mercredi 30 avril 2008

"L'absence" - Peter Handke

Par Claude

« Quatre personnages anonymes, une femme, un soldat, le joueur et le vieil homme, réunis par l’aventure de l’espace quotidien le découvrant au fur et à mesure qu’il s’étend devant eux : le plus proche devient un paysage lointain, un terrain vague devient l’immensité, une étendue dénudée le désert. A chaque pas naissent des paysages inconnus, c’est le regard qui les fait apparaître. Les endroits les plus banals deviennent des terres inconnues. Peut-être le voyage s’est-il déroulé à travers un grand pays vide ou aux confins immédiats d’une ville, on ne sait, mais il révèle aux voyageurs les lignes du sol, sa consistance, ses dimensions et les transforme en lieux d’être. La fin du voyage, aussi fortuite que le début, sépare ce groupe rassemblé par le visible et rend chacun des voyageurs à sa solitude initiale. Le « guide » qui les a conduits est peut-être l’absence. Ce qu’ils en commun, c’est ce qu’ils ont vu. »

Handke a fait partie de mes lectures passées au même titre que Malraux et Tolstoï, mais après deux romans (« Par une nuit obscure… » et « L’absence ») c’est comme si je retrouvais un vieil ami que je n’ai plus vu depuis longtemps et avec lequel j’ai surtout un passé commun. Vous retrouvez en lui certains des aspects qui vous attiraient jadis mais d’autres vous irritent maintenant. C’est ainsi que je ne vois pas ce qu’apporte au récit les longs monologues des différents personnages. Je trouve que le texte porte à lui seul le roman et n’a pas besoin de ces tartines indigestes et un peu pédantes (je nourris le même sentiment à propos du dialogue final des « Ailes du désir »). Je ne peux pas, non plus, dire que j’ai été emballé par le roman, je suis resté en bordure de ce récit qui m’a surtout charmé au niveau intellectuel. Il n’y avait aucune connivence dans ma lecture, juste un plaisir cérébral. Je le regrette étant surtout un lecteur sensuel. Malgré cela j’ai retrouvé dans « L’absence » la solitude des personnages qui paraissent ne jamais vraiment entrer en contact avec les autres. La même incapacité que le personnage principal de « L’heure de la sensation vraie » ou que « la femme gauchère » . Comme dans « La montagne de la St Victoire », la nature est très présente, c’est le lieu du chemin, de la réflexion, on y ressent la même sérénité qui ne donne cependant aucune réponse aux questionnements des voyageurs. L’absence se sont les espaces intermédiaires entre les gens et les choses, ces espaces qui donnent une idée du passé, c’est aussi l’absence de lien humain réel, uniquement basés sur le fantasme et l’impossibilité de prendre le réel pour ce qu’il est et d’être obligé de « l’agrémenter » afin de le rendre acceptable. « L’absence » est un roman charnière entre le réalisme poétique de « La courte lettre» et la poésie réaliste de « Part une nuit obscure… ».

Peter Handke

Par Claude

Parler de Peter Handke en ce moment se révèle être un exercice périlleux et très mal venu si on ne lui colle pas des cornes et une queue sataniques, voir pour certains une croix gammée en guise de boucle d’oreille. Handke est né en Autriche à Griffin en 1942, de père militaire pour son malheur. Il a été très longtemps vu comme l’un des écrivains les plus importants de langue allemande avant de sombrer dans l’hérésie ; en cause ses prises de positions vis-à-vis de Millosévich. Mal lui en a pris d’avancer que les choses étaient bien plus complexe que le simple lynchage du dictateur. Cela était déjà une chose horrible en soi… Combien, qui furent ses admirateurs sont devenus ses pires détracteurs, ses bourreaux justes et censeurs. Là où on vantait son humanisme et la justesse de son écriture, il n’y a plus qu’un nazi torturé qui n’ose pas s’annoncer, même Grass y a été de ses propos incendiaires. Handke est voué aux gémonies et il est de bon ton de lui cracher à la face après l’avoir encensé plus qu’un autre auteur allemand lui qui symbolisait le bon côté de cette nation frappée par l’infamie. On oublie vite, très vite…

Cet écrivain, l’un des plus importants des quarante dernières années, est un homme timide, discret, loin de l’arrogance et refusant de donner des leçons aux autres. Ses romans sont de véritables plaidoyers humains. Ils ne mettent en scène que des gens ordinaires, souvent non nommé, sinon par ce qui les qualifie d’une manière physique : le gardien de but, le pharmacien, la femme, l’homme… Je ne me souviens pas d’un nom de personnage. Ces gens comme nous déambulent dans la vie avec le même souffle parfois court et parfois serein. Concis, direct, utilisant des phrases courtes et Handke est un poète de l’intérieur. Le monde est toujours vu au travers le corps et les sens des personnages. Je me souviens d’une très belle scène dans L’heure de la sensation vraie (mon premier roman de l’écrivain autrichien) lorsque le narrateur observe une femme et son enfant dans un jardin de Paris. Car Handke n’est pas un auteur qui pétrifie ses récits (et non histoires) dans un environnement étriqué. Souvent, le lieu n’a point d’importance mais il est là comme reflet, comme un miroir, parfois nous parcourons les Etats-Unis (La courte lettre pour un long adieu), parfois nous sommes dans un pays imaginaire qui pourrait être les alpes suisses (Par une nuit obscure je sortis de ma maison tranquille) ou nous grimpons une montagne magique (La leçon de la sainte victoire). Chez Handke, comme chez son ami Wim Wenders avec qui il a participé à plusieurs scénarios, il n’y a pas d’histoire, mais simplement un récit. Un récital de faits et de gestes, les deux plus beaux exemples sont pour Wenders Au fil du temps et pour Handke La femme gauchère. Ils s’attachent à nous placer dans les pas de leur personnage (comme ces anges à Berlin) et à nous faire partager les regrets, les questions, les inquiétudes, les changements de vie, les joies. Ce sont des poèmes de la simplicité. Simples mais jamais simplistes. En dessin on parlerait d’épure. Il y chez Handke cette même minutie et retenue que chez le peintre japonais pour qui un trait et un seul compte. Si vous conaissez Gustav Klimt alors en observant ses dessins vous y verrez le style même de l’écrivain.

Peter Handke est aussi un grand écrivain de théâtre, même ses pièces ne se jouent plus guère (l’un d’elles à même été annulée dans la polémique). Il est comme homme de théâtre un chercheur fébrile, il scrute, il découpe, se questionne sur le langage. Cela donne un théâtre expérimental qui a fait les délices d’acteurs comme Gérard Depardieu, Jeanne Moreau, Michael Lonsdale et Sami Frey…

Enfin il y a aussi le Handke scénariste et réalisateur de cinéma qui travailla surtout, comme je l’ai déjà dit avec Wim Wenders. J’ai envie de terminer sur une chose le traducteur et ami de Handke se nomme Georges-Arthur Goldschmidt…

Vous l'aurez compris, pour moi Peter Handke est un des écrivains majeurs de cette époque.

mardi 29 avril 2008

"Mystic River" - Dennis Lehane

L'avis de Laiezza

Moi qui n'ai aucune affinité avec le polar, j'avoue que j'ai un peu ronchonné, quand Dennis Lehane a été proclamé ARISTOCHAT. J'ai jeté mon dévolu sur "Mystic River", le premier que j'ai trouvé. J'avais beaucoup aimé le film de Clint Eastwood ; le roman dont il est adapté est tout aussi bon.
L'histoire, si vous ne le savez pas, est celle de trois adolescents réunis autour d'une même tragédie (l'un d'eux a été kidnappé sous les yeux des autres), qui se retrouvent à l'âge adulte, à l'occasion de l'assassinat de la fille d'un d'entre eux. Face aux coups du sort, à la fatalité, les souffrances des uns sont devenues les tabous des autres. Chacun s'apprête alors à jouer le rôle que le destin lui a réservé, dans cette pièce étrange ayant lieu sur les bords de la fameuse "Mystic River" : l'un est victime, l'autre suspect, l'autre enquêteur. Dennis Lehane va jouer avec les apparences, ménager le suspens et, surtout, multiplier les points de vue de manière assez passionnante. Pas de héros, pas de pourris, juste des êtres humains, ravagés par les fantômes du passé.
Je ne pouvais que me laisser séduire, puisque l'écriture est superbe, et surtout, parce que l'intrigue policière est très secondaire. L'intérêt réside plutôt dans une étude des mœurs d'une ville abimée par la misère sociale, dans la chronique de caractères que tout oppose, et qui finissent par communier dans la souffrance. L'histoire est aussi bouleversante que la plume, et lorsqu'on referme le livre, on reste hanté par ses héros longtemps, très longtemps après...




L'avis de Zaph

Je ne connais pas vraiment la définition de "roman noir", mais je dirais qu'il y a quelque chose de noir dans ce livre. Oh, ce n'est pas seulement qu'il s'y passe des choses horribles; il s'en passe de bien pires dans n'importe quel livre de Stephen King, et je n'aurais pas tendance à utiliser l'adjectif "noir" dans son cas.
C'est plutôt comme une manière de voir les choses, je dirais. Comme si le monde était fondamentalement composé de malheur, et tous les petits bonheurs provisoires que vous réussissez à voler, vous pouvez être sûr que vous allez les payer un jour où l'autre. Vous pouvez faire tous les efforts possibles pour vous tenir à carreau, pour vous faire discret, le malheur finira par vous rattraper au tournant pour vous présenter l'addition, avec les intérêts.
Et cette chape, elle recouvre tout. Les personnages principaux et secondaires, qu'ils soient flics ou criminels, la ville qui les englobe, l'auteur, et surtout, vous aussi, le lecteur.
A la lecture d'un tel livre, vous vous sentez pris d'un sentiment de malaise, de catastrophe imminente. Et si vous n'avez pas encore trempé dans un crime terrible, comme victime ou comme auteur, vous sentez au fond de vous la culpabilité de ce répit immérité.

En même temps, il y a comme une jouissance à éprouver ce sentiment complexe, car au fond, vous savez que ce n'est qu'un livre, et le soir, bien à l'abri dans la solitude de votre salon, protégé par le rassurant cône de lumière que dessine votre lampe de lecture dans l'ombre environnante, vous pouvez vous laisser aller à ce plaisir pervers vieux comme le monde: trouver du réconfort dans le spectacle de la souffrance et de la déchéance des autres.

Cette sorte de catharsis, qui à un certain point transforme le malheur en beauté, n'est pas étrangère à ce que l'on ressent à l'écoute de la musique blues, je trouve. C'est peut-être pour cela que blues et roman noir vont si bien ensemble.

Eh oui, c'est avec cette alchimie dangereuse que joue un auteur de roman noir.
Cela demande évidemment une technique et une maîtrise hors du commun.
Bien sûr, il y a des recettes; j'ai l'impression que le roman noir ou polar (encore une fois, excusez-moi de ne pas connaître la classification précise) est le sous-genre le plus conventionnel qui soit.
Par exemple, il faut que le flic ait une part d'ombre, enfance malheureuse, mariage foireux, problèmes entre collègues, ... Il faut qu'on sente que même si on se croit du bon côté de la barrière, on n'est jamais à l'abri d'un dérapage.
Il y a des trucs, pour installer l'ambiance, puis faire monter la tension, avant d'arriver au dénouement plus ou moins inattendu. L'auteur se doit aussi de nous livrer quelques fausses pistes pour nous maintenir en état d'alerte.

Tous ces trucs, Lehane les utilise, on ne peut pas lui en vouloir, puisque c'est la loi du genre.
Donc, peut-être qu'il n'y a que du classique chez Lehane, rien de très innovant dans sa manière de nous raconter ce genre d'histoire. Mais du classique de ce niveau, qui pourrait s'en plaindre?

Encore un mot sur le dénouement, qui n'est pas tellement surprenant. On le sentait venir, en fait (Lehane sème de sérieux indices, quand-même).
Mais ce n'est pas l'important, justement.
Lehane joue avec nous. Il sait qu'on se doute un peu de ce qui va se passer. Qu'on a en même temps envie de savoir avec certitude, mais pas envie de voir, mais qu'on va quand-même y aller, qu'on ne peut plus reculer, qu'on est pris dans un engrenage, comme le sont les héros. Que cette histoire, elle nous tient par les tripes et ne nous lâchera pas avant la fin.

Puis le livre se referme, la tension retombe doucement. On n'a qu'une envie, celle de vite commencer un autre Lehane.
Mais peut-être d'abord lire un peu de poésie.
Oui, ce serait bien, un peu de poésie.


Lire aussi l'avis de Thom

lundi 28 avril 2008

"Le théâtre de Hanokh Levin: ensemble à l'ombre des canons" - Nurit Yaari

Par Sahkti

Hanokh Levin est sans conteste l'un des plus grands dramaturges contemporains israéliens. Né en 1943, décédé d'un cancer en 1999, il s'est fortement inspiré de la société israélienne, de ses dérives et de son évolution, pour créer des personnages tantôt graves tantôt farfelus et pour aborder des thèmes dramatiques comme la mort, la guerre, l'intolérance ou la misère.
Un auteur que j'ai découvert grâce aux Editions théâtrales et que je ne me lasse pas de lire et relire, parce qu'il me fait rire mais aussi réfléchir sur les dérives d'un monde parfois (souvent?) teinté d'absurdité.

En étudiant sa biographie et son parcours, retracé en détails et richement documenté par Nurit Yaari, on comprend davantage ce qui a conduit Hanock Levin à écrire de telles pièces, cette joie et ce tourment qui l'animaient.
Il est intéressant de se rendre compte de l'accueil qu'ont reçu ses premières pièces, surtout en Israël, où critiquer la guerre n'était pas forcément de bon ton. Or c'est ce que Levin a fait, prôner l'amour de la vie plutôt que celui de la haine, de la vengeance et d'un repli vers un passé qui justifierait tout. Un discours qui me parle et que j'apprécie.
Au fur et à mesure du temps qui passe, les propos de Levin ont évolué, s'intéressant davantage, surtout à la fin, aux conflits intérieurs, à la misère sociale et humaine, à la stagnation d'une société disposant pourtant de bons atouts mais incapable de se désengluer d'un tas de soucis, existentiels et autres.
Un théâtre qui se veut universel, car il ne concerne pas que la société israélienne mais d'autres pays, d'autres peuples, d'autres classes sociales, d'autres milieux.

Des photographies de mise en scène complètent le propos, ainsi que des témoignages de metteurs en scène et de traducteurs. On sent la passion, l'alchimie créatrice, le respect et les regrets aussi, liés à une absence. Absence physique parce que dans les esprits et sur scène, Levin est toujours là, plus présent que jamais, toujours autant d'actualité et c'est sans doute une des raisons qui rend son théâtre formidable, cette identification intemporelle et universelle, sans parler de sa pertinence et de son humour.

Une analyse à lire absolument pour se plonger autrement dans le monde théâtral de Hanokh Levin, auteur incontournable!

dimanche 27 avril 2008

"La Part des ténèbres" - Stephen King

L'Avis de Thom

Ce devait être la blague la plus drôle de sa vie ! depuis des années, Thad écrivait sous le pseudonyme de George Stark des petits polars à très grand succès. Mais ses propres oeuvres, plus personnelles, n'intéressaient personne. Alors il décida de tuer George Strak, purement et simplement. De lui organiser un enterrement fictif, avec couverture de presse et tout le toutim...pour pouvoir enfin se consacrer à la "vraie" littérature.
Ce devait être la blague la plus drôle de sa vie...jusqu'à ce que cela ne tourne au cauchemar. Jusqu'à une étrange série de meurtres dont l'auteur semble être George Stark lui-même. Son pseudonyme. Un être n'ayant aucune existence concrète...
Je suis partagé entre la honte et la satisfaction. La honte, c'est de ne pas encore avoir lu ce qui pourrait être un des plus grands livres de Stephen King (alors que j'en ai lu tellement de médiocres...). La satisfaction, c'est qu'en connaissant un peu l'oeuvre de l'auteur on lit "The Dark Half" de manière totalement différente. Comme il le révéla lui même dans son autobiographie, il fit une sévère dépression suite à la sortie et au succès colossal de son premier roman, "Carrie". De fait, le personnage de l'écrivain célèbre mais torturé, poursuivi par sa propre starification, est devenu chez lui un thème récurrent. Dans "Shining", c'est pour retrouver l'inspiration que le romancier s'installe dans ce vieil hôtel (ok : plus personne ne s'en souvient, mais je vous jure que oui). Dans "Misery", l'écrivain est séquestré et torturé par une fan psychopathe qui veut l'obliger à ressusciter le héros de ses romans à succès. Dans la nouvelle "Sowing season", l'écrivain est persécuté par un illuminé qui l'accuse de plagiat...et j'en passe. Rien de surprenant finalement à ce que dans "The Dark Tower" il ait poussé le vice jusqu'à [censuré pour cause de rupture de suspens].
"The Dark Half" relève du même procédé. Et bien sûr, on ne peut s'empêcher de repenser au fait que King ait lui même longtemps écrit sous le pseudonyme de Richard Bachman. Et qu'il ait de nombreuse fois tenté d'écrire de la "vraie" littérature (ce sont ses propres mots - comprendre par-là "pas de la littérature dite de genre").

Mais le génie est ailleurs. Le génie de King, ce n'est pas l'angoisse. C'est le suspens. L'écriture du suspens. Car finalement, la plupart de ses grands livres peuvent être résumés en trois lignes. Avec une bonne idée de départ, trois bouts de ficelle et un style toujours aussi tranchant, il réussit à écrire, là encore, un livre sensationnel.
Mon seul regret, c'est qu'il en ait écrit autant, des livres. Qu'il y ait à boire et à manger dans son oeuvre, et que finalement ce type ait (cas unique dans l'histoire de la littérature à ma connaissance...Balzac mis à part - d'ailleurs Balzac est un de ses auteurs favoris) écrit autant de daubes que de chefs d'oeuvre.

Vous l'aurez compris, "The Dark Half" est un livre de très haute volée.



L'Avis de Gaël

Si vous décidiez d'écrire un livre, choisiriez-vous de le faire sous un pseudonyme? Après tout, il y a de nombreux avantages à devenir un auteur masqué. Pas de harcèlement dans la rue (si tant est que vous soyez un auteur à succès), liberté totale de ton et de sujet qui ne se cognera pas à la censure de vos proches, sensation grisante de berner tout le monde... Et pourtant, sans prévenir, votre gardien de l'anonymat peut se révéler plus présent que vous ne le pensiez, surtout si vous avez l'intention de revenir à votre identité première. C'est une conséquence fâcheuse que n'avait pas anticipée Thad Beaumont, le héros de ce roman, mais également Stephen King lui-même. Car il est évident que ce roman est intervenu dans la carrière de maître de l'horreur après que celui-ci a pris la décision de dire adieu à son pseudonyme Richard Bachman, auteur de Rage, Marche ou crève ou encore Running Man. King, à son habitude, utilise la littérature de genre pour traduire ses propres angoisses et les matérialiser pour mieux les combattre. Ici le pseudonyme du protagoniste prend corps alors que notre écrivain a décidé de l'enterrer une bonne fois pour toute et de se tourner vers une littérature plus "généraliste", et décide de se venger en prenant la place de son auteur. Dans son style imparable, Stephen King nous entraîne dans un tourbillon qui nous happe de plus en plus violemment, cernés que nous sommes, lecteurs, par l'angoisse et les moineaux. Ces oiseaux qui sont à la fois annonciateurs de mort, mais aussi symbole de la lutte de pouvoir entre notre écrivain et son double. D'ailleurs, je défie quiconque aura lu ce livre de rester de marbre face à un ziozio qui vous reluque du haut d'une branche. Il faut bien un mois pour se persuader que les moineaux, dans la vie, c'est inoffensif (quoique pour certains,Stephen_King j'ai encore des doutes...). D'ailleurs cette utilisation des moineaux en masses compactes et silencieuses, présence menaçante ou bienveillante qui donne la chair de poule, est un cri d'amour à l'un des maîtres de Stephen King : Alfred Hitchcock. Il est évident que notre écrivain ne pouvait que rendre hommage, un jour ou l'autre, au Maître du suspense. Si la référence la plus probante est celle des Oiseaux, King rejoint également Hitch dans la construction de l'intrigue elle-même. Thad Beaumont se retrouve accusé de crimes qu'il n'a pas commis, et va devoir agir seul pour prouver son innocence. Soit le schéma préféré de Sir Alfred, qu'il a décliné dans une bonne moitié de son oeuvre. Et on peut dire que l'élève est à la hauteur de son maître : récit concis des meurtres, course-poursuite a crescendo, seconds rôles cocasses, représentation séduisante du mal... Le petit Stevie a bien appris sa leçon, et mérite même les éloges du jury. Curieux que Brian De Palma ne se soit pas jeter sur l'adaptation de ce roman...
Derrière le thriller et le roman d'épouvante se cachent les interrogations d'un écrivain. Car incarner un pseudonyme n'est pas seulement un procédé original qui permet à Stephen King d'effrayer les foules. C'est surtout l'indice de nombreuses angoisses quant au métier d'écrivain, et particulièrement à son statut à lui. Pour comprendre les enjeux de ce livre, il est peut-être bon de rappeler les circonstances qui ont amené notre auteur à créer Richard Bachman en 1977. Après le succès colossal de son premier roman Carrie, puis du suivant Salem, King se demande si ses livres se vendent sur son nom ou grâce à la qualité de leur contenu. Le constat est amer quand il découvre que les oeuvres de Bachman se rétament au box-office. Un étudiant découvre la supercherie en 1985, et King avoue tout en mettant en scène l'enterrement de son double. Les romans de Bachman sont immédiatement propulsés en tête des ventes. Si les points communs entre les deux histoires sont bien sûr nombreuses et évidentes (personnage du jeune qui découvre le pot aux roses, enterrement factice du faux auteur...), la relation entre Thad Beaumont et George Stark n'est pourtant pas la même qu'entre Stephen King et Richard Bachman. Dans le roman, Thad Beaumont prend un énorme risque à tuer son pseudo car c'est sous ce nom qu'il a du succès et qu'il est reconnu. Stephen King est amené à évoquer un autre thème : un auteur doit-il rester dans un registre ou a-t-il le droit de se diversifier? C'est également une question que l'auteur a été obligé de se poser lorsqu'il a décidé d'écrire des romans non-fantastiques. En concentrant dans La Part des ténèbres plusieurs thèmes liés à son statut d'auteur, Stephen King écrit un roman SUR le métier d'écrivain, bien plus intéressant et profond dans son analyse que son essai Ecriture : Mémoires d'un métier. Toutes les angoisses de l'écrivain y sont réunies : l'identité littéraire, le succès, mais aussi le comportement des admirateurs, car George Stark peut être vu sous l'angle d'un fan déséquilibré qui aurait récupéré l'identité enterrée du pseudonyme.
Je n'ai pas lu assez de livres de Stephen King pour annoncer assurément que c'est son meilleur. La Part des ténèbres a pour lui, cependant, de cristalliser tout ce que j'aime et qui m'intéresse chez cet auteur. Les fans de la terreur seront captivés, les amateurs de réflexion seront servis. Ce livre est en tout cas la preuve que Stephen King ne peut plus être considéré comme un "simple auteur de genre".

samedi 26 avril 2008

"De manière à connaître le jour et l'heure" - Nicolas Cauchy

Par Lhisbei

Dimanche 21 juin. Jean fête ses 54 ans entouré de sa famille au grand complet : son épouse, ses enfants, beaux-enfants et petits enfants sont présents. Dans un semblant d’harmonie familiale, il fête aussi sa réussite sociale et professionnelle puisqu’il vient de réaliser une grosse opération financière qui lui permettra de passer le reste de sa vie à se dorer au soleil sur le pont d’un voilier (nom de code : le Big Deal).
Samedi 27 juin. Toute la famille est à nouveau réunie mais pour les funérailles de Jean. Que s’est-il passé entre ces deux week-end ?

De manière à connaître le jour et l’heure est un roman à plusieurs voix à la construction maîtrisée. Très maîtrisée. Chaque personnage qui se confie au lecteur va dresser son portrait du défunt au travers de sa relation avec lui. La tendre épouse dévouée, le fils mal-aimé, le fils bien-aimé, les belles-filles et d’autres encore agenceront chaque pièce du puzzle tout en dévoilant des secrets de famille enterrés, tout en soulageant leur conscience du poids des apparences. La construction est parfaite, maintient le lecteur sous tension jusqu’aux dernières pages du dénouement et entretient le suspens sur les causes de la mort de Jean jusqu’au bout.

Mais une fois ôtée cette construction maîtrisée et tranchante, ce récit découpé au scalpel, que me reste-t-il de ma lecture ? Pas grand-chose j’en ai peur. Les secrets de famille, les rancoeurs, les jalousies des personnages sont finalement très convenus. Leurs histoires de vie m'ont laissée froide et je n'ai rien ressenti pour eux. La révélation finale tombait à plat : avec la montée en puissance du récit, l'ambiance "mafioso" de la famille, le Big Deal qui reste un peu louche, je m’attendais à une révélation fracassante et... non, rien d’extraordinaire. « Tout ça pour ça ! » me suis-je exclamée, déçue… La forme est parfaite, la plume séduisante, le talent de Nicolas Cauchy indéniable mais le livre manque de fond à mon goût.

Lire l'avis de Laiezza


vendredi 25 avril 2008

"La poudre des rois" - Thierry Maugenest

Par Sahkti

Nous sommes en 1250, Galeo a sept ans. Il embarque avec ses parents tisserands, depuis Séville, pour l'Orient, saint-Jean d'Acre, où une vie meilleure les attend. Sa mère se fait passer pour un homme à bord, les femmes étant interdites de traversée. Après quelques jours, le feu Saint-Sylvestre, à savoir une forte fièvre et des plaies purulentes, s'empare de ses parents, demeurés confinés dans les cales pendant le voyage pour des raisons de sécurité. Par crainte de contamination, huit riches marchands s'emparent des corps (toujours en vie!) et les balancent à la mer, sous le regard effaré de l'enfant. Pris en charge par un religieux présent sur le bateau, Galeo devient médecin, brillant et curieux. Il prend la route du retour vers Séville quinze ans après le drame.
A la même époque, soit en 1265, une série de meurtres mystérieux frappe Séville. Des marchands meurent les uns après les autres, frappés par un mal mystérieux. Harmad Ibn Hakzar, médecin royal, aidé de deux disciples, tente d'en savoir plus.

Un livre qui se situe entre le polar et le roman historique. Hautement documenté, fourmillant de détails sur l'art de la médecine en Orient et en Europe méridionale au Moyen age, il nous entraîne sur les traces des progrès dus à quelques grands noms de la médecine d'alors, soucieuse de s'ouvrir de nouveaux parcours indépendants de la religion et des miracles. Le propos est intéressant, dynamique du début à la fin et nullement pesant, l'auteur n'assomme pas son lecteur de références. J'ai pris beaucoup de plaisir à me plonger dans cette partie de l'Histoire, même à travers un roman.
Si l'identité du meurtrier est devinable aux deux tiers du livre, cela n'enlève rien au charme de l'ensemble, basé à mes yeux davantage sur un contexte que sur l'intrigue proprement dite. Une belle découverte et un très bon moment de lecture!

jeudi 24 avril 2008

"Elle s'appelait Sarah" - Tatiana de Rosnay

Par Laiezza

Je ne suis pas une midinette. Je n'ai même pas de cœur. Cela rassurera mes amis, qui se moquent tout le temps de mon côté "fleur bleue". Hélas, la seule chose que j'ai ressenti en lisant ce livre, c'est de l'affliction.
Tatiana de Rosnay raconte, en alternance, l'histoire de Julia, journaliste américaine enquêtant sur la rafle du Vel' d'Hiv', et celle de Sarah, petite fille qui en a été la victime. Le roman saute donc sans arrêt de 1942 à nos jours, et inversement, étalant des thématiques très larges, et à mon avis, un peu trop. C'est en fait le même parti-pris que dans "Windows on the world", de Beigbeder (je m'étonne de n'avoir lu aucun commentaire, parmi les deux cents sur le Net, le soulignant). Ce qui était agaçant, lourd chez l'un, ne l'est pas moins chez l'autre.
Julia l'américaine se bat pour le Devoir de Mémoire, c'est très joli, mais ce n'est pas suffisant, je crois, pour écrire un roman ! Sans s'attarder sur le fait que se battre, de nos jours, pour la reconnaissance de faits figurant depuis trente ans dans tous les manuels d'histoire, connus et reconnus de tous depuis le procès Papon (1997, et 1995 pour le discours de Jacques Chirac), relève plus de la bonne conscience contemporaine que du noble combat des Klarsfeld (on se demande même un peu contre quoi elle se bat, la fille, sinon contre son propre nombrilisme)...Sans s'attarder là-dessus, côté Sarah, tout n'est qu'une succession de clichés, sur l'occupation, sur la guerre, sur le nazisme, même sur les juifs...Rien que des choses racontées mieux ailleurs. Qu'on lise Levi (Primo, pas Marc), Appelfeld, ou même Vittori. On aura là des livres intelligents sur ces questions, ni plus ni moins "populaires" que cette soupe, faisant dans la simplification permanente. J'ai failli arrêter plus d'une fois, tant cela m'était insupportable. L'histoire de Sarah n'est pas bouleversante, elle est surtout gnangnan et manichéenne. L'auteur s'attaquerait à la collaboration ? Pas du tout : elle raconte l'histoire des gentils en danger à cause des méchants. Je vous renvoie au superbe livre de Gilles Perrault, "L'orchestre rouge", pour en apprendre un peu sur l'occupation, la collaboration, la Résistance, ou la déportation des juifs. Dans "Elle s'appelait Sarah", on n'apprend rien de plus que dans un manuel de troisième, aucune documentation, le comble, quand l'autre héroïne du roman est une journaliste ! Et je ne parlerai même pas de l'écriture, insipide, mettons cela sur le compte de la traduction, histoire de ne fâcher personne.
Je pense que je n'ai pas besoin de faire plus pour que vous compreniez mon avis. Il n'y a rien d'émouvant, encore moins de "noble", dans cette mélasse compassionnelle, surfant sur le Devoir de Mémoire, comme on surfe sur une mode quelconque ("pour ne pas l'oublier", inscrit sur la couverture, l'accroche promotionnelle ne se cache même pas). "Elle s'appelait Sarah", en choisissant de suivre une petite fille toute mimi, et en prenant le parti de ne raconter l'histoire que sur le mode purement émotionnel, est dans la droite ligne des idées récentes de notre Président, et en conséquence, il provoque autant mon indignation. En tant que lectrice, en tant qu'enseignante (enseignant justement cette mémoire), et en tant que juive. Bien sûr, ce noble combat n'appartient pas qu'à moi. Que l'auteur ait voulu publier ce livre hors les frontières, pour qu'on s'en rappelle au-delà de la France, pourquoi pas ? Ici, désolée, je crois qu'il y a assez de livres, de romans, de films, de documentaires, sur cette question, pour qu'on se passe de l'aide intéressée de Tatiana de Rosnay.

mercredi 23 avril 2008

"Novecento pianiste" - Alessandro Baricco

Par RêveJeanne

Un tout petit très grand livre. L'histoire ne compte que 95 pages mais elle est parfaite.
Alessandro Baricco a écrit le texte pour Eugenio Allegri, un acteur, et Gabriele Vacis un régisseur qui en ont fait une pièce de théâtre. Ce qui explique peut-être le personnage principal Novecento. Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento est né sur un paquebot, le Virginian. Ses parents ont quitté le navire en l'abandonnant dans une boîte de T.D Lemons sur le piano de la grande salle à manger et c'est Danny Boodman, membre de l'équipage, qui "l'adopte" et lui donne son nom Danny Boodmann T.D. Lemon, et il y ajoute Novecento parce qu'il l'a trouvé dans le premier an du nouveau siècle. Novecento de sa vie ne quittera jamais le bateau. Alors ça crée le parfait décor pour une pièce de théâtre. Aussi Novecento a été mise en scène dans le monde entier.
C'est Tim Toony qui raconte l'histoire. Il a été engagé sur le bateau comme trompettiste et est devenu l'ami de Novecento.
Quand il avait huit ans et quelques jours après la mort de son père adoptif, Novecento s'est mis devant le piano et a commencé à jouer. Il joue tous les jours, pendant toute sa vie. Il joue une musique qui n'est comparable à aucune autre, il joue au rythme des vagues. Son talent est énorme et sa réputation se répand dans tous les ports. On dit qu'il est le plus grand pianiste du monde, ce qui ne plaît pas à Jelly Roll Morton, le dit inventeur du jazz. Attention: Jerry Roll Morton était vraiment l'inventeur du jazz. Son Jerry Roll Blues (septembre 1915) était la première pièce de jazz jamais publiée. Lui-même aussi, à l'époque, clame sur tous les toits que toutes les musiques qu'on y joue ne sont que de pâles imitations de ses nombreux styles ; que c'est lui qui a inventé le jazz : il donne même une date : 1902. Voilà une parfaite raison pour s'embarquer pour une traversée sur Le Virginian, afin de défier Novecento. Un joli clin d'oeil de Baricco à l'histoire du jazz.

Le texte est virtuose comme la musique de Novecento et il est plein de poésie et d'humour. J'ai l'ai lu en version traduite, elle est déjà très bonne alors ça doit être un régal de pouvoir le lire en italien.

On a aussi fait un film du livre - La légende du pianiste sur l'océan- en janvier 2000 - dont la musique a été composée par Ennio Morricone. Je ne l'ai pas vu mais je vais certainement essayer de le trouver dans la vidéothèque.
Il paraît qu'il existe aussi des versions radiophoniques.



Lire les avis de Gaël et de Zaph

"Messieurs Ma, père et fils" - Lao She

Par Mbu


Résumé :
Entre-deux guerre. Messieurs Ma, le père et le fils, embarquent pour l’Angleterre où ils vont reprendre le magasin d’Antiquités que leur laisse le frère du vieux Ma. Pour lui, cinquantenaire lettré et oisif, pauvre mais raffiné ayant rêvé toute sa vie d’être fonctionnaire et méprisant les commerçants, c’est une humiliation que de reprendre un commerce et l’idée de quitter la Chine ne l’enchante guère mais, fataliste malgré sa fierté, il se plie à cette obligation. Pour le jeune Ma Wei, c’est la chance unique de pouvoir faire des études, de construire son futur.
Ils trouvent un logement chez une veuve, Mme Window, qui vit seule avec sa fille Mary. Si la veuve voit d’un mauvais œil la venue de chinois chez elle, elle cède rapidement au charme raffiné du vieux Ma tandis que le jeune Ma Wei tombe amoureux de la jolie et coquette Mary, qui elle n’arrive pas à se départir de ses préjugés mais apprécie l’admiration qu’on lui accorde. Mais tant le fossé entre les générations, le vieux Ma représentant la Chine fossilisée dans la tradition et Ma Wei la jeunesse qui veut voir les choses changer, qui rêve de modernité, que les préjugés qui minent les relations entre les personnages, va faire imploser ce petit monde qui ne peut pas tenir ensemble.
Mon avis :
Curieuse de connaître le point de vue d’un chinois sur l’Occident, j’avais eu très envie de lire ce livre. Lao SHE a vécu à Londres dans les années 30, et il faut tout d’abord lui accorder qu’il a un grand talent de description. On voit le brouillard de Londres, l’effervescence de noël, le vieux Ma face au trafic, au tourbillon du rythme londonien, se sentant prit de tournis. Il maîtrise la description des personnages aussi, surtout celle de la veuve Window et du vieux Ma, alors que les autres personnages sont plus estompés, Ma Wei presque en filigrane. On voit la veuve Window évoluer de ses préjugés qui s’estompent, à son amour pour le vieux chinois, déchiré par les préjugés de la société. « Sauver les apparences », cette doctrine dont le vieux Ma est le plus fidèle gardien viendra finalement mettre fin à un amour condamné par la société.
Lao SHE oppose donc deux choses. La société chinoise et la société anglaise, dénonçant avec virulence les injustices dont sont victimes les immigrés chinois en Angleterre et le racisme ambiant, mais dénonçant également le manque de fierté et d’efficacité de ses compatriotes dont il fait une critique virulente, au travers du personnage du vieux Ma, et par la bouche de Li Zirong, employé efficace au magasin d’antiquités, qui fait le pont entre les valeurs trop traditionnelles du vieux Ma et le désir de modernité absolue de Ma Wei et entre la société anglaise et la société chinoise.
Voilà maintenant huit mois que je vis en Chine. Bien que ce roman se situe au début du siècle passé, je n’ai pas cessé de retrouver des analogies avec le présent. Par exemple, le conflit entre la Chine traditionnelle et la Chine moderne est très marqué. Ce n’est pas juste une histoire de conflit de génération. Il est aussi présent chez les jeunes. La modernité semble avoir fondu sans prévenir sur ce pays : elle est partout, gadgets, belles voitures avec ordinateur intégré sur lequel on voit le chauffeur jouer au… ma-jong ! En discutant un jour de la valeur du mot « harmonie », tant utilisé ici en parlant du développement du pays, on m’a expliqué que cela venait du confucianisme. Lorsque je demande à mes élèves ce qu’ils préfèrent lire, ils me répondent systématiquement : les classiques (du Moyen-Âge). Lorsque je leur demande quelle époque il voudrait visiter s’ils le pouvaient, ils me parlent de dynasties lointaines. L’impression qui en ressort pour moi, c’est que la Chine s’avance dans l’avenir en regardant vers son passé. Et Lao SHE met très bien en lumière cette fierté nostalgique de la vieille génération opposée à la déception et à la frustration de la jeune génération.

mardi 22 avril 2008

"Quatrième étage" - Nicolas Ancion

Par Zaph

On dira tout ce qu'on veut sur Nicolas Ancion, mais pas que c'est un auteur vénal.

Je m'imagine que c'est tout naturel, quand on écrit un roman, d'apporter un soin particulier à la première page, voire aux quelques premières pages. Plus loin dans le livre, on peut laisser passer des imperfections, mais on sait à quel point, dans une rencontre, les premiers instants son capitaux. Pour les livres aussi. On a envie que le lecteur potentiel qui a ouvert votre livre par hasard dans une librairie soit séduit et passe à la caisse. Il faut bien vivre. Il m'est donc arrivé souvent d'avoir une bonne impression dès le début de ma lecture, et de la voir se confirmer dans la suite. Parfois aussi, l'auteur n'arrive pas à maintenir le niveau sur la longueur. C'est humain.

Nicolas Ancion, lui, n'a que faire des conventions.
Honnêtement, j'ai rarement lu deux premières pages de roman aussi mauvaises. Ou si je l'ai fait, eh bien je n'ai pas du continuer plus loin ma lecture.

"- Tu y crois, toi, à la chance? Toni m'avait posé la question comme on pose une bombe, juste à l'entrée de la gare en pleine heure de pointe." [...] "Par contre, quand on te pose des questions embarrassantes, du genre de celle-là, avec la chance et tout ça, il faudrait deux cafés coup sur coup pour trouver l'énergie en quantité suffisante afin de répondre ne fût-ce qu'une réponse. On est déjà fatigué avant même de commencer à répondre. On se sent épuisé, on voudrait partir en courant..."

Et c'est comme ça pendant des pages. C'est moi qui ai failli partir en courant.
Je ne sais pas ce qui m'a fait persévérer dans le cas de Nicolas. Peut-être parce que moi, j'étais vraiment trop épuisé pour courir? Ou peut-être le fait qu'il vient de la même ville que moi? En tout cas, j'ai bien fait, parce que ce texte ne cesse heureusement de s'améliorer au fur et à mesure des pages.

"Quatrième étage" donc, raconte deux histoires en alternance.
Celle de Serge, qui se voit par un étrange concours de circonstances promu plombier et envoyé réparer une fuite dans l'appartement d'une charmante demoiselle.
Celle de Thomas et Marie, un vieux couple toujours amoureux habitant au quatrième étage d'un immeuble branlant, dans un Bruxelles fantasmagorique à deux étages, partagé entre une ville haute plus ou moins normale et une ville basse déliquescente, presque apocalyptique, où la survie est un combat de tous les jours.

J'ai bien apprécié cette réalité décalée, qui tient en partie du film "Delicatessen" et d'une fantaisie proche de Vian.

Si les univers des deux histoires sont décrits de manière différente, ce n'est pas pour rien, mais en dire plus serait trahir la surprise du livre. Car on se demande évidemment comment les deux histoires vont se rejoindre; et elles le font de manière assez originale; c'est la bonne idée du livre.

Donc, il y a incontestablement du bon, dans ce bouquin. Mais même si on passe sur le début catastrophique, il y a aussi de sérieuses faiblesses.
C'est bien de chercher la simplicité et la légèreté, mais Nicolas tombe parfois dans la naïveté. Les monologues et réflexions de ses héros sont parfois frais et drôles, mais versent aussi souvent dans la platitude et les lieux communs sans intérêt.

Une opinion en demi-teinte pour ce livre, donc. Mais je suis certain que l'auteur serait capable de surmonter ces petits défauts.

"Sacré" - Dennis Lehane

Par Sahkti

Angie Gennaro et Patrick Kenzie sont enlevés par un milliardaire qui leur confie la tâche de retrouver sa fille. Mais aussi le détective précédemment engagé pour la même mission, lui aussi disparu, et qui s'avère être un des meilleurs amis du duo d'action.

Très vite, le couple se rend compte que ce qui "est blanc est noir et ce qui est en haut est en bas". Chacun cache bien son jeu et les anges sont en réalité des monstres.

J'ai aimé: le fait qu'assez tôt, on comprenne les mécanismes de la violence et du machiavélisme. Pas de découverte tonitruante ni de rebondissement dans les dernières minutes, au contraire. Le lecteur suit pas à pas la trace des êtres malfaisants en même temps que les deux enquêteurs et c'est plutôt bien de pouvoir scruter de la sorte ce qu'ils ont dans la tête.

J'ai peu apprécié: la fin. Quelle mauvaise fin! Les dernières pages sont presque risibles tant elles transpirent la banalité et la facilité. Le reste du roman se déroule bien, l'écriture est agréable, il y a de la tension et aussi beaucoup de détails, de digressions, d'exploration psychologique.
Mais là, quelle pirouette bon marché et tellement convenue! Dommage que ça gâche un peu le plaisir ressenti jusque là.

dimanche 20 avril 2008

"Ténèbres, prenez-moi la main" - Dennis Lehane

L'Avis d'Ingannmic

Où l’on retrouve le duo d’ « Un dernier verre avant la guerre » : Patrick Kenzie et Angie Gennaro, à la fois détectives associés, amis d’enfance et anges-gardiens mutuels. Contactés par un ancien professeur de Patrick, ils sont chargés de veiller sur Jason, le fils de la psychiatre Diandra Warren, qui a reçu des menaces à la suite de sa rencontre avec la petite amie du bras droit d’un mafieux local. C’est le début d’une enquête complexe et plus qu’éprouvante, dont les éléments puisent leurs racines dans des actes commis par le passé, à l’époque où nos 2 héros n’étaient que des enfants, mais dont les conséquences vont retentir de façon tragique sur leur existence.
Dorchester, le plus vaste quartier de Boston, se place au cœur du récit : la quasi-totalité des personnages y ont grandi, la plupart y sont restés ; ils ont suivi des voies différentes mais traînent avec eux des vestiges de souvenirs communs. Par les yeux du narrateur (Patrick Kenzie), Dennis Lehane y dépeint un monde où la violence, omniprésente, n’est pas l’apanage des criminels et autres psychopathes, et c’est ce qui rend ce rend ce roman si troublant. Il nous démontre que personne ne peut se targuer d’être à l’abri de sa propre violence : acculé par la peur, galvanisé par le désir de vengeance, jusqu’à quel point sommes-nous capables de laisser parler la colère, voire la haine, qui est en nous ? Quel est le seuil au-delà duquel nous ferions taire notre conscience ? Et il va encore plus loin, laissant entendre que lorsque nous prenons le pouvoir sur autrui, parce qu’à un moment donné, nous avons réussi à avoir l’avantage, ce pouvoir serait générateur d’une certaine ivresse. Angie Gennaro l’avoue elle-même : quand elle a abattu, de sang-froid, un homme, elle a eu la sensation d’être Dieu !! Et la question est-elle de savoir s’il avait mérité sa mort, et qui peut, d’ailleurs, en juger ? (Même si, effectivement, on se prend à penser, au cours de la lecture, que certains ne sont pas dignes de vivre..)
Vous l’aurez compris, j’ai trouvé ce roman très fort, l’intrigue très prenante, et il m’a paru plus marquant et plus complexe que le volume précédent mettant en scène le même tandem de détectives (Un dernier verre…), que j’avais pourtant beaucoup apprécié.




L'Avis de Claude (également surnommé par chez nous : Le Lion Grincheux)

Il n'y a pas de changement sous le ciel plombé de Boston. Je suis à moitié convaincu et à moitié déçu par le livre.
Le style m'est apparu un peu plus lourd et poussif que dans le premier opus (surtout les réparties humoristiques du début) et l'histoire encore un fois un peu trop convenue. Et ce n'est pas cette fin supposée imprévisible qui change la donne.
Au final une banale histoire de sérial killer qui s'en prend aux héros et qui veut les emmener dans son domaine avec en prime une belle morale bien nette et très politiquement correcte. Nous sommes tous des monstres en puissance mais nous nous différencions toute de même grâce au héro...
Je ne suis vraiment pas convaincu par Lehane.




L'Avis de Thom

Un petit mot rapide de "Darkness, take my hand" - faute de temps. Et seulement à cause de ça. Car le second volet de la série Kenzie-Genaro est tout simplement incontournable, imparable...un chef d'oeuvre, un vrai, de ceux qu'on pourrait lire et relire sans jamais s'en lasser - et en retombant dans le panneau à tous les coups. Il démarre d'une manière tout à fait convenue (exactement comme "A drink before the War")...pour mieux basculer en cours de route, révéler des abymes de violence et de désespoir.
Le meilleur roman de Lehane ? De "Mystic River" en "Shutter Island", il y a une sacrée concurrence. En tout cas le plus remarquable livre de serial-killer qui ait jamais été écrit. Noir, opressant, violent et poétique à la fois...et doté qui plus est d'un titre magnifique (non ?). Ce qui n'était pas gagné : "Voyage au bout de l'Enfer" était déjà pris.

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"Blessés" - Percival Everett

Par Laiezza


Percival Everett est, sans doute, le plus enragé de tous les écrivains américains actuels. Il le prouve une nouvelle fois avec "Blessés", son dernier publié en France, une histoire aussi belle que pessimiste, ambiance far-west, ou comment l'Amérique a été meurtrie par deux mandats de bushisme.

John Hunt vit retiré du monde, dans un ranch. Il y coule des jours paisibles, rien n'arrive plus dans sa vie, mais il n'en attend plus rien, et s'en satisfait très bien. Jusqu'à ce qu'un crime homophobe d'une incroyable violence survienne, à quelques kilomètres seulement de chez lui. Lentement, le comté va avancer vers la violence. John, noir peinant à assumer sa condition d' "african-american", ne peut s'empêcher de s'impliquer dans les évènements à venir. Jusqu'à s'y perdre complètement.

Il y a dans ce roman, en plus de l'histoire elle-même (digne des meilleurs polars de Jim Thompson), une thématique de l'échec très forte : où trouver l'espoir ? voilà ce que semble demander l'auteur. C'est le constat d'échec de toute une génération, celle du personnage, comme celle d'Everett, qui de sa vie d'adulte n'aura presque connu que des présidents conservateurs (Ford, Reagan deux fois, Bush père, Bush fils deux fois), et y aura laissé la plupart de ses illusions, tous ses rêves de bonheur, ou d'avancées sociales.

L'ambiance est désenchantée, sinon désespérée, et seule la langue semble porteuse de lumière : Percival Everett joue avec les mots avec bonheur, c'est très frustrant de lire un tel écrivain en français. D'ailleurs, le titre anglais de son livre n'est pas "Hurted", mais "Wounded" : "blessés", au sens "mutilés de guerre". Tout est dit, et, comme toujours avec Percival Everett, c'est du grand art !
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samedi 19 avril 2008

"Ma cousine Rachel" - Daphné Du Maurier

Par Gaël

Quatrième de couverture :

Philip, sans la connaître, déteste cette femme que son cousin Ambroise, avec lequel il a toujours vécu étroitement uni dans leur beau domaine de Cornouailles, a épousée soudainement pendant un séjour en Italie.
Quand Ambroise lui écrira qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner, Philip le croira d'emblée. Ambroise mort, il jure de le venger.
Sa cousine, cependant, n'a rien de la femme qu'imagine Philip. Il ne tarde pas à s'éprendre d'elle, à bâtir follement un plan d'avenir pour finir par buter sur une réalité de cauchemar.

Mon avis :
Il est intéressant de lire Ma cousine Rachel après avoir découvert Orgueil et préjugés. Car Daphne Du Maurier a, sans le savoir, écrit le contraire exact du chef d'oeuvre de Jane Austen. Si les défauts de l'héroïne Elizabeth, énoncés dans le titre, l'empêche de s'ouvrir dès le départ à l'amour de Darcy, c'est bien les erreurs inverses qui amènent Philip à s'éprendre de la mystérieuse Rachel. Il aurait effectivement dû rester camper sur ses premières impressions et faire confiance aux préjugés qu'il avait à l'encontre de sa cousine, et c'est également un manque de dignité qui fait de lui un amoureux transi sans une once de discernement. Ce n'est pourtant pas les indices quant à la vraie nature de la belle qui manqueront autour de lui : suspicion de son cousin, avertissement de Louise, son amie d'enfance, ou la mauvaise impression que lui fait Rainaldi, complice de Rachel à la présence dérangeante.
Ici Daphne Du Maurier oppose clairement l'amour à la clairvoyance, et démontre que s'amouracher d'une personne conduit irrémédiablement à la perte de la victime. C'est une thèse que l'auteure défendait déjà dans Rebecca, avec lequel Ma cousine Rachel partage de nombreux points communs : une immense demeure isolée qui rappelle Manderley, un fantôme qui hante sur notre couple, une idylle qui naît à l'étranger, un secret qui remettra l'histoire d'amour en cause... Du Maurier continue de rendre hommage au grand roman victorien dans sa veine gothique.
Si on ne peut s'empêcher de remarquer que le roman accuse quelques longueurs, on ne peut que compatir et même prendre en pitié ce pauvre innocent qui se fait prendre facilement dans les filets de cette veuve empoisonnée. La narration à la première personne, qui nous dévoile l'histoire du point de vue de Philip, amènera le lecteur à réagir différemment selon sa sensibilité. Il aura tendance à le condamner et à le considérer comme un idiot s'il pense que le héros s'est trompé depuis le départ. Il espèrera une issue heureuse (ou bien Ambroise s'est trompé et Rachel est une femme innocente, ou alors Philip se rendra compte assez vite de son erreur de jugement) s'il suit la logique du héros à la lettre. Comme on pensait que Darcy était un homme arrogant et immoral, pour découvrir qu'il était un homme droit et aimant, Rachel incarne l'être mystérieux qui change d'aspect au fur et à mesure de l'intrigue, passant de la femme douce et intelligente à un monstre de cupidité et de froideur. Daphne Du Maurier, ou le côté sombre de Jane Austen.
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vendredi 18 avril 2008

"Mystic River" - Dennis Lehane


Par
Thom


« Mystic River », roman à la construction étourdissante, n’est pas une seule histoire – plutôt trois qui s’entre-mêlent. Trois histoires pour trois gosses qu’on attrape ados, en 1975, et qu’on ne lâchera plus jusqu’au plus ahurissant des finals. Dave, Jimmy, Sean, ados comme les autres dont les vies vont basculer – mais pas précisément aux mêmes moments comme le laisse croire le film d'Eastwood.

1975, donc : deux types se faisant passer pour des flics les interpellent un soir. Ils embarquent Dave, qu’on ne reverra plus pendant quatre jours. Il réapparaitra subitement, prétendant s’être échappé. On ne saura jamais vraiment ce qui lui est arrivé. Quelque chose d’assez traumatisant, manifestement, pour le couper complètement du monde – et donc de ses deux copains. Ces passages, réduits à peau de chagrin dans le long-métrage, sont absolument grandioses sous la plume de Lehane, qui croque en finesse les peurs enfantines, la rage adolescente, la perte de soi. Sensationnel.

Le temps fait son œuvre, les trois ados se perdent plus ou moins de vue, deviennent adultes, se marient, Sean divorce, Jimmy perd sa femme alors qu’il est en prison…chacun avance à sa manière, jusqu’à ce qu’ils se retrouvent à nouveau en présence. Un matin Katie, la fille de Jimmy, disparaît. Sean est devenu un flic taciturne borderline, il enquête sur l’affaire. L’aventure de 1975 revient rapidement sur le tapis : ce drame d’autant plus traumatisant qu’ils en ignorent les tenants et aboutissants à fini par gommer tous leurs autres souvenirs d’amitié. Et ils trouvent bien sûr son écho dans le drame qui les réunit à nouveau – Dave ne tardant pas à les rejoindre.


On en dira pas plus – ça n’aurait aucun intérêt. L’intrigue s’éparpille ensuite en de multiples ramifications, cela dit à ce stade le ver est déjà dans le fruit. Et ce ver c’est (bien sûr) celui de la violence, qui monte d’un cran à chaque page. Fascinant Lehane qui transmet sa propre fascination pour la naissance de cette violence, le dépôt d’un germe dans le passé qui explose au grand jour au présent. C’est moins ce qu’a vécu Dave en soi qui l’a amené à devenir une boule de colère sourde que ce qui a suivi le drame indicible : le silence, l’incapacité pour la parole de se frayer un chemin, l’enfermement en soi-même.

Lehane étant encore trop jeune pour que ses obsessions soient déjà devenues de vieilles marottes, il joint le geste à la parole en faisant gronder la ville…je me suis étonné en lisant cela que personne n’ait remarqué ce détail : j’ai vu beaucoup d’articles sur la ville, Boston et sa banlieue pourrie, dans l’œuvre de Dennis Lehane, mais aucun qui note cette obsession pour la ville qui gronde, la ville à deux doigts d’exploser, la ville qui se révolte contre l’ordre incarné par une police ne tenant plus grand chose. Dans au moins trois histoires de Lehane cette tension de la communauté est palpable (« A drink before the War », « Gone, Baby Gone » et « Mystic River »), et ici elle se traduit par une narration en vrille, ricochant d’un personnage à l’autre avec une espèce d’inéluctabilité qui rappelle par instant la tragédie antique : unité de temps (une poignée de jours à partir de 2000), unité de lieux et surtout…on s’aperçoit rapidement que la valse aux alliances des Flats a mis un peu tout le monde dans le même bateau, qu’à part Sean – l’intru enquêtant – tous les autres appartiennent à peu de choses près à la même famille consanguine et dévastée par la mort de Katie. Et ils subissent une espèce de mécanique implacable, de pression sautant un cran à chaque étape : disparition, découverte de la voiture, découverte du corps, début de l’enquête, enterrement…chaque cran est un pas de plus vers le chaos – émeute ou vendetta (ça vous rappelle quelque chose ? Rassurez-vous : c'est normal). On voit arriver l’explosion de violence à des kilomètres…même le lecteur qui pensait lire un banal polar se doutant rapidement que la résolution de l’enquête ne passera pas vraiment par des voix traditionnelles. Et d’ailleurs que peuvent les deux flics face à la douleur de Jimmy et de sa clique ? Que peuvent-ils contre la haine ? Rien : Sean le gentil policier se fera dépasser par les évènements en moins de deux, spectateur impuissant d’une enquête qui lui aura totalement échappé et aura ravivé en lui bien des fêlures.


Vertigineux, donc. Et remarquablement écrit, trop peut-être : Lehane a un style tellement sensationnel qu’il donne à une grande majorité de ses admirateurs l'impression que la plupart des polars sont mal écrits. C’est ce qui s’appelle transcender un genre, et c’est plutôt une qualité.

Le revers de la médaille c’est qu’aujourd’hui, comme tout lecteur de « Mystic River » et de quelques autres…j’en suis à chercher désespérément, fiévreusement un truc qui soit « aussi fort que Lehane »…

…je risque de chercher longtemps.
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jeudi 17 avril 2008

"Novecento: pianiste" - Alessandro Baricco

Par Zaph

Petit, tout petit texte de moins de 80 pages. D'ailleurs, je crois me rappeler que la critique que Gaël en avait fait était presque aussi longue que le texte lui-même!

Cependant, le fait qu'on ferme ce livre a regret, mais qu'on sent qu'en dire plus aurait été superflu, me fait croire qu'il a la juste taille. Combien d'auteurs osent encore faire court quand il faut faire court, aujourd'hui? Faut croire que la matière diluée fait moins peur. Baricco est donc courageux!

De plus, selon l'auteur, ce texte est fait pour être dit, ou lu a voix haute.
Une sorte de conte oral, donc, qui sied à la forme courte. Et on s'imagine bien entendre cette histoire racontée, en effet, par un conteur de talent.

Il y a tous les ingrédients qu'il faut pour en faire un conte idéal.
Une situation invraisemblable, mais pas trop, juste ce qu'il faut pour qu'on puisse se laisser convaincre sans trop de mal et rentrer dans l'histoire.
Un personnage trop typé, mais dans un conte, il faut des personnages trop typés. Vous voudriez d'un grand méchant loup pétri de doutes et de remords, qui se la joue à la Hamlet, vous? Ou d'une Cendrillon qui engage un tueur de la mafia pour assassiner ses belles soeurs et récupérer sa fortune, puis se fait refaire les seins pour séduire le prince et ...
Qui a dit "oui"?
De toute façon, je m'écarte du sujet. Chez Baricco, les loups sont bêtes et méchants, et les Cendrillons sont bêtes et naïves, comme il se doit.

Alors, en fait, que se passe-t'il dans notre conte?
C'est donc l'histoire de Novecento, un type qui joue du piano sur un bateau. Et c'est même pas le Titanic, le bateau. Mais ce qui est drôle, c'est que le type est né sur le bateau et n'a jamais mis le pied à terre. C'est même un truc qui lui fait fichtrement peur, descendre du bateau.
Mais comme bien sûr il joue divinement, vu qu'il n'a eu rien d'autre à faire de ses jours et de ses nuits durant trente ans, sa réputation, elle, est descendue du bateau et s'est répandue à terre. Jusqu'à atteindre l'autre grand pianiste, le terrien. Il faudra qu'ils se mesurent, ces deux-là.

Tout cela est très bien raconté, par un trompettiste, ami de Novecento, qui a joué plusieurs années avec lui sur le bateau.
Baricco a l'intelligence de laisser quelques traits d'humour à des personnages secondaires, ce qui leur donne du corps; j'aime ça.
Le personnage principal, lui, reste mystérieux, il intrigue, il est sage, peut-être. On trouve toujours sages ceux qui acceptent sans se plaindre.
Novecento accepte que le monde soit trop grand, que la vie soit trop grande, ou que nous soyons trop petits.

Je m'arrête, sinon, je vais faire plus long que Gaël.

mercredi 16 avril 2008

"Chagrin d'école" - Daniel Pennac





Le titre est révélateur du contenu. Daniel Pennac nous raconte ses déboires d'ancien cancre (si si). Soyons clair dès le départ : il s'agit évidemment de nous faire partager sa vision sur l'école des deux côtés. Avec les yeux du cancre d'abord, ses yeux d'enfants puis avec ses yeux de professeur. Si on essayait de dégager un genre dominant dans ce livre, il tiendrait plus de l'essai que du roman.

En refermant le livre, plusieurs questions s'offrent à moi : ai-je aimé parce que je suis moi-même enseignante? Il parle plus souvent du secondaire que du primaire et pourtant, nous avons tous les mêmes préoccupations : la réussite de nos élèves. Il est très important ce possessif, gage de reconnaissance, d'amour même envers nos "petits". De nombreux passages m'ont fait sourire, ont fait écho à ma vie quotidienne : ces élèves "friandises" comme il les appelle, élèves brillants avec lesquels s'installent une connivence mais aussi ces élèves en difficulté qui ne veulent souvent qu'un peu de considération.
Comment faire pour aider ses cancres, ces cabossés de l'école? Daniel Pennac ,cancre, converse avec Daniel Pennac, professeur.



« […] - C'est pas ce qui manque , les méthodes, il n'y a même que ça, des méthodes! Vous passez votre temps à vous réfugier dans les méthodes, alors qu'au fond de vous vous savez très bien que la méthode ne suffit pas. Il lui manque quelque chose.
- Qu'est-ce qui lui manque?
- Je ne peux pas le dire
- Pourquoi?
- C'est un gros mot.
- Pire qu'"empathie" ?
- Sans comparaison. Un mot que tu ne peux absolument pas prononcer dans une école, un lycée, une fac ou tout ce qui lui ressemble.
- A savoir ?
- Non, vraiment, je ne peux pas…
- Allez, vas-y !
- Je ne peux pas, je te dis ! Si tu sors ce mot en parlant d’instruction, tu te fais lyncher.
- …
- …
- …
- L’amour. »

Attention : le livre n’est pas empathique justement. Il ne fait pas l’éloge d’arguments mielleux du style « avec l’amour, vos élèves seront tous brillants ». Daniel Pennac nous offre une critique objective de l’univers scolaire du fait de sa double « casquette » cancre/professeur.
Je serai curieuse d’avoir des avis de personnes non enseignantes, pour me rendre compte de la portée de « Chagrin d’école ».
Il faut dire que j’ai toujours aimé Daniel Pennac grâce à ma prof de français de 3ème, grand bien lui fasse : nous lisant l’incipit de « La fée carabine », elle m’inocula la passion de la littérature… Car, comme le dit Mr Pennac himself :
« Il suffit d’un professeur – un seul – pour nous sauver de nous-même et nous faire oublier tous les autres. »

Merci Monsieur Pennac.
Merci Madame Laine.

Lire l'avis d'Ananke

mardi 15 avril 2008

"Shutter Island" - Dennis Lehane

L'Avis de Sahkti

Un livre désarçonnant. L'histoire tarde un peu à démarrer, il y a la découverte de l'île et de l'hôpital prison, un échange de dialogues assez plats entre Chuck et Teddy, puis enfin, le rythme s'accélère, la tension s'installe et c'est parti pour une lecture d'une traite.
De la complexité, des rebondissements, une promenade chaotique du lecteur au fil des pages pour en arriver à cette fin, ultime pirouette ou tour de génie? L'un n'empêche pas l'autre. Je ne suis pas fan des tours de passe-passe à la fin des ouvrages qui veulent que tout était rêvé ou ce genre de chose, je trouve ça en général trop facile. Ici, il faut cependant reconnaître que cette apparente facilité est loin d'être aussi simple et que rien n'est véritabement résolu, le lecteur choisira l'option qui lui plaira. De quoi créer un certain malaise, voire de l'agacement, parce que ces dernières pages sont à l'image du reste: mystérieuses, prenantes et bigrement bien tournées.
Il y a dès lors un éclairage nouveau: la profusion de détails s'explique, les nombreuses politesses échangées entre les amrshals aussi, ainsi qu'une foule de petites choses qui pouvaient paraître incongrues au milieu d'une page et qui prennent un sens différent après avoir refermé le livre. De quoi, dès lors, oublier la pirouette qui est en fait un coup de maître et regarder tout cela d'un oeil admiratif mais aussi, oui, un peu fébrile. Parce que bon, cette fin, tout de même, c'est diabolique!
L'impression que Dennis Lehane s'est bien joué de nous et a réussi à manipuler nos pensées et notre sens de la réflexion. Fort !



L'Avis de Thom

Evidemment, c’est un peu chiant. Même carrément lourdingue par moment. Et à coup sûr ce n’était pas ce que l’auteur voulait. N’empêche que voilà, c’est comme ça et on y peut grand chose – à part bien sûr râler de bout en bout comme je l’ai fait durant cette lecture. Quoi ? Pardon ? Bah…pourquoi vous faites cette tête-là ?
Ok, je vois : on vous a dit que « Shutter Island » était un livre exceptionnel. Du coup quand je dis que c’est un livre chiant vous pensez que j’essaie de vous jouer un vilain tour, ou bien alors de me distinguer de la cohorte de fans convertis au Lehanisme au terme de ce roman. Mais pas du tout, rassurez-vous : « Shutter Island » est bel et bien l’un des romans les plus prodigieux que j’ai lus ces dernières années (et vous êtes bien placés pour savoir que j’en ai lu beaucoup, c’est dire si je pèse mes mots). De ce point de vue là je suis totalement d’accord avec les dix mille personnes à l’avoir chroniqué depuis sa sortie. A ceci près que je suis saisi depuis deux jours d’une irrépressible envie de toutes les tuer mais bon…on a tous un côté obscur, pas vrai ?
Le fait est que voilà : à trop lire que la fin de « Shutter Island » est sensationnelle et inattendue, elle finit par être un poil moins sensationnelle et absolument plus inattendue. Ca pour le coup, je l’ai attendue cette fin ! Avec impatience, et en prenant bien soin de me méfier des apparences, et en guettant le moindre détail, etc. Du coup ça n’a pas manqué : j’ai fini par la deviner. Ce qui ne me serait sans doute pas arrivé si quarante personnes ne m’avaient pas expliqué au préalable que je ne trouverai jamais, que c’était impossible de s’y attendre – alors là je m’inscris en faux : c’est totalement possible de s’y attendre, c’est même un retournement final qui a déjà été utilisé auparavant, sauf que c'était au cinoche (mais ne comptez pas sur moi pour vous dire dans quel film, quoique je serais soulagé de savoir que j’ai ruiné le suspens à au moins une autre personne – histoire de me venger).
Bref ! Nous voilà typiquement en face de ce que nous appellerons la Jurisprudence Psychose (ou Jurisprudence Chambre Jaune, si vous préférez). Ce cas d’énigmes tellement incroyables qu’elles finissent pas se casser la gueule, pour la simple et bonne raison que justement elles sont incroyables et que du coup tout le monde trouve vital de vous dire qu’elles sont incroyables. Là où au final, elles ne sont pas forcément si fabuleuses que ça : l’art de Lehane ici, comme celui de Hitchcock ou de Leroux dans les deux classiques suscités, est moins celui du suspens que celui de la digression, de la décoration, de l’atmosphère qui étouffe vos neurones en même temps que les personnages. Un art qui passe fatalement par une écriture somptueuse à changer les plus grands maîtres du roman noir en Harlan Coben. Et ça, ça vaut toutes les fins du monde…parce qu’entre nous, le mieux, dans « Shutter Island », ce n’est pas le rebondissement de la page 370…c’est tout ce qu’il y avait avant. Cette ambiance prenante, ces personnages torturés et tous ces couloirs sombres…voici par quoi tient le livre, bien plus que par son intrigue et même si l'auteur essaie (c'est le jeu) de nous faire croire le contraire.
Vous noterez qu’au final je ne vous ai quasiment rien dit sur ce chef d’œuvre. Une fois de plus vous pourrez dire que je suis sympa : on ne me reprochera pas, à moi, de foutre en l’air le suspens. Idéalement, il faudrait même tout simplement interdire aux gens de parler de « Shutter Island ». Telle sera donc ma position : lisez-le. Et ne lisez plus les critiques sur le sujet (enfin : après celle-ci, il va sans dire que pour votre serviteur il y aura toujours dérogation).



L'Avis de Rêvejeanne

Pendant la premiere partie du livre j'ai été déçue. Le style n'est pas trop intéressant, l'histoire est lente.
Il s'agit de deux marshall typiquement américains, Teddy et Chuck. Ils ont fait la guerre, Teddy a perdu sa femme, et pour montrer ô combien on est multi-culti Chuck a une femme japonaise et évidemment les deux marshall sont de vrais potes avec leurs petites blagues qui, malheureusement, ne sont même pas drôles. Les deux ont été envoyés à Shutter Island pour y ouvrir une enquête sur la disparation d'une patiente qui a réussi à s'échapper d'une section de la clinique psychiatrique. C'est un miracle; la porte était fermée à clé les gardes étaient tous à leurs postes mais n'ont rien vu. Personne ne sait rien, ne donne aucune réponse.
Donc, qu'est-ce qui se passe vraiment sur cette île? Est-ce que les docteurs pratiquent des tests clandestins sur les patients? Est-ce qu'ils leur font subir la lobotomie sans anesthésie par exemple. Est-ce que Ted et Chuck sont en danger aussi? Les téléphones et la radio ne fonctionnent plus. Le suspense commence a monter, on ne veut plus lâcher le livre et je vous assure que le dénouement est vraiment génial. C'est dommage que ça soit le seul aspect du livre qui est vraiment bon. C'est un bon thriller, c'est tout.

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lundi 14 avril 2008

"Rarogne - Un crépuscule admirable" - André Sarcq

Par Sahkti

Deux pièces dans ce recueil: Un crépuscule admirable et Rarogne.


Dans le premier texte, un homme est kidnappé et son ravisseur lui explique qu'il va passer six mois dans une cave, avec de la nourriture et des médicaments en suffisance, sans visite ni aucun contact avec le monde. Rapidement, la victime identifie celui qui le détient: c'est un ancien amant à qui il a transmis le sida. Sans le savoir apparemment, car il est porteur sain et à cette époque, on n'y pensait pas comme aujourd'hui.
S'ensuit un dialogue violent, émouvant, dramatique... tel un exorcisme à mener pour faire sortir de soi toute cette rancoeur et ces malaises accumulés.

Dans Rarogne, A et F (les initiales de Fabien et Antoine, les deux protagonistes du début) s'affrontent sur fond de Rilke et ses Elégies de Duino. Tout est prétexte à mesquinerie et rancoeur, mais derrière tout cela, c'est un amour virulent et à fleur de peau qui s'expose.

Dans ce "Dyptique", tel qu'appellé par l'auteur, nous nous retrouvons face à une colère sourde qui semble ne jamais pouvoir se calmer, car il y est question de vie, d'amour, de mort et de vengeance. Sur ce point, "Un crépuscule admirable" brille par toute la souffrance qui peut se dégager d'une telle situation, celle du mensonge par ommission, de la mort donnée par procuration.

J'ai apprécié la sensibilité des personnages, leur jeu brut et subtil à la fois et puis, surtout, cette manière rageuse de contempler le monde qui les entoure e l'avenir qui s'offre à eux. Joué sur scène, ça doit être quelque chose!

dimanche 13 avril 2008

"Je serai la princesse du château" - Janine Boissard

Par Thom

Avant-propos : il va contre tous mes principes éthiques et moraux de commenter un livre dont je sais déjà dès la première ligne que je vais le détester. Heureusement je n’ai aucune éthique chez les Chats – je réserve ma bonne morale au Golb (ma bonne morale et mes bonnes critiques, surtout). Fans de Janine Boissard s’abstenir, donc, de lire ce billet : la simple phrase Thom va parler de Boissard relevant d’une figure de style non encore identifiée par l’Académie Française.


Dans la vie nous faisons parfois des rencontres troublantes, de celles qui nous bouleversent – ou même qui nous changent. Ainsi ai-je rencontré il y a longtemps ni plus ni moins qu’une princesse. Une vraie. Pas du genre Caroline et Stéphanie, non non : une princesse de conte de fées. Une princesse comme on en croise parfois, dont le château ressemble à un petit appartement et qui le soir, à sa fenêtre, rêve au prince charmant en écrasant une Camel Extra Light.

Mais princesse rime avec perverse. Je ne dis pas ça pour exciter le lecteur-goret de passage ; je le dis parce que c’est vrai. La mienne (qui du reste ne m’appartient pas du tout) m’a ainsi offert un livre de…Janine Boissard. Herself. « Je serai la princesse du château », évidemment. J’ose croire que l’auteure de ce cadeau empoisonné l’a fait uniquement pour le titre et qu’elle n’avait pas lu le livre. Que c’était une private-joke et que si elle avait eu une photocopieuse à portée de main elle ne se serait pas embêtée à dépenser de l’argent.

Le titre du bouquin suffit à en annoncer le contenu : il s’agit d’une tentative autobiographique. Janine Boissard, avec sa série « L’esprit de famille » (qui à défaut d’être grandiose n’en était pas moins lisible) a fait rêver des milliers de jeunes filles et aujourd’hui, elle veut raconter ses rêves de jeune fille – à elle. Mise en abyme amusante qui pourrait même donner un livre intéressant si les rêves de gamine de Janine n’étaient pas si banals, si ternement cuculs la praline. Voyez-vous : elle veut assez rapidement devenir une princesse de conte de fées. Au sens propre. On la plaint, mais on a tous été jeune (moi à son âge je voulais être cosmonaute).

Là où les choses deviennent nettement plus problématiques, c’est lorsque l’auteure décide d’évoquer la Guerre. Bon, c’est de sa génération, cela appartient à son histoire – là-dessus rien à dire. En revanche utiliser des évènements aussi tragiques pour créer un contraste ultra-violent (et ultra binaire) rêves versus cruelle réalité et faire pleurer dans les chaumières…c’est au mieux balourd, au pire plus que malsain *. De là naîtra donc la furieuse envie de notre narratrice de devenir quelqu’un…et donc d’écrire, mais d’écrire dans le but d’être quelqu’un – voilà qui explique enfin le mercantilisme parfois abusif de l’entreprise Boissard. L’amour de la littérature n’est pas son fort, on s’en rend compte assez vite, et si l’on assiste à la naissance d’une vocation elle n’est pas vraiment émouvante et la littérature elle-même n’y joue qu’un rôle très secondaire.

Reste que le plus gros problème de ce livre n’est pas tant son contenu que sa forme. Je crois n’avoir jamais lu de texte donnant une si belle illustration du mot désuet. Les premiers livres de Janine Boissard collaient parfaitement à une époque, à un ton, à un air du temps – si je peux dire. Celui-ci, écrit dans le même style suranné et se déroulant dans le même univers à mi-chemin entre la nostalgie et la ringardise de clichés éculés, date de 2006. Et savoir qu’un livre comme celui-là existe encore en 2006 est absolument effarant.

Ici réside toute la différence entre le courant littéraire et la mode. Le premier est éternel, transcende les époques. La seconde passe – généralement très vite.





* (et je ne sais pas vous, mais moi, bizarrement...ça m'a rappelé un autre livre tout aussi mauvais - on ne le citera pas)

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samedi 12 avril 2008

"L'élégance du hérisson" - Muriel Barbery

Par Lhisbei


Renée, 54 ans, concierge de son état au 7 rue de Grenelle a l’apparence d’une concierge : mal habillée, mal coiffée, mal embouchée, affublée d’un chat et d’un téléviseur allumé en permanence. Mais sous les apparences, Renée est une femme cultivée, passionnée par les arts, autodidacte complexée qui observe le petit univers bourgeois que constitue son immeuble. Paloma Josse, 12 ans, surdouée, est fille de diplomate républicain qui se dit de gauche (laissez-moi rire) et d’une parfaite bourgeoise dépressive en psychothérapie depuis 10 ans. Son ambition dans la vie : se suicider et faire flamber son appartement le jour des ses 13 ans. Les deux protagonistes ont la particularité de se cacher des autres et de cacher qui elles sont. Les deux récits menés en parallèle vont se croiser le jour où M.Ozou, retraité japonais, va investir l’appartement du 4eme …

Les personnages m’ont souvent irrité et j’ai eu du mal à éprouver de la sympathie pour Renée qui juge trop et essaie peu de comprendre. Pour quelqu’un de profond elle s’en tient souvent aux apparences et manque cruellement d’humilité, tout comme la petite Paloma. Mais ce qui est pardonnable chez une gamine de 12 ans l’est moins chez une cinquantenaire cultivée et qui se pique de philosophie. Les passages philosophiques m’ont plus souvent ennuyé que passionné (mais la philo et moi ça fait deux). La prose est érudite mais parfois assez lourde et indigeste. Certaines phrases sont pourtant comme les gourmandises de Manuela Lopes : de douces friandises dans un écrin de soie. Comme par exemple :
« C'est peut-être ça, être vivant : traquer des instants qui meurent. »

A force de vouloir retourner les clichés (la concierge bébête et malpolie, la gosse de riches idiote et méprisante) l’auteur se fourvoie dans d’autre clichés (le sage japonais cultivé, les bourgeois idiots qui se croient l’élite de la France, la femme de ménage portugaise aux innombrables fautes de français mais excellente cuisinière, le clochard fin saoul mais toujours digne) ou l’émotion facile (l’enfance malheureuse et traumatisante de Renée et surtout la fin du livre). Au final on a quand même un livre manichéen et bourré de bons sentiments.

« Je suis toujours fascinée par l'abnégation avec laquelle nous autres humains sommes capables de consacrer une grande énergie à la quête du rien et au brassage de pensées inutiles et absurdes. »


L'avis de Livrovore