainsi dès sa deuxième « œuvre » le coupable de l’involontairement comique « Cold Heart Canyon » était-il déjà tenté par le Mal Suprême : le fantastique de série Z ringardos, à faire passer Jean Rollin pour Romero.

Soit : en matière de littérature de l’imaginaire (comme on dit pudiquement de nos jours) un auteur a sur le papier tous les droits. Sauf celui d’ennuyer ! Prenons justement le susmentionné Stephen King (de toute façon Monsieur Barker n’est qu’un grossier ersatz) : il écrit les histoires qu’il veut, pour autant ses romans restent pour la plupart vraisemblables – le vraisemblable n’ayant en fait rien à voir avec le réalisme. L’important est que l’intrigue et les personnages soient crédibles – je veux dire par-là : que tout cela existe aux yeux du lecteur à défaut d’exister pour de vrai. Dans « Weave World » la seule chose qui existe c’est l’écriture, certes plus attractive que celle d’un faiseur de megasellers lambda mais tout de même pas super excitante. Le reste, les personnages, Cal, Mimi, Nemrod (oui : ils ont tous des noms à la con), le pseudo érotisme façon films du dimanche soir sur M6 (vous saviez, vous, que le confinement des corps avait un potentiel sexuel intersidéral ?), l’atmosphère soit disant glauque (lorsqu’on voit les oiseaux tourner autour de la maison en début de livre pour sous entendre la menace, difficile de ne pas se dire que quatre lignes de King dans « The Stand » sont plus angoissantes que l’intégralité de ce bouquin-ci)…rien ne fonctionne et tout semble en carton-pâte.

Vous ne manquerez pas de me faire remarquer que je ne vous ai toujours pas dit de quoi de ça parlait. Le problème c’est que je n’en sais rien ! Je n’ai absolument rien compris à cette espèce de tambouille indigeste où se croisent des espèces de sorciers, des anges, des démons, des revenants, des voyants (il ne manque qu’un vampire pour compléter le tableau)…je peux cependant vous dire quelques trucs : l’exposition est très longue (pas loin de deux cents pages), le mysticisme est omniprésent (mais plus proche de Ron Hubbard que de John Donne) et la fin est spectaculaire – à défaut d’être intelligible. Je me suis demandé pour tout dire ce que fumait Clive Barker pour écrire un truc pareil…ou buvait – parce qu’il faut s’être pris une cuite au minimum monumentale pour oser se ridiculiser ainsi en public et sur près de huit cent pages.

Je n’ai pas trouvé la réponse. Et, donc, n’ai pas compris le livre. Enfin si, il y a un passage que j’ai compris :

« Parfois Mimi dormait. D’autres fois, elle était réveillée. »

…ça m’a rassuré : sous ses airs un peu jeté, Clive Barker est finalement un mec assez logique.

vendredi 6 mars 2009

"Samedi" - Ian McEwan

Je n'y croyais plus, par Sandrine

Ca y est !!!! Un McEwan qui me réconcilie avec l’aristochat. Un McEwan que je mets en parallèle avec Expiation (même bonheur de lecture), un McEwan que j’apprécie enfin! Je l’ai dévoré en une journée (un samedi en +), j’ai aimé les digressions, j’ai apprécié les personnages, même celui d’Henry, personnage principal qui est quelque peu antipathique…, comme cela semble être pour tous ses personnages principaux.

L’histoire est simple et déjà résumée sur ce blog, nous passons un samedi en compagnie de Henry, de quelques heures avant l’aube jusqu’aux premières lueurs du dimanche. Un sentiment étrange étreindra notre « héros », une angoisse diffuse qui monte doucement, enfin un final beau et humain.

Je comprends les avis qui disent qu’il ne se passe rien ou presque dans cette histoire mais c’est cela qui est fantastique : réussir à nous passionner, à faire en sorte que le lecteur reste là et attende patiemment, qu’il se prenne au jeu et entre dans les détails quelquefois inutiles de ce samedi d’Henry. Oui le match de squash est long et décrit dans les moindres détails, mais l’important est ce qui se passe dans la tête des protagonistes, oui il parle beaucoup de la guerre, des attentats mais tout comme nous à cette époque. Ses personnages sont ancrés dans une réalité qui est la nôtre et peut- être est-ce cela qui donne cette impression d’ennui mais je pense que ça donne à ce livre une force et c’est ce qui m’a plu. Je ne me suis pas ennuyé, j’ai retrouvé mon McEwan d’Expiation, j’irai même jusqu’à dire que c’est pour moi un coup de cœur !!! Je n’y croyais plus avec cet auteur je l’avoue !!